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Faut-il BrÛler Le Conseil Constitutionnel ?

Faut-il BrÛler Le Conseil Constitutionnel ?

Ainsi dans la perspective de la présidentielle de février 2019, les professionnels de l’information devraient être amenés à collaborer avec le Conseil pour éviter toute information fausse qui pourrait nuire à son image. La haute instance juridictionnelle entend désormais fluidifier ses rapports avec la presse. Ainsi, Pape Oumar Sakho, le président du Conseil constitutionnel est convaincu que «la justice doit s’ouvrir au large public par le biais des médias». Parce qu’il est conscient qu’il «est nécessaire de faire comprendre la mission du Conseil constitutionnel et de faciliter l’accès aux informations qui en émanent». Et pour cela, Pape Oumar dit «compter sur le Synpics dans l’espoir d’établir un dialogue permanent avec les journalistes.» L’ennui, c’est que le Synpics ne regroupe pas tous les journalistes du Sénégal, loin de là, mais passons… Le thème en soi montre qu’il n’y a jamais eu de véritable dialogue entre les médias et le Conseil constitutionnel. Toujours est-il que l’institution estime que c’est le moment de trouver en cette presse un partenaire stratégique afin de donner une image plus reluisante que celle qu’elle a véhiculée d’elle depuis presque trois décennies. Mais qu’est-ce qui a pu se passer pour que la haute juridiction sorte le 18 juillet passé un communiqué au vitriol pour crucifier la presse ? 

Il est vrai que cela faisait suite à la chronique du 13 décembre 2017 de Pape Alé Niang qui révélait un complot qui aurait été ourdi au palais de la République en présence de tous les chefs de juridictions dans le sale dessein d’empêcher la candidature du maire de Dakar, Khalifa Sall. En décembre 2017, un chroniqueur politique a nommément cité le Président du Conseil constitutionnel parmi les participants à une réunion qui se serait tenue au Palais de la République. Cette rencontre avait pour objectif, selon lui, de planifier et d’organiser une procédure ayant pour finalité de poursuivre, détenir et condamner Khalifa Sall, député et maire de Dakar. Dans le même sillage, le journal Wal Fadjri faisait état d’une «réunion secrète» qui aurait été organisée le 25 juin 2018 au ministère de l’Intérieur, en vue d’étudier les voies et moyens d’invalider la candidature de M. Karim Wade à l’élection présidentielle 2019. A toutes ces rencontres secrètes, un membre du Conseil constitutionnel aurait participé. Outrés par de telles informations qualifiées de «mensongères», les juges constitutionnels avaient choisi de produire un simple démenti à la place d’une plainte pour diffamation. Cela aurait clarifié les choses si les informations livrées par les confrères étaient dénuées de tout fondement comme le soutenait le communiqué en question.

Pourtant l’invalidation de la candidature de Khalifa Sall à la prochaine présidentielle n’est plus une chimère même s’il reste le recours à la Cassation au niveau de la Cour suprême qui doit achever le travail accompli par le procureur de la République Serigne Bassirou Guèye, le doyen des juges Samba Sall, le juge Malick Lamotte et le juge d’appel Demba Kandji. 

Le Garde des Sceaux, Ismaïla Madior Fall, lors de son récent passage à l’Assemblée nationale a suppléé la Cour suprême en condamnant définitivement Khalifa Sall. Même si l’information de Pape Alé avait été qualifiée de diffamatoire, il est avéré que la suite des événements subséquents lui a donné raison. Il en est de même pour Karim Wade. Ali Ngouille Ndiaye l’a disqualifié via la Direction générale des élections (DGE) sans aucun respect de la justice. 

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La Cour suprême, saisie en la matière, s’est déclarée incompétente à propos de l’invalidation de l’inscription du candidat du PDS par les services d’Ali Ngouille Ndiaye. Ce que Wal Fadjri avait déclaré sans circonlocutions. Pourquoi les «Sages», habitués à s’engoncer dans un mutisme légendaire, ont-ils décidé à brûle-pourpoint de sortir de leur réserve habituelle comme l’indique le communiqué 9 juillet 2018 ? Cette envie de vouloir coopérer avec les journalistes, toujours considérés comme des diffamateurs, nous parait louches à quelques semaines de l’échéance électorale de février 2019. 

