Dans la foulée de la présentation des résultats de la revue conjointe de la situation économique du Sénégal, où le Directeur des opérations de la Banque Mondiale a confirmé une alerte, lancée depuis quelques semaines par le candidat déclaré à la présidentielle Cheikh Hadjibou Soumaré, et nié en bloc par des dignitaires du régime moins experts que lui, le Ministre de l’Economie, des Finances et du Plan a accepté du bout des lèvres l’existence d’une situation budgétaire tendue.
Il s’empresse d’expliquer que cette situation est voulue car l’option a été prise par le Président de la République de faire de 2018 une année sociale.
Nous faisons le choix de faire une analyse très simple de cet aveu pour permettre à tout le monde de percevoir sous un angle (et pas le seul hélas) la dangerosité d’un tel propos. Nous faisons également le choix de ne pas entrer dans le détail des autres facteurs explicatifs de cette situation de tension pour ne pas sombrer dans le terrain glissant qui nous ferait sortir de notre devoir de réserve.
En énonçant que le Gouvernement, sous la dictée du Président, a préféré subventionner le prix du carburant à la pompe plutôt que d’appliquer la vérité des prix que la hausse conjuguée du dollar et du coût du baril impose, le MEFP étale une fois de plus les choix non éclairés de celui qui nous dirige.
En effet, en subventionnant ainsi le prix à la pompe, l’Etat renonce à des recettes qui peuvent, sur une année, atteindre les 100 milliards de francs CFA. Cette manne pourrait servir à soulager l’Etat d’une bonne partie de la dette intérieure qui étouffe les moyennes entreprises lesquelles emploient pus de 80% de la population salariée du privé. Cette manne aurait pu permettre de régler le problème des dettes dues aux écoles privées du supérieur qui sont allées jusqu’à expulser les étudiants pris en charge par l’Etat. Cette manne aurait pu permettre de soulager beaucoup de paysans qui souffrent dans le digne silence malgré les chiffres pompeux et les réussites annoncées par un Gouvernement qui semble atteint de cécité sur la souffrance réelle des populations. Cette manne aurait pu régler beaucoup de problèmes…
Pourquoi un tel choix politique est dangereux ?
A l’analyse, il s’avère que ce choix de bloquer les prix à la pompe n’est mû que par une volonté de comparaison avec le régime précédent et un affichage artificiel sur un coût de la vie pas cher. Toutefois, aucune rationalité économique ne peut justifier de subventionner la partie la plus nantie de la population au risque de destructurer toute l’économie nationale.
A l’évidence ceux qui vont à la pompe (personnes physiques comme entreprises) et qui bénéficient de façon directe de cette subvention sont ceux qui ont un ou plusieurs véhicules et donc les moyens de payer du carburant et d’entretenir ce parc automobile. Augmenter le litre de carburant de 100 francs est plus supportable pour ces agents économiques que ne pas percevoir son dû après service fait, et donc avance des coûts de production pour des entreprises dont la santé financière est précaire. Même à supposer que la frange la moins nantie de la population soit affectée par cette hausse du fait des transporteurs publics, la hausse à l’unité ne dépasserait pas 10 ou 15 francs. Cela est plus supportable à l’échelle individuelle que pour une école privée qui doit payer un loyer et des enseignants qui ne comptent que sur ces rémunérations pour faire vivre une famille. Quelle rationalité économique pourrait admettre que les entreprises les plus solides puissent bénéficier de cette subvention (même si elles sont des « passagers clandestins » dans cette situation), alors que ça peut affecter la capacité de l’Etat à faire face à des dépenses pouvant profiter aux paysans des zones rurales qui participent malgré eux dans ce choix hasardeux de subventionner le carburant pour les plus nantis.
Année sociale vous dites ? Sauvez nos petites et moyennes entreprises des dettes qui plombent leurs efforts de développement et vous aurez fait un grand pas dans ce sens.
Année sociale vous dites ? Soulagez nos populations rurales de la misère dans laquelle elles sont engluées pour qu’elles puissent au moins voir la couleur de la queue du diable pour la tirer.
Mamadou Gueye est Inspecteur des impôts et des domaines, président de la Convention Citoyenne NENEEN