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Une Police Judiciaire Autonome Pour Une Meilleure Justice

Le mot police peut être définie de deux manières:

-au point de vue organique c’est un corps de la fonction publique assumant un service public autorisé à employer la force pour préserver l’ordre public ou pour exécuter les instructions provenant des autorités judiciaires,

-au point de vue matériel la police assure le bon ordre, la sureté, la sécurité ou la salubrité publique d’une part, la constatation, la recherche, l’arrestation, et la présentation des malfaiteurs aux autorités judiciaires d’autre part.

La première partie de la  définition matérielle renvoit à la police administrative, et la seconde à la police judiciaire.

 

Le mot police peut aussi être apprécié du point de vue de son amplitude. Dans ce cas on parlera de police générale et de police spéciale.

La police générale est celle qui a vocation à s’appliquer en tous lieux et en toutes circonstances. La police spéciale est limitée à un secteur ou à un endroit précis. Elle est exercée pour ce qui concerne les eaux et forêts par exemple.

Dans le cadre de nous ne nous étendrons pas spécialement sur la police spéciale.

Au Sénégal, la police est exercée par les corps de la police nationale et de la gendarmerie. La première est un corps paramilitaire, et la seconde purement militaire.

Tous les deux exercent aussi bien des activités de police administrative que des activités de police judiciaire.

Dans , à chaque fois que nous parlerons de police on entendra les corps de la police et de la gendarmerie réunis. Le terme police nationale sera réservé aux seuls policiers du Ministère de l’Intérieur.

 

La collaboration entre les autorités judiciaires et la police se déroule tant bien que mal. Le procureur de la république est le directeur de la police judiciaire alors que le juge d’instruction peut requérir, tant que de besoin, les officiers de police judiciaire.

Mais des goulots d’étranglement existent qui plombent l’efficacité de la justice.

Les autorités judiciaires n’ont pas un contrôle total sur les services de police qui, pourtant, constituent les piliers fondamentaux sans lesquels elles ne peuvent pratiquement rien faire.

Il s’y ajoute que le manque de personnel, le nombre élevé des tâches assignées, la rusticité des moyens empêchent la police judiciaire de répondre aux nombreuses sollicitations dont elle fait l’objet. En conséquence beaucoup de dossiers judiciaires ne bougent pas ou ralentissent entraînant la désaffection et le désenchantement du public.

 

Que ce soit la gendarmerie ou la police nationale, les activités de police ne sont qu’une parmi d’autres attributions qu’elles exercent. Ces autres attributions sont tout aussi vitales pour la défense et la sécurité nationale même si elles sont largement ignorées par une grande partie de la population qui ne perçoit, généralement, de la police que l’aspect maintien de l’ordre et répression.

Ironie du sort, cet aspect « policier » qui fait la réputation de la police car il le met en contact direct avec les populations  est là ou les défaillances et les lacunes sont les plus criardes.

 

Face à la relative inefficacité de la police, des réformes s’imposent. Elles doivent sortir des sentiers battus et proposer des solutions originales que l’on n’a sans doute pas l’habitude de voir ailleurs.

Ces réformes doivent consister à mieux affirmer l’autorité des autorités judiciaires sur la police et à améliorer son efficacité (II). Ces propositions de réformes ne sortent pas de nulle part. Elles s’appuient sur une revue des services de police et des problèmes rencontrés (I)

 

 

I-REVUE DE LA SITUATION ACTUELLE

 

L’analyse porte sur la présentation des services de police (A) et les dysfonctionnements notés dans les enquêtes (B)

 

A-LES SERVICES DE POLICE

 

C’est dans le Décret n° 2003-292 du O8 Mai 2003 portant organisation du Ministère de l’Intérieur qu’on trouve la structuration de la Direction Générale de la Sûreté Nationale (DGSN) qui gère l’ensemble des policiers du Sénégal et même des personnels qui, sans être policiers, sont commissionnés dans des tâches au sein de la police nationale. Celle-ci est l’une des nombreuses directions générales du Ministère de l’Intérieur qui en compte d’autres telles que la Direction Générale des Elections, la Direction des Collectivités Locales, la Direction de la Protection Civile…..etc.