Y aurait-il une volonté inavouée d’anesthésier cette presse critique à l’égard du Conseil constitutionnel chaque fois que la haute cour déclare son incompétence là où elle devait se prononcer souvent avec un devoir d’ingratitude comme le disait le ministre de la Justice Robert Badinter au Président François Mitterrand qui venait de le nommer dans son premier gouvernement après son sacre de 1981 ? Une institution connue plus par son incompétence confessée que pour son courage. Mais n’en déplaise le président Pape Oumar Sakho, «ces critiques qui font mal», selon ses mots, ne s’arrêteront pas tant que la haute juridiction donnera l’image d’une «Curia praesidentis» c’est-à-dire d’une Cour du Président. 

C’est rare de voir un Sénégalais, dans la diversité de la composition de notre pays, apprécier positivement le travail de l’institution constitutionnelle. La seule fois où l’on avait vu le Conseil constitutionnel rendre une décision qui s’oppose à la volonté du pouvoir, c’est en mars 2001, quand PDS avait voulu utiliser le nom du Président Abdoulaye Wade et son image pour les législatives de la même année. Face à la volonté du chef de l’État, Abdoulaye Wade, de participer avec son effigie aux élections législatives de 2001, le Conseil constitutionnel avait répondu par une fin de non-recevoir courageuse. 

En effet, les «Sages» avaient estimé dans leur décision du 26 mars 2001 que « le principe d’égalité entre les partis ou coalitions de partis commande qu’ils connaissent le même traitement ; qu’ainsi, aucun d’eux ne peut, au cours d’une compétition électorale à laquelle le Président de la République n’est pas candidat, utiliser l’image et les attributions constitutionnelles de celui-ci». En conséquence, «le nom «WADE» et la photographie du président de la République ne doivent pas figurer sur le bulletin de vote de la «Coalition WADE»…». A l’époque, le brillant professeur de droit Alioune Sall n’avait pas manqué de louer cet acte rare chez nos «Sages» en déclarant ceci : «Voici en effet une des rares, peut-être trop rares décisions dans lesquelles la Haute juridiction sénégalaise se libère quelque peu du corset des textes qui régissent sa compétence, et ose, pour une fois, rompre avec l’obsession de la compétence d’attribution». Malgré cette jurisprudence, pourtant lors des législatives de 2017, Bennoo Bokk Yaakaar s’est servie de l’image du président Macky Sall sans être inquiétée par la haute juridiction. 

Que de rendez-vous manqués ! A part cette décision historique de mars 2001, le Conseil n’a presque jamais émis un avis ou une décision qui contredise, en quoi que ce soit, le pouvoir, y compris quand il s’agissait de textes absurdes. En janvier 2012, c’est l’institution dirigée par feu Cheikh Tidiane Diakhaté qui avait validé contre toute attente la candidature du Président Abdoulaye Wade. Conséquence : deux morts, plusieurs blessés et un pays qui sombre dans l’embrasement le 31 janvier 2012. Tout cela à cause d’une décision irréfléchie du Conseil constitutionnel.

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Ismaïla Madior Fall : «Il y a toujours une suspicion légitime sur le Conseil constitutionnel» 

D’ailleurs, cette validation avait exaspéré le professeur Ismaïla Madior Fall, actuel ministre de la Justice, au point que, lors de l’émission dominicale le «Grand jury» de la RFM, il avait déclaré sans aménités ceci : «Ceux qui ont une autorité en matière de science du droit constitutionnel avaient considéré, dans leur écrasante majorité, à peut-être une ou deux exceptions, que la candidature du président n’était pas conforme à la constitution. Donc, l’on s’attendait à ce que le Conseil constitutionnel invalide simplement cette candidature. Il y a toujours une suspicion légitime sur le Conseil constitutionnel. Ce qui fait qu’il apparaît comme une cour de juridiction qui est à l’instar de la Tour de pise, inclinée d’un côté, et c’est celui du pouvoir». Et le contempteur de la juridiction constitutionnelle de conclure : «Les Sages ne devaient pas ignorer la valeur juridique de la déclaration du président Wade de 2007, lorsque lui-même indiquait qu’il ne pouvait pas se présenter. Les manifestations et l’effervescence populaire, le Conseil constitutionnel ne doit pas les ignorer. Il ne peut pas les ignorer. Un juge constitutionnel doit aussi être à l’écoute de sa société politique et pouvoir anticiper sur l’avenir. Parce que le droit constitutionnel, c’est un droit dans lequel il y a des considérations non juridiques qui influent et parfois influencent la décision du juge».

