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Les Aveux Embarrassants De Suez À Jeune Afrique

Si l’on en croit Suez (assurément bien informé de l’évolution du contrat d’affermage de l’hydraulique urbaine), il ne resterait que quelques jours pour que l’ARMP annonce son verdict après le double recours contentieux de la SDE et Veolia, suite à l’attribution provisoire dans des conditions inédites, accordée au puissant groupe français, par le ministère de l’Hydraulique et de l’Assainissement.

Dans l’entretien réservé à Jeune Afrique, hebdomadaire panafricain publié à Paris (édition du 19 novembre), le Directeur Général Adjoint de Suez (pas moins), M. Bernard Camus retrace, avec de troublants détails, les étapes de l’acquisition de son « futur trophée » au Sénégal. Sans aucun souci de la clause de confidentialité observée par ses adversaires. Tel un rouleau compresseur, il égrène ses conquêtes africaines : Maroc, Algérie, Ouganda, Niger, Ngéria, Bénin à coups de dizaine de milliards. Il ne manquait plus que le Sénégal où il ne pouvait plus se limiter à construire des stations de pompage et de traitement, (KMS 1, KMS 2 et KM3), pour la bagatelle de 60 milliards. Mais visiblement, c’est un bien maigre mets pour le Gargantua français. L’enjeu des 1 500 milliards du nouveau contrat d’affermage pour les quinze prochaines années valait bien la chandelle pour Suez.

L’entreprise française a beau roulé des mécaniques que la balle reste dans le camp de l’ARMP, qui mérite que confiance lui soit faite.

Quoi d’anormal, si simplement, le groupe français accrochait le Sénégal à son tableau de chasse, dans les meilleures conditions de transparence et de respect du code des marchés publics ? Quoi de scandaleux, si Suez, après ses déboires en Indonésie et en Argentine (et au Sénégal en 1996, son offre technique ayant été rejetée), s’emparait dans les normes éthiques de la Délégation de Service Public de l’eau ? Surtout qu’à partir de 2012, le gouvernement sénégalais a eu une bonne inspiration en annonçant le lancement d’un nouvel appel d’offres, après plusieurs avenants décidés d’accord parties avec l’état et la SONES.

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Personne n’aurait trouvé à dire, puisque les appels d’offres internationaux sont par essence ouverts à toutes les entreprises, sans obligation de faveur à la préférence nationale. Sans présumer du verdit de l’ARMP, les accents triomphalistes du DGA de Suez à Jeune Afrique sont de nature à gêner le gouvernement sénégalais. A la longue, ils pourraient s’avérer même accablants, si l’on pousse plus loin l’analyse sémantique des déclarations de M. Camus, affichant ouvertement, tout le dispositif humain et financier déployé, pour décrocher la manne sénégalaise. Jugez-en les propos de M. Camus « une cinquantaine de collaborateurs et plusieurs millions d’euros ont été déployés » pour la cause. Comment ? Au profit de qui ? Et pour tout couronner, le recours aux services de Mme Diane Binder (membre du conseil présidentiel pour l’Afrique de l’Elysée instauré par Emmanuel Macron). Mme Binder aurait effectué des récents séjours au Sénégal auprès des autorités diplomatiques et consulaires françaises. Que dire aussi d’Eric Ghébal connu pour son sulfureux lobyying, désormais en service commandé à Suez, pour les besoins du contrat ?

Le plus gênant dans cette orgie d’auto-glorification de Suez, c’est que le groupe Français, s’est approprié les éléments de langage du ministère de l’hydraulique, en jugeant son offre plus « cohérente » que celles de ses concurrents. Comme si la qualité de son dossier technique et son prix suffisaient à l’introniser, en dépit des règles d’attribution des marchés publics. Il est vrai que l’entreprise peut difficilement justifier son écart de Prix Exploitant comparé à celui de la SDE. Il n’a aucun argument à présenter pour justifier la bagatelle de 50 milliards que le consommateur sénégalais va supporter si son offre passe. Pas plus que Suez, nulle part, ne peut alléguer qu’une entreprise de droit sénégalais, composée quasi entièrement de cadres et de travailleurs sénégalais gère avec efficacité et professionnalisme l’exploitation du service de l’eau, 22 ans durant, sans en avoir la capacité technique présentée comme la justification du choix du gouvernement. Les rapports sur les incidents de 2013 et 2015 dans les usines de KMS part des cabinets indépendants posent plusieurs hypothèses mais sans mettre en cause formellement l’exploitation. Le système de protection en aval est-il fonctionnel ? Les entretiens des anti-béliers ont-ils été effectués dans les délais et les meilleures conditions ? Autant de questionnements sur lesquels il faudrait apporter les vrais éclairages.

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En revanche, Suez, constructeur devrait expliquer au gouvernement et aux Sénégalais, pourquoi la capacité de l’anti-bélier est passée, sans coup férir de 600 à 150 m3. Ces péripéties, loin d’être anodines posent le vrai problème de notre souveraineté hydraulique si jamais Suez arrivait à remporter, contre toute logique, la DSP. En effet, il faut bien rappeler que Suez a construit les 3 KMS et pourrait en devenir l’exploitant. Il contrôlerait toute la chaîne du fil de l’eau. Qui assurerait alors la réception des stations vu que le constructeur est l’exploitant ? Qui pourrait détecter les vices cachés éventuels et situer les responsabilités en cas de gros pépin comme en 2013 et 2017 ? Certes, en exploitation le risque zéro n’existe pas. Mais pouvoir se donner les moyens de contrôle dans un service aussi stratégique, est une précaution élémentaire dont le Sénégal se priverait si Suez arrivait à être juge et partie.

Malgré les accents triomphalistes de son DGA dans Jeune Afrique, Suez doit comprendre que les 15 millions de Sénégalais ne sont pas un simple marché appelé à être « la vitrine de son savoir-faire en Afrique de l’Ouest.» Ils attendent d’un exploitant, le respect, la considération et la solidarité, puisque la compétence et le savoir-faire sont déjà à domicile ? Et surtout, ils n’entendent pas du tout être laissés à l’abandon, comme les Indonésiens et les Argentins le furent par Suez après des difficultés ardues.

Fort de ses 15,9 milliards d’euros de chiffre d’affaires en 2017, Suez peut s’autoriser toutes les audaces. Même celles de « ne plus craindre l’Afrique » malgré ses déboires et ses dérives. L’Afrique a elle, tout à craindre de Suez. Et pour cause…

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mndiaye@  

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