Les flux financiers illicites (FFI) ont une importance capitale sur le développement économique, social et même politique de l’Afrique. Ils contribuent à appauvrir le continent. Durant ces cinquante dernières années, l’Afrique a perdu plus de 1’000 milliards de dollars dû aux FFI.
Qu’est-ce que les flux financiers illicites (FFI) ?
Selon le « Rapport du Groupe de haut niveau sur les flux financiers illicites en provenance d’Afrique », datant de 2015 et établi à la demande de la Conférence conjointe de l’Union Africaine (UA) et de la Commission économique pour l’Afrique (CEA) « Il s’agit des fonds qui sont reçus, transférés ou utilisés de façon illégale. »
Ce rapport et son Groupe de haut niveau, dirigé par l’ancien Président d’Afrique du Sud, Thabo Mbeki, décrit l’importance qu’ont les FFI sur le développement économique, social et politique du continent africain. Plus important en-core, et toujours selon ce même rapport, il est constaté que durant les 50 dernières années, l’Afrique a perdu plus de 1’000 milliards de dollars dans les flux financiers illicites. Montant équivalent presque à l’ensemble de l’aide publique au développement qu’elle a reçu. 1’070 milliards de dollars plus exactement, selon l’Organisation de coopération et de développement économique (OCDE). Il est estimé, chaque année que du fait de ces flux, l’Afrique perd plus de 50 milliards de dollars.
La Suisse : mauvais élève du secret bancaire
Comme relevé par Juan Pablo Bohoslavsky, « La Suisse est une place financière de premier plan et un centre mondial pour la gestion transfrontalière d’avoirs privés, dont la part de marché mondiale est estimée à 25 %. Son secteur fi-nancier contribue à hauteur de 9,1 % au produit intérieur brut (PIB), et les avoirs détenus dans les banques suisses par des titulaires non résidents de comptes de dépôts s’élèvent à 2 920 milliards de francs ».2
Nous nous souvenons des Pana-ma Papers 3, en 2016, ainsi que des Paradise Papers4, en 2017, fuitant des millions de documents dénonçant les pratiques frauduleuses de cabi-nets d’avocats et de leurs clients, ont livré des informations sur des milliers de sociétés offshore. Ces données ont été partagées avec l’International Consortium of Investigative Journalists (le consortium international pour le journalisme d’investigation), basé à Washington. Ce même consortium avait publié en 2015 plusieurs recherches d’investigation dénonçant la branche suisse d’une des plus grandes banques au monde, la HSBC, qui faisait des affaires avec des fraudeurs et des criminels du monde entier. Elle rassurait ses clients de la confidentialité et la non-transparence de ses politiques, et qu’elle ne partagerait pas les données de leurs comptes en banque, même si les preuves suggéraient que les comptes n’étaient pas déclarés aux autorités des pays d’origine de leurs clients, favorisant ainsi la fraude fis-cale.5
Selon le Financial Secrecy Index (indexe du secret bancaire) du Tax Justice Network (TJN) publié au 31 janvier 2018, la Suisse est en première position dans la liste des 10 juridictions au monde promouvant le secret bancaire. Les juridictions secrètes, ou plus communément, les paradis fiscaux, comme la Suisse, utilisent le secret bancaire pour attirer les flux financiers illicites, illégitimes et abusifs. 6 Ceci produit des impacts directs sur des pays plus « vulnérables », ne possédant pas d’institutions juridiques et politiques solides pour contrer ces fraudes, et contrer les FFI.
La lutte contre les FFI et les juridictions secrètes : importance du partage de la connaissance
Une fois par année, Trust-Africa, Tax Justice Network Africa (TJNA)7, le Pan African Lawyers Union (PALU)8 (Union panafricaine des avocats) et d’autres acteurs clés du continent africain ainsi que ceux de certains pays occidentaux se réunissent pour discuter des enjeux et défis des FFI provenant d’Afrique. Cette année, la 6ème édition de la « Conférence Pan Africaine sur les flux financiers illicites et l’imposition » a eu lieu du 17 au 18 octobre 2018 à Nairobi, la capitale du Kenya, située en Afrique de l’Est. Plusieurs thèmes ont été abordés mais plus précisément le lien entre les FFI et la corruption, comment ceux-ci affectent les régimes fiscaux nationaux, ainsi que le défi du partage des connaissances en la matière avec les populations concernées.
Il a été noté que les campagnes de sensibilisation lancées en Afrique, comme la campagne « Stop the Bleeding » 9 (Arrêtons la saignée), lancée par TrustAfrica en collaboration avec d’autres organisations de la société civile, doivent être revues et rediscutées afin de créer de nouveaux plaidoyers à utiliser sur le terrain pour renforcer les actions en faveur de la lutte contre la corruption et des changements de politique continentale. Il est très important de partager les informations et connaissances sur les FFI et leurs liens avec la corruption auprès des populations. Ceci se fait de plus en plus au travers de campagnes digitales utilisant Twitter ou Facebook afin de toucher le plus de monde possible. Il est crucial que les citoyen(ne)s prennent conscience du coût humain que la corruption et les FFI ont sur leurs vies afin de se sentir concernés par le problème et de participer à rendre leurs gouvernements et les entreprises responsables.
C’est pourquoi TrustAfrica 10 a créé une plateforme de connaissances sur son site internet, qui est une base de données qui met à disposition du public plusieurs documents expliquant le phénomène ainsi que ses défis. Cette plateforme permet de collecter les informations et connaissances sur le sujet afin d’en informer le grand public.
Par Amandine Rushenguziminega
TrustAfrica