C’est donc dire que, pour justifier ses décisions, le Conseil constitutionnel doit être aussi attentif aux arguments souvent non juridiques avancés et à marquer le plus possible son détachement des influences politiques exercées. Quand il s’est agi de trancher sur la réduction du mandat présidentiel, la haute juridiction, compétente par intermittences, a tendu la perche au Président Macky Sall qui s’est réfugié derrière elle pour ne plus honorer un engagement électoral majeur. Et cela après que Garde des Sceaux Ismaïla Madior Fall eut déclaré, le 3 janvier à l’émission «Remue-ménage» de la RFM, que «les avis rendus par le Conseil constitutionnel lient le président de la République, lequel est obligé de suivre l’avis du Conseil constitutionnel quel qu’il soit ». Ainsi le 17 février 2016, les Sages ont «enjoint» Macky Sall, qui les a tous nommés, de respecter la Loi fondamentale puisque «le mandat en cours du président de la République connaîtra son terme en 2019». 

Comble de forfaiture, lors des élections législatives du 30 juillet 2017, les «Sages», ou prétendus tels, sur demande ou exigence du Président Macky Sall ont pris la place de l’Assemblée nationale pour torpiller le code électoral en décidant que «l’électeur n’ayant pu retirer sa carte nationale d’identité CEDEAO faisant office de carte d’électeur, mais dont l’inscription sur les listes électorales est vérifiée, peut voter sur présentation de son récépissé d’inscription accompagné d’un document permettant de s’assurer de son identité». 

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C’est l’aubaine qu’attendait le pouvoir pour user exponentiellement d’ordres démission et faire basculer le vote dans un lieu comme les Parcelles assainies, fief de Taxawu Dakar. Pourtant, en tant que juges électoraux, Pape Oumar Sakho et ses collègues auraient dû ajourner ces élections puisque un million de Sénégalais n’avaient pas reçu leurs cartes pour pouvoir voter. Mieux, depuis la fin des législatives, les Sénégalais attendent désespérément une étude ou un rapport évaluatif des «Sages» sur l’organisation catastrophique des élections législatives de 2017 qui ont vu un million de Sénégalais être privés de la possibilité de voter pour le candidat de leur choix. 

Quand le Conseil se trompe de cible ! 

D’ailleurs, en voulant simplement établir un dialogue avec la presse, le Conseil constitutionnel s’est trompé de cible. Cette juridiction doit s’ouvrir plutôt au peuple parce qu’étant le «représentant du peuple perpétuel, seul souverain» comme le dit Philippe Blachèr, professeur de droit à l’Université de Lyon III. Mais que voit aujourd’hui ? Un Conseil constitutionnel autiste replié sur lui-même. Aucun moyen d’information ! Même le site web dont a parlé le juge Pape Oumar Sakho est inaccessible depuis fort longtemps. Dès lors qu’on clique sur http://conseilconstitutionnel.sn/accueil/, il y est indiqué le message suivant : «Excusez-nous pour la gêne occasionnée. Votre site web est actuellement en maintenance». Et même quand il était fonctionnel, on ne pouvait y recueillir aucune information. A part les résultats des législatives, qui d’ailleurs figuraient sur plusieurs sites, tous les Avis et Décisions du Conseil constitutionnel portent la mention «Protégé – est protégé par un mot de passe ». Si c’est protégé, pourquoi les mettre en ligne ? Pourtant les Avis et Décisions ne doivent pas être frappés du sceau « secret d’Etat ». Ainsi partant d’une analyse comparative de quatre juridictions constitutionnelles en Afrique de l’Ouest (Mali, Bénin, Côte d’Ivoire, Gabon), l’analyste Seybani Sougou résidant en France démontre que le Sénégal a fait un prodigieux bond en arrière en matière de démocratie et de pratiques constitutionnelles déconsolidantes. Ce qui fait qu’il serait le dernier de la classe.

Aujourd’hui, le sentiment le mieux partagé chez les citoyens est que le Sénégal pourrait facilement se passer de cette institution inutile et partisane et transférer ses pouvoirs à une juridiction autrement plus compétente et plus neutre. Autrement dit, ce n’est une «collaboration» — on nous prend pour des «collabos» ?  Ou une ouverture à la presse qui donnera une image moins repoussante de cette juridiction couchée et toujours «compétente» pour exécuter les desiderata du Président en fonction. 

Loin de nous l’idée de dénigrer l’éthique des membres du Conseil, mais il y aura toujours un doute sur leur neutralité du fait de la «compétence» qu’ils affichent ostensiblement pour exécuter la volonté présidentielle et de l’«incompétence» répétitive dont ils font montre quand les opposants demandent leur arbitrage sur des points de divergence avec le pouvoir en place. Bien évidemment, une telle couardise, pour ne pas dire une telle inféodation au pouvoir en place, ce n’est pas ce qu’attendent les Sénégalais de leur plus haute juridiction.

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