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Opinions, Idées et Débats des Sénégalais

Un Forum, Un DÉfi

Au moment où le Forum de Saint-Louis prend ses quartiers à Essaouira, ce texte de Fadel Dia, professeur émérite de lettres et de géographie à l’École normale supérieure de Dakar, garde toute son actualité.

À l’orée du 2e Forum de Saint-Louis, qui se déroule les 2 et 3 novembre 2018, ce texte proposé par Fadel Dia en pensant à la première édition, qui, elle, s’était déroulée dans la ville du pont Faidherbe, garde toute sa force. Fadel Dia y rendait hommage à Saint-Louis du Sénégal, « vieille ville française, centre de l’élégance et du bon goût sénégalais », comme disait l’écrivain Ousmane Socé Diop dans Karim, roman sénégalais paru en 1935 aux Nouvelles Éditions latines. Il saluait aussi la première édition du Forum de Saint-Louis lancée par Amadou Diaw, président de l’Institut supérieur de management (ISM), groupe d’enseignement privé créé il y a 27 ans et leader en Afrique francophone, sur le thème « L’Afrique pour un monde repensé ». La manifestation avait rassemblé plus de 400 invités venus des 5 continents, lesquels ont assisté à des échanges de haut niveau sur l’Afrique, sa nouvelle place, son devenir, ses relations avec le reste du monde, mais pas seulement. Vu par son initiateur comme « un rendez-vous du donner et du recevoir », comme disait l’ex-président Léopold Sédar Senghor, le Forum de Saint-Louis a abordé des thèmes autour de la gouvernance politique, économique, culturelle, sociale, digitale… pour aider à mieux partager et préparer les voies et moyens de donner à l’Afrique les capacités de se projeter dans ce XXIe siècle appelé à être son siècle. Pour cette deuxième édition, qui a posé ses valises à Essaouira, ex-Mogador, ville marocaine de tolérance, d’autres thèmes tout aussi pertinents sont au menu des échanges : « repenser les imaginaires », « rêver les métamorphoses des villes », « apprendre autrement », pour ne citer que ceux-là. Allons donc à la découverte des mots de Fadel Dia pour cette ville classée au niveau international et monumental dans la veine de cités comme Grand-Bassam et autres qui illustrent la rencontre d’une certaine architecture française avec des environnements tropicaux.

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« Est-ce bien raisonnable de parler de devenirs, de créativité et d’innovations, de vouloir briser les tabous et balayer les stéréotypes à partir d’une ville dont certains disent que la nostalgie est son seul fonds de commerce, qu’elle vit sur son passé au risque de se perdre et que son prestige évanoui pèse trop lourdement sur la mémoire de ses habitants ? N’est-il pas utopique et illusoire de prêcher la solidarité entre tous les citoyens du monde, l’humilité, le renoncement, la reconnaissance de nos limites, de nous demander de nous libérer des artifices de l’ego, de plaider pour la nécessité de préserver l’équilibre entre les avancées technologiques indispensables, d’une part, le bien-être des hommes et le respect de l’univers, animal ou végétal, d’autre part, depuis une ville presque condamnée, ou en tout cas dont la survie est menacée, une cité victime de l’ignorance de cette règle qui vit sous une épée de Damoclès parce que ceux qui la gouvernent ont forgé une folle entreprise dont la vaine ambition était d’imposer sans ménagement leur loi à un fleuve qui a toujours choisi le lieu de sa rencontre avec la mer ?

Un défi, un ovni

C’est déjà un défi que d’avoir choisi Saint-Louis, « la belle endormie », pour abriter ce forum, en lieu et place de la capitale que l’on devrait désormais appeler « Dakar-Diamniadio ». Pourtant, lorsqu’on s’imprègne de la philosophie qui le porte, on réalise que nul autre endroit n’était mieux indiqué pour affirmer, selon le mot de Césaire, que « le temps de nous-mêmes » est arrivé et pour jeter les bases d’un monde qui n’est pas celui qu’on nous impose mais celui qui est conforme à nos choix. Parce que ce forum est un ovni et que Saint-Louis, ou plutôt Ndar, relève de par sa légende de l’ordre du dépassement, du mystique et du transrationnel. Son génie protecteur, Mame Coumba Bang, n’a-t-il pas donné à ses descendants le privilège de réussir là où échouent les génies modernes que sont les sapeurs-pompiers : sortir le noyé du fond des eaux qui l’ont englouti ?

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Lieu de rencontres

Parce que ce forum est une incroyable convergence de talents et que Saint-Louis a toujours été un lieu de rencontres, elle a été la porte par laquelle les peuples venus du Nord sont entrés, brutalement, en contact avec les populations subsahariennes, le terrain où Africains blancs et noirs ont appris à gouverner ensemble. Elle a été surtout le lieu de brassage, le laboratoire où s’est forgée la nation sénégalaise. À deux ans d’intervalle à peine (septembre 1895-janvier 1899) faillirent s’y croiser deux éminentes figures de la résistance contre l’oppression coloniale. Imaginons ce qu’aurait pu être le dialogue entre Samory Touré et Cheikh Ahmadou Bamba, le politique qui terminait un long et poignant engagement et le mystique à l’aube de sa légende, qui tous deux combattaient le même adversaire avec des armes différentes. Peut-être nous auraient-ils appris comment vaincre sans être le plus fort.

Un challenge

Parce que ce forum est un challenge et que Saint-Louis et surtout les Saint-Louisiens ont, à de multiples reprises, surpris leur monde et déjoué tous les pronostics. Ils ont survécu aux colères de l’océan et imposé au colonisateur leur langue et leurs traditions. Souvenons-nous de ce jour, ce 24 septembre 1922, où un parfait inconnu sur lequel aucun bookmaker n’aurait parié un centime, qui n’était encore que Mbarick Fall et ne portait pas le surnom de Battling Siki, fit tomber par un uppercut droit et devant 40 000 spectateurs médusés Georges Carpentier, l’idole des Français, et par la même occasion fit tomber ses titres de champion mi-lourd de France, d’Europe et du monde. Cela rappelle étrangement, 80 ans plus tard, aux Championnats du monde de football, la victoire de l’équipe du Sénégal, menée par un autre étincelant Saint-Louisien, face à l’équipe de France, elle–même championne d’Europe et du monde.

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Les Africains parlent aux Africains

Ce forum, c’est peut-être la réalisation du rêve de Mamadou Dia qui, la mort dans l’âme, ôta à Saint-Louis son dernier titre officiel, mais avec l’ambition de faire de la ville la conscience du Sénégal et la colonne vertébrale de son développement et de celui de la sous-région. C’est la concrétisation de l’injonction que nous adressait Mongo Beti, qui, au comble du désespoir, nous criait : « Africains, si vous parliez ! » Parler, ne serait-ce que pour ne pas laisser le champ libre à ceux que Btti appelait « les Bob Denard de la rotative » et à ceux qui prétendent que l’Afrique n’a ni passé ni avenir. C’est enfin, paraphrasant cette fois de Gaulle, « les Africains (qui) parlent aux Africains ». Ils se parlent et, ce faisant, ils parlent au monde. Mais cette grande palabre n’a de sens que si elle vise à élever l’homme, si elle est pour chacun l’occasion d’effectuer un travail sur lui-même… Hier, nous nous croyions intelligents et voulions changer le monde , aujourd’hui, nous aspirons à être sages et cherchons à nous changer nous-mêmes.

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