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Faut-il Bruler La Cedeao ?

Les positions adoptées par les chefs d’Etat de la Cédéao pour, dit-on, faire de la médiation dans la crise malienne, relèvent soit de l’irréalisme soit de la méconnaissance des aspirations des peuples qu’ils sont censés représenter. Il existe deux Cédéao : une des chefs d’Etat réunis en un syndicat pour se défendre mutuellement contre l’autre Cédéao, celle des citoyens de l’espace communautaire désormais décidés à prendre leurs responsabilités pour régler leurs propres comptes et ceux de leurs dirigeants. Pris de panique, les chefs d’Etat de la Guinée et de la Côte d’Ivoire, qui ont voulu régler d’avance leurs problèmes personnels à travers la crise malienne, ont lamentablement échoué. Marquant ainsi un énième échec pour la Cédéao dans la gestion des crises.

« La Cédéao ne tolérera pas le désordre au Mali !» Ces propos du président ivoirien, Alassane Ouattara, pour parler des manifestations des contestataires du Mali réunis au sein du M5-RFP, révèlent l’état d’esprit de leur auteur. Lequel se comporte d’ailleurs comme un super président au-dessus de ses pairs de la Cédéao auxquels il dicte sa vision, selon ses propres intérêts. C’est le cas pour les sanctions contre le Mali qu’il a décidées et fait appliquer, avant même la tenue du sommet extraordinaire des chefs d’Etat pour leur validation. Que dire aussi de son homologue guinéen qui prône de mater tout simplement les manifestants au Mali, au lieu de les ménager en discutant avec eux.

En réalité, il pense pouvoir exporter dans un pays voisin ce qu’il fait chez lui sans scrupules et sans être rappelé à l’ordre par ses pairs de la Cédéao. Comme toujours, c’est quand le peuple se défendra contre les agressions des gouvernants que la Cédéao va accourir pour faire de la diversion. Si on considère les sanctions que la Cédéao s’est empressée de prendre à l’encontre, non de la junte qui a renversé le président IBK, mais du peuple malien, il y a donc bien, en trame de fond, une Cédéao des chefs d’Etat en guerre contre une Cédéao des peuples. Et c’est d’autant plus vrai que le président ivoirien et son compère de la Guinée sont allés jusqu’à proposer une intervention militaire de la Cédéao au Mali pour remettre en selle le président démissionnaire, Ibrahim Boubacar Keïta.

La mobilisation de la force d’attente de la Cédéao a été proposée par le président Alassane Ouattara, appuyé par le président Alpha Condé. Ce duo prônait ainsi de faire descendre l’enfer sur les Maliens dont le seul tort – si c’en est un — est de dire à leur chef d’Etat que son incompétence a dépassé les limites du tolérable. Imaginons un peu la scène d’une armée, prétendument de la Cédéao, s’en prendre à des fils de la Cédéao, parce qu’ils ne veulent plus de leur chef d’Etat, lequel a d’ailleurs rendu sa démission.

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A défaut d’être suivi par les autres chefs d’Etat de la Cédéao, Alassane Dramane Ouattara, comme s’il était à lui seul la Cédéao, impose au Mali des sanctions sous forme de blocus économique et financier que son gouvernement s’empresse d’appliquer, avant même que la Conférence des chefs d’Etat ne se prononce. Voilà donc ce qu’est la Cédéao, ce machin aux mains de chefs d’Etat qui s’en servent uniquement pour se défendre mutuellement et se maintenir au pouvoir. Une dictature sur le peuple de la Cédéao qui a compris ce jeu malsain de ses dirigeants, au point de ne plus accorder un brin de crédit à l’organisation communautaire.

La crise malienne a davantage mis à nu les tares de l’organisation ouest africaine en matière de prévention et de résolution des conflits. L’histoire de la Cédéao est d’ailleurs jalonnée d’échecs. Aussi bien dans les médiations en matière de conflit que dans les questions sécuritaires. Et d’ailleurs, des chefs d’Etat qui n’arrivent même pas à mettre en œuvre leurs propres résolutions, peuvent-ils imposer leur volonté à un peuple souverain et déterminé ? Si dans le cadre de la médiation sur la crise malienne les émissaires de la Cédéao, conduits par l’ancien président du Nigeria, Goodluck Jonathan, ou les chefs d’Etat venus à Bamako en fin juillet avaient dit la vérité au président IBK afin qu’il lâche du lest, notamment en acceptant de faire des concessions à l’opposition, il n’aurait pas perdu son fauteuil. Mais en lieu et place, les Maliens ont eu droit à des mesures de protection du fauteuil d’un membre du syndicat des chefs d’Etat, accompagnées de menaces de sanctions contre des citoyens qui usent de leur droit de manifester et d’exprimer leurs aspirations. Première mesure : la démission immédiate des 31 députés dont l’élection est contestée

En imposant comme première mesure la démission immédiate des 31 députés dont l’élection est contestée et l’organisation d’élections législatives partielles dans les circonscriptions concernées, la Cédéao s’est mise hors la loi.

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En fait, peut-elle exiger la démission d’un député déclaré élu par la Cour constitutionnelle, sous le prétexte que son élection est contestée et empêcher à des militaires d’exiger la démission d’un président de la République contesté ? Si les candidats aux législatives qui se déclarent floués ont été entendus par les émissaires de la Cédéao, ce ne fut pas le cas pour ceux déclarés élus, ignorés par les différents émissaires. C’est là une énième preuve de la fourberie des décisions de la Cédéao.

Deuxième mesure, la recomposition rapide de la Cour Constitutionnelle C’est une véritable ingérence dans les affaires intérieures du Mali que d’exiger, par des voies extra légales, la recomposition de la Cour constitutionnelle avant la fin du mandat de ses membres. Selon la Constitution malienne, IBK ne pouvait le faire qu’en ayant recours à l’article 50, lequel lui octroie des pouvoirs exceptionnels en période de crise. Mais le faire, c’est reconnaître en même temps qu’il y a une crise qui menace la stabilité nationale, ce qu’il ne voulait pas et a suivi la Cédéao dans la forfaiture.

Troisième mesure, la mise en place rapide d’un Gouvernement d’union nationale avec la participation du M5-RFP et de la Société civile Les ministres en charge de la Défense, de la Justice, des Affaires Etrangères, de la Sécurité intérieure et les Finances, autrement dit les ministres de souveraineté, pouvaient être nommés avant la formation du Gouvernement d’union nationale. Comment faire une telle proposition pour pourvoir les ministères régaliens avant d’appeler les autres à venir faire de la figuration ?

En plus, il faut nommer un Premier ministre avant de désigner un quelconque ministre et le poste de Premier ministre était réclamé par le M5-RFP pour renoncer à l’exigence de la démission d’IBK. En appliquant cette mesure, avec la reconduction du Premier ministre Boubou Cissé trop contesté, IBK a bravé son peuple et l’affrontement était inévitable. A y voir de près, la Cédéao a précipité la chute du président IBK.

Quatrième mesure, la mise en place rapide d’une commission d’enquête Une commission d’enquête pour déterminer et situer les responsabilités dans les violences qui ont entraîné