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Cheikh Diop, Autopsie D’une Immolation

Qu’est-ce qui a bien pu pousser cet homme à s’immoler. Difficile, à cette question décisive, d’apporter une réponse définitive. Difficile aussi de trouver les clés explicatives d’un tel drame. Difficile surtout de mesurer le niveau de désespoir qui peut engendrer un tel désir irrépressible d’abréger volontairement, publiquement, violemment et si atrocement une vie.

C’est l’histoire d’un Sénégalais d’une quarantaine d’années et père de trois enfants, qui s’est aspergé d’essence avant de s’immoler par le feu. L’histoire d’un homme qui s’estimait victime d’une injustice d’Etat. Il s’appelait Cheikh Diop. Il avait attaqué l’Etat du Sénégal responsable à ses yeux, de l’amputation de son bras. Un lourd handicap qui allait dévaster sa vie et bouleverser celle de toute sa famille. La justice sénégalaise refuse de reconnaître l’erreur ou la faute médicale. Cheikh Diop est débouté en première instance et en appel de toutes ses demandes d’indemnisation. Un verdict sans appel qui le condamne à un désespoir sans appel. La justice sénégalaise venait de sonner le glas de ses espérances en lui niant tous ses droits, comme si sa vie ne comptait plus. L’existence de Cheikh Diop n’était plus qu’une lente descente aux enfers. Cet enfer de la désespérance. Cet enfer de la lassitude de l’existence. Cet enfer sans retour. Cet enfer de l’au-delà si souvent rattaché à ce feu par lequel Cheikh s’est donné la mort.

 

Quel est le seuil de résistance d’un homme acculé jusqu’aux extrêmes limites du désespoir à l’image de ces milliers de jeunes Sénégalais, partis à la recherche du cap de meilleure espérance et qui aujourd’hui, gisent par centaines voire par milliers, au fond des océans. Comment réagit-on lorsqu’on éprouve ce sentiment que tout fout le camp, lorsqu’on doit s’infliger l’écoute de promesses sans lendemain de personnes qui souvent vous ignorent jusque dans votre immolation. Juste inacceptable que l’on n’ait pas trouvé une seule autorité pour saluer la mémoire de Cheikh Diop. Même Mme Aminata Touré, sniper spéciale du président de la République, toujours si prompte à dégainer sa page Facebook pour tirer sur tout ce qui bouge autour du Palais est devenue subitement aphone. Comme si Macky Sall et son intendance politique étaient insensibles au désespoir qui mine ce peuple du Sénégal, ce peuple qui “souffre en silence” selon les mots de l’ancien Premier ministre Haguibou Soumaré. Un silence que la mort brutale et atroce de Cheikh vient de transformer en un murmure assourdissant qui sonne comme un cri de révolte d’un pays moralement abîmé et si lourdement englué dans les abîmes de désespérance.

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L’insoutenable et l’impardonnable surdité des autorités judiciaires, pénitentiaires et politiques face à la détresse de Cheikh Diop a conduit au pire. A la mort d’un homme qui n’avait plus aucune perspective, un homme devant lequel se dressait un avenir sans horizon.

Pendant que Cheikh Diop était à l’hôpital en train de lutter contre la mort, un ministre de la République dont le nom ressort frénétiquement dans un gigantesque scandale à milliards, organisait sur fonds propres, un méga meeting à presque une centaine de millions de francs. Quel indécent pied de nez de la part d’un pouvoir dont l’arrogance et l’impéritie sont en train d’inexorablement éloigner de son peuple. Ces proches du président sur lesquels dégringolent un tel torrent de scandales financiers qu’ils ne trouvent même plus de coffres assez grands pour ranger les centaines de milliards qu’ils ont impunément détournés, devraient faire preuve de plus de discrétion.

Putain, mais vous pensez quoi ? Que du fond de sa tombe, Cheikh ne vous maudira pas de l’avoir laissé crever. Lui qui ne réclamait et à raison, que quelques millions pour redonner vie à sa vie. Alors Messieurs, comment pouvez-vous dormir tranquilles avec vos enfants en pensant aux orphelins que Cheikh a laissés derrière lui. Comment avez-vous pu rester sans la plus infime once d’humanité face à la désespérance destructrice de cet homme. Comment vous, ministres, juges et hauts fonctionnaires de l’Etat du Sénégal avez-vous pu rester sourds aux hurlements de détresse de cet homme ? A croire que ce sont des cœurs de pierre qui battent sous vos poitrines. Que non. Sans vous faire outrage, vous avez juste été minables.

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Peut-on ou doit-on conjecturer sur l’honneur d’un homme à travers un acte ? Gardons-nous de juger Cheikh Diop. Son geste peut certes être condamnable. Mais parce que l’immolation est une mort d’une rare atrocité, s’il en est arrivé à cette forme extrême de révolte, au péril de sa vie, c’est pour envoyer un signal malheureusement tragique mais fort que le président Sall se doit de décoder.

Ce n’est pas un hasard si Cheikh Diop s’est immolé quasi devant les grilles de son Palais. Il aurait pu le faire à un autre endroit. Mais le lieu choisi est symbolique et surtout lourdement chargé de sens, comme si c’était un ultime appel au secours qu’il voulait lancer au chef de l’Etat en personne.

A force de sentir abandonné par l’État, d’assister impuissant à la consumation inexorable de ses espoirs en son pays, en sa justice et en la vie en général, Cheikh Diop a préféré se laisser consumer pour éteindre définitivement le feu du désespoir qui avait fini de ravager son existence. Ultime acte de protestation qui n’est pas sans rappeler l’immolation de Mohamed Bouazizi. Le geste désespéré de ce Tunisien mort de ses blessures à la suite d’une immolation, sera le point de départ du printemps arabe. Une histoire dont on connaît la fin.

Malick Sy est journaliste

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