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Le Chemin De Canossa

Chaque grande manifestation religieuse à portée nationale qui se déroule dans notre pays offre à nos hommes politiques l’occasion de faire ce qui s’apparente au chemin de Canossa. A deux différences près : d’une part ils ne sont pas en tenues de pénitence mais en habits d’apparat, d’autre part,  et c’est l’un des paradoxes de ces expéditions, contrairement au pape Grégoire VII, leurs hôtes ne leur en demandaient pas tant …

Ces réserves mises à  part, ces descentes annuelles à bride abattue vers les capitales religieuses constituent bien des actes de soumission du politique au spirituel, fondés sur des calculs diplomatiques plutôt  que sur des convictions religieuses. Cela constitue une entrave au respect de la laïcité sur laquelle repose notre constitution. Paradoxalement tous ces acteurs qui, à longueur d’année, se déchirent sur toutes les scènes et sur tous les sujets, adoptent ici la même attitude, tiennent le même langage, se plient au même rite, obéissent au diktat de la représentation théâtrale et sollicitent les médias avec la même gourmandise. C’est donc le même régime pour tous : pour ceux qui sont au pouvoir comme pour ceux qui représentent l’opposition, pour les vieux briscards de la politique qui ont vieilli sous le harnais comme pour les sauvageons qui veulent se frayer une place, pour ceux qui sont satisfaits de l’existent comme pour ceux qui prônent des changements radicaux. On observe que les chefs d’entreprises, les hommes d’affaires désireux de se faire un nom, emboitent désormais le pas aux chefs de partis, polluant les cérémonies par leur présence saugrenue et par leur visage emprunté, souvent inconnu de leurs propres employés. Ils ne réalisent pas qu’en se mettant ainsi en spectacle, ils font tout simplement de la politique, tout comme M. Jourdain faisait de la prose sans le savoir. 

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Toute la nomenklatura du pays défile donc en cortèges significatifs, toujours lestée de promesses et de présents. Si dans d’autres parties du monde et pour des occasions  similaires on se munit plutôt d’objets d’art, de pièces de musée ou de documents historiques, qui ont certes une grande valeur mais ne peuvent être convertis en espèces sonnantes et trébuchantes, ici les cadeaux sont rarement symboliques et se présentent généralement sous de discrets emballages, enveloppes ou valises, dont le secret n’est jamais dévoilé en public. Il reste à savoir si leur contenu ou leur poids sont établis en fonction de  la hauteur des responsabilités ou de la représentativité de ceux qui les offrent ou en fonction de leurs espérances !

Si la visite de prestige est réservée au maître des lieux, il faut quelquefois se prêter à  une tournée des grands ducs et faire acte de présence chez les dignitaires du second degré, ceux dont la voix porte au sein de la confrérie ou qui sont de potentiels dauphins. Avec le risque d’annihiler les bénéfices de l’audience principale en se faisant rabrouer par des hommes généralement peu portés à  la langue de bois ou soucieux d’affirmer leur rang. Dans tous les cas, quelle que soit la hiérarchie de l’hôte, les entretiens sont rarement marqués du sceau de la confidentialité, ils se font généralement en présence de témoins qui multiplient les fuites, et quelquefois devant des membres de la presse. Celle-ci, qui, comme à son habitude a tendance à s’intéresser davantage aux trains qui arrivent en retard plutôt qu’à ceux qui sont à l’heure, ne rate pas l’occasion de faire des couacs les titres de ses organes. Les visiteurs eux-mêmes participent d’ailleurs à la publicité des conversations, avec le but de transformer un déplacement à caractère religieux en tribune politique. D’ailleurs, quand ils en ont les moyens, ils se font accueillir par des militants agitant des banderoles et qui chaque année font un pas de plus pour se rapprocher des lieux considérés comme inviolables. A ce jeu-là c’est toujours bien sûr ceux qui sont au pouvoir qui remportent la palme.

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Quelle que soit la sincérité de tous ces impétrants, leurs visites qui surviennent à un moment de grande affluence, portent souvent atteinte au sens même de l’évènement. Ils bousculent le calendrier de leur hôte, pillent le temps qu’il pouvait consacrer à la méditation, accaparent  son attention sur des questions qui ne sont pas liées à son magistère, même si, heureusement, il se contente le plus souvent de déléguer son autorité. Comment en effet trouver un créneau pour satisfaire toutes les demandes d’audience, réserver un accueil qui soit à la mesure de la dimension politique et sociale de chacun, écouter les jérémiades des uns, le catalogue des réalisations et des promesses des autres, dispenser des prières même quand l’entreprise est hasardeuse ? Encore heureux que certains, moins nantis ou moins resautés, ne puissent entreprendre l’expédition ! Notre pays comptant près de 300 partis politiques, si un jour l’idée venait à tous leurs chefs de solliciter une audience, il faudrait, à raison d’un quart d’heure par délégation, plus de 72 heures, plus de trois jours d’affilée, pour épuiser la liste !

 Mais, malgré les absences plus ou moins volontaires, ceux qui franchissent les portes  du saint des saints contribuent par leur comportement à  brouiller les symboles qui distinguent le spirituel du temporel et à susciter  quelques confusions sur la nature du pouvoir de leur hôte. Ils donnent à croire que la déférence est une question de topographie, alors que c’est en se mettant à la hauteur d’un homme que l’on entend mieux son message. Quand on s’assoie à ses pieds on le contraint d’une certaine manière à un exercice qui peut être douloureux : celui de se pencher. Rappelons enfin que, contrairement aux hommes de pouvoir, l’imam, en situation normale, n’est pas installé sur un perchoir, il est au ras des fidèles. 

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Mais le plus grave c’est que le brouhaha des politiques, leurs discours qui souvent malgré eux révèlent la vraie nature de leurs démarches, font passer au second plan la ferveur religieuse qui devrait être le vrai moteur de ces rencontres. On en sort frustré, dans l’incapacité quelquefois de s’imprégner de la vraie nature de la manifestation, d’en suivre les actes fondamentaux et les moments les plus enrichissants, d’en explorer les lieux les plus sacrés…

Un jour viendra où ce sont les fidèles qui mettront fin à ce tohu-bohu…  

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