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La DGSN compte d’une part des services rattachés au cabinet du Directeur Général : le Groupement Mobile d’Intervention, le Service médico-social, le Bureau des Etudes et Méthodes, le Bureau des Relations Publiques, la Brigade d’Intervention Polyvalente, l’Office central pour la répression du trafic illicite des stupéfiants, la Brigade spécialisée pour la recherche de l’enrichissement illicite, et la brigade prévôtale ; et d’autre part les directions qui sont au nombre de huit (08) : la Direction de la Surveillance du territoire, la Direction de la Police Judiciaire, la Direction de la Sécurité Publique, la Direction de la Police de l’air et des Frontières, la Direction de la Police des Etrangers et des Titres de Voyage, la Direction de l’Ecole nationale de police et de la formation permanente, la Direction des personnels, et la Direction du Budget et des Matériels.

L’article 03 du Décret précité précise les missions de la DGSN. Ces missions sont de trois ordres :

-une mission de police proprement dite dans laquelle la DGSN maintient l’ordre public, poursuit la répression des infractions pénales, lutte contre les subversions et les atteintes à la sureté de l’Etat, surveille les frontières, et contrôle le commerce des armes ;

-une mission de renseignement dans laquelle la DGSN procure des informations au gouvernement et aux autorités publiques ;

-une mission d’assistance dans laquelle la DGSN apporte son concours aux chefs de circonscription administrative et à la Direction Générale des élections.

Pour ce qui concerne la gendarmerie, c’est le Décret n° 2006-112 du 03/02/2006 qui fixe son organisation.

L’économie des articles 08 et 11 montre que les fonctions de la gendarmerie peuvent être ramenées à deux grandes missions principales :

-une fonction de police comprenant la surveillance du territoire, le maintien de l’ordre, et la poursuite des infractions militaires et civiles ;

-une fonction de fourniture de renseignements.

Ce sont les légions, démembrements régionaux de la gendarmerie territoriale et mobile qui assurent ces fonctions. Avec cette particularité que les légions mobiles sont spécialisées en maintien de l’ordre et que les légions territoriales viennent, dans le cadre de cette mission, uniquement en appoint.

La particularité du système réside dans le fait que toutes ces forces qui interviennent dans le fonctionnement de la police judiciaire ne relèvent pas du ministère de la justice. La DGSN relève du Ministère de l’intérieur, et la Gendarmerie du Ministère des forces armées.

Ces forces sont donc placées sous le contrôle d’autorités, souvent politiques, dont les motivations et les objectifs  peuvent diverger d’avec ceux du Procureur de la République ou du Juge d’Instruction.

Le Code de Procédure Pénale dispose que le Procureur de la République est le directeur de la police judiciaire. Cependant, tout naturellement, les commissaires et les commandants de brigade informent systématiquement leurs hiérarchies. On voit, dès lors, les risques réels d’interférence de ces autorités, pour peu que l’esprit politicien l’emporte sur l’esprit républicain, dans le traitement des procédures judiciaires, qui peuvent dés lors trainer en longueur ou, tout simplement, être traitées de manière à les rendre inefficaces.

 

B-DYSFONCTIONNEMENTS DANS LES ENQUETES JUDICIAIRES

 

Les enquêtes de police sont handicapées par plusieurs travers :

 

-elles peuvent être très sommaires forçant le procureur, le juge d’instruction, ou le juge à commander d’autres actes d’enquête sans aucune garantie de succès,

-elles peuvent tirer en longueur,

-elles peuvent se heurter à des considérations politiques lorsque le mis en cause est une personne d’une certaine importance dont la poursuite n’arrangerait certainement pas en hauts lieux, ou risquerait de troubler l’ordre public.

 

Les policiers et les gendarmes sont en nombre très réduit par rapport à la « demande » de police judiciaire. Les commissariats et les brigades sont souvent faiblement garnis en personnel et en matériel (manque de véhicules, de carburant…etc). Les plaignants sont souvent forcés de louer des taxis pour permettre aux agents de se déplacer pour procéder à des arrestations.

