Il suffit de quelques contractions sur les cours mondiaux des matières premières pour que l’Afrique, dans sa grande majorité, se mette à trembler. Ce n’est une histoire ni ponctuelle, ni récente, ni inconnue de générations entières d’Africains, mais elle se répète avec la régularité d’une horloge suisse allemande. Cette fragilité structurelle du Continent, nœud gordien de ses difficultés économiques à des origines profondes tenant au rôle lui ayant été assigné voici quelques siècles et qui n’a pas été corrigé à travers les époques.
Aux origines des fragilités structurelles
L’observance clinique de l’œuvre coloniale démontre qu’elle fut incontestablement une entreprise cohérente. Quelques éléments de contexte. Nous sommes au XIXe siècle et le monde européen est en pleine révolution industrielle. Du développement de la sidérurgie au canal de panama, en passant par l’apparition de la navigation maritime, ferroviaire et de l’automobile, l’occident a grand besoin de matières premières pour entretenir sa vigueur industrielle et aussi de débouchés pour écouler les produits issus de ses manufactures. Ce dernier point est explicitement évoqué par Jules Ferry lors de son adresse du 29 juillet 1885 à l’Assemblée nationale française :
«Sur le terrain économique, je me suis permis de placer devant vous, en les appuyant de quelques chiffres, les considérations qui justifient la politique d’expansion coloniale au point de vue de ce besoin de plus en plus impérieusement senti par les populations industrielles de l’Europe et particulièrement de notre riche et laborieux pays de France, le besoin de débouchés… Oui, ce qui manque à notre grande industrie, que les traités de 1860 ont irrévocablement dirigé dans la voie de l’exportation, ce qui lui manque de plus en plus ce sont les débouchés».
Lucide donc sur ses besoins, l’Europe va s’organiser pour y subvenir et jettera son dévolu entre autres sur le continent africain. Objectifs, moyens et finalités vont être méthodiquement alignés pour y parvenir. Afin d’exploiter ces terres lointaines riches dans leur sous-sol, l’Europe va commencer par les posséder, via les expéditions menées par ses explorateurs et structurées par la célèbre conférence de Berlin. Puis une fois les territoires sous contrôle, leur exploitation est mise en branle et leurs ressources acheminées vers les manufactures européennes ; dans l’autre sens, les produits fabriqués sont exportés vers les colonies servant de débouchés extérieurs. Ainsi fonctionnât ce bonneteau colonial, visage de cet ADN économique imprimé à une Afrique transformée d’une part en terre d’exportation de matières premières vers l’extérieur et d’autre part en un centre de consommation massif de produits manufacturés issus d’industries étrangères. Cette configuration va exister officiellement jusqu’aux indépendances. Et ce fut là, le moment charnière.
Les indépendances auraient dû être, au-delà des changements superficiels, un moment de réorientation profonde du fonctionnement continental. Et pourtant, l’aggiornamento de la structure économique du Continent n’a pas été fait. Les mécanismes de fonctionnement installés par le système colonial vont être reconduits par les nouvelles autorités, alors même que les changements de contexte et d’horizon étaient évidents. L’ADN économique non transformatif implémenté à l’Afrique par la colonisation, lequel commande de sortir ses ressources de terre, les présenter à l’achat à l’extérieur en l’état brut puis dépenser les revenus ainsi glanés dans l’importation de produits manufacturés, va survivre à celle-ci.
Dans son écrasante majorité encore de nos jours, l’Afrique se contente d’écouler vers les pays industrialisés ses matières premières et achète essentiellement ce qu’elle consomme à l’extérieur. Dépendante pour ses revenus de la santé des marchés étrangers consommateurs de matières premières, elle est en constante position implorante. Quand le monde se prend un coup de froid économique, l’Afrique toussote. Ses acheteurs extérieurs réduisent leurs emplettes, alors les recettes s’amenuisent, les coupes budgétaires s’enchaînent, les investissements s’écroulent et le foyer de la contestation sociale s’étend. Nombre de pays au rang desquels le Nigéria, l’Angola, les pays de la CEMAC, la Côte d’Ivoire, le Ghana se sont retrouvés depuis 2014 déstabilisés par la plongée du baril ou les difficultés survenues sur le marché du cacao. Tel est le véritable échec structurel de ce continent qui n’a pas su se dé-modéliser après les indépendances pour se réorienter vers une nouvelle structuration.
Ainsi, l’œuvre coloniale, les yeux rivés sur ses objectifs d’exploitation, a bâti une organisation cohérente. L’œuvre post-coloniale par contre se révèle incohérente. Face aux responsabilités de nourrir, éduquer, soigner, industrialiser le Continent, elle s’est contentée de garder les mécanismes imprimés par la colonisation qui ne poursuivait pas fondamentalement les même objectifs. Les difficultés économiques persistantes que nous observons depuis toujours sont alors évidentes.
La double reconfiguration nécessaire
Que faut-il faire ? D’abord, reconfigurer la structuration économique du Continent pour en changer le modèle de création de richesses. Les habitudes économiques coloniales ayant fait du Continent un fournisseur mondial agréé de matières premières perpétuent la fragilité de son circuit de recettes. Concrètement il s’agit de migrer de pays structurés autour des exportations de matières premières à des pays producteurs de biens destinés à ses besoins tant au plan agricole qu’industriel. Cette nouvelle donne verrait les revenus de l’Afrique ne plus dépendre de la météo économique des acheteurs de matières premières. Vaste programme.
Ensuite la reconfiguration politique. Démembrée selon la logique coloniale en micro-pays sur la foi de critères purement mercantiles et sans aucune considération des réalités socio-humaines, l’Afrique devra retrouver une réalité politico-géographique plus rassemblée pour assurer sa survie. Dans ce monde où de grands empires s’affirment de partout, les Etats africains chacun pris individuellement sont des nains vis-à-vis des ogres mondiaux que sont la Chine, l’Inde, les Etats-Unis, la Russie, l’Union européenne.
A ce propos, la Résolution CM/RES.464 (XXVI) du Conseil des ministres de l’OUA relative à la répartition de l’Afrique peut être un bon point de départ. Cette résolution divise l’Afrique en 5 régions : l’Afrique du Nord, l’Afrique de l’Ouest, l’Afrique Centrale, l’Afrique de l’Est et l’Afrique Australe, avec possibilités d’accords de partenariat entre elles. Un réaménagement politico-économique et institutionnel basé sur la vision de cette résolution me semble juste afin d’armer l’Afrique face aux empires de ce monde.
Suite à cette réorganisation, des mécanismes de solidarité devront être mis en œuvre comme techniques de traitement interne des difficultés budgétaires. Le cas de la zone CEMAC par exemple est intéressant de ce point de vue. Depuis la chute des cours du pétrole entamée en décembre 2014, cette zone regroupant 6 Etats, dont 4 quasi exclusivement assis sur la manne pétrolière, est en sérieuse tension budgétaire. La dette s’envole, les réserves extérieures sont maigrelettes et les plans d’ajustement du FMI se succèdent.
Des moyens de solidarité peuvent être imaginés par exemple avec la région sœur de l’UEMOA moins exposée de par ses membres aux aléas des cours du pétrole et des matières premières en général. Cette solidarité peut prendre la forme d’une mise en commun des réserves avec protocole de gestion strict afin de pallier les difficultés des voisins de la CEMAC en cas de baisse des cours des premières. Ces pistes intéressantes à creuser techniquement feront l’objet d’un futur article.