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Ces mêmes agents n’ont pas toujours des ressources suffisantes pour exécuter les délégations judiciaires que les juges d’instruction leur adressent ou même pour simplement acheminer les convocations que ceux-ci sont obligés de faire passer par eux. Dans ce dernier cas ils se bornent, la plupart du temps, à appeler les parties et les témoins au téléphone. Si les numéros de téléphone ne sont pas mentionnés dans les convocations le risque est grand de les voir rangées dans les tiroirs le plus simplement du monde.

 

Les officiers de police judiciaire semblent déployer beaucoup plus d’efforts au stade des enquêtes préliminaires et de flagrance que lorsqu’ils sont requis par le juge d’instruction.  A y voir de plus prés, l’on a le sentiment que l’urgence des situations infractionnelles présentes l’emporte sur les délégations judiciaires et que les enquêteurs sont déjà soulagés de boucler leurs procès-verbaux  d’enquête qu’ils doivent transmettre dans le délai de la garde à vue au procureur de la république.

 

Sur le plan qualitatif, l’absence d’une véritable police scientifique capable de procéder à des analyses d’ADN, de scènes de crimes, de mise en jour d’indices microscopiques, et de synthèse d’éléments apparemment disparates obligent les enquêteurs à surfer sur le sommet de la vague passant, à leurs corps défendant, sur beaucoup de choses qui auraient rendu la manifestation de la vérité plus facile.

 

Le procureur, bien qu’étant le Directeur de la police judiciaire, n’a pas vraiment d’autorité sur les officiers de police judiciaires. Il ne les note pas et n’intervient pas dans leurs mutations administratives.

En cas de problèmes survenant dans l’exécution des fonctions d’officier de police judiciaire, conformément aux articles 213 et suivants du Code de Procédure Pénale, le procureur de la république en est réduit à saisir le procureur général qui, à son tour, saisit la chambre d’accusation. C’est la chambre d’accusation qui décidera de retirer ou non la qualité d’officier de police judiciaire à l’agent incriminé.

Le juge d’instruction ne dispose d’aucun moyen de contrainte par rapport aux officiers de police judiciaire. Tout au plus pourra-t-il pondre des rapports adressés à d’autres autorités qui voudront bien, si l’envie les prend, agir pour rétablir l’ordre normal des choses. D’ailleurs le texte est clair : le juge d’instruction ne dispose que d’un pouvoir de réquisition, pouvoir qui fait  pâle figure face à celui de direction du procureur de la république qui, à son tour, ne signifie pas grand-chose en l’absence d’un pouvoir de sanction direct.

 

II-POSSIBLES REFORMES DE LA POLICE JUDICIAIRE

 

L’amélioration de la productivité de la police judiciaire pourrait résulter de la création d’un corps de police judiciaire autonome (A), et de la mise en place d’une véritable police scientifique (B)

 

  • CREATION D’UNE POLICE JUDICIAIRE AUTONÔME

Sur le plan structurel il s’agirait d’un corps logé au Ministère de la Justice dont il dépendrait pour sa nomination et la gestion de sa carrière.

Pour sa constitution il serait possible de démarrer avec les éléments de la police nationale et de la gendarmerie qui s’occupent des affaires de police judiciaire à l’heure actuelle.

Cependant, dans l’avenir une école de la police judiciaire serait créée à laquelle les élèves accéderaient par concours. Les programmes de formation seraient conçus de manière à apprendre aux élèves comment conduire des enquêtes de police.

Présentement les enquêteurs ne sont pas formés aux techniques d’enquête. Ils sont désignés par décision du chef et se lancent dans des enquêtes en se basant sur leur flair et leurs prédispositions personnelles. La formation leur permettrait de savoir ou commencer une enquête, comment la conduire, et quand la conclure de manière efficiente.

Les modules porteraient aussi sur le code de procédure pénale, sur les textes pénaux, et sur les droits de l’Homme.

Dans chaque ressort d’un Tribunal de Grande Instance, les éléments du corps de la police judiciaire seraient divisés en deux brigades : une brigade serait placée sous l’autorité directe du Procureur de la République et serait chargée de constater les infractions, de procéder aux constations, de conduire les enquêtes et d’exécuter les ordres de ce magistrat d’une manière générale. Nous pourrions l’appeler la brigade prosécutoriale. L’autre brigade serait placée sous l’autorité du Juge d’Instruction et aurait pour missions d’exécuter les délégations judiciaires de ce magistrat. Ns pourrions l’appeler la brigade d’instruction.

Un comité composé du Procureur de la République, du Juge d’Instruction, et présidé par le Président du Tribunal se réunirait chaque année pour apprécier le travail de la police judiciaire dans la région et soumettrait des propositions de décision au Ministre de la Justice. Ce comité pourrait aussi comprendre deux membres représentant la société civile et les droits de l’Homme.

Le procureur de la république et le juge d’instruction, chacun pour ce qui le concerne, disposeraient des pouvoirs de sanctions du premier degré prévu au statut général de la fonction publique à l’égard des fonctionnaires de police judiciaire placés dans leur ressort.

Pour les infractions plus graves ces magistrats dresseraient des rapports soumis au à la chambre d’accusation de la Cour d’Appel qui mettrait en œuvre les sanctions qu’elle jugerait opportunes.

Le contre-argument brandi le plus souvent contre la création d’une police judicaire autonome se résume à ceci : les actes de police judiciaire et de police administrative sont, de temps en temps inextricablement liés. Un policier qui règle la circulation est en police administrative. Mais, juste à l’instant, un accident peut se produire devant lui. Il basculerait alors immédiatement en police judiciaire.

Ce contre-argument ne semble pas tellement pertinent. En effet rien n’empêche ce policier de faire les premières constatations et de se dessaisir, à l’occasion, devant le policier judicaire en lui remettant tous les éléments qu’il a collectés sur le feu de l’action.

Plus fondamentalement la création de ce corps de police judiciaire autonome permettrait à la gendarmerie et à la police nationale de se focaliser sur leurs missions de police administrative et de collecte de renseignements.

Par ailleurs la création de ce corps redonnerait au procureur et au juge d’instruction de réels pouvoirs sur la conduite des enquêtes et rendrait la justice beaucoup plus indépendante.

 

B-MISE NE PLACE D’UNE VERITABLE POLICE SCIENTIFIQUE

 

Les enquêtes de police se limitent aujourd’hui, à quelques exceptions près, à trois choses : le relevée des constatations matérielles,  l’audition de la partie civile et du mis en cause, et l’audition des témoins.

Les constatations matérielles sont collectées de manière très empirique. L’enquêteur se borne à parcourir la scène d’un regard panoramique et à consigner tous les éléments que son œil accroche.

Or il  y a des indices qui sont invisibles à l’œil nu. Par exemple une scène de crime nettoyée conserve encore des traces de sang qu’une lumière spéciale utilisée par des polices en Europe peut mettre au jour. L’examen des corps des victimes est très sommaire et conduit par des agents qui n’ont aucune formation en anatomie ou en médecine légale. Les exemples sont légion des situations dans lesquelles une petite dose de modernité aurait apporté un éclairage considérable.

Ces éléments pourraient même orienter et déterminer l’enquêteur dans les questions qu’il pose aux parties.

Pour améliorer les enquêtes, il serait intéressant de recruter dans cette nouvelle police judiciaire des médecins, et des physiciens sortis de l’université. Ainsi dans chaque brigade du ressort du TGI serait placée une équipe scientifique. Ces éléments pourraient être le plus simplement du monde recrutés dans cette police dont ils seraient des membres à part entière.

Ces policiers scientifiques n’agiraient pas en lieu et place des médecins légistes. Ce serait juste des hommes de terrain chargés de constater dans le vif de l’action certains indices qui risqueraient autrement de disparaitre.

Boubacar Ndiaye Fall

L’article Une police judiciaire autonome pour une meilleure justice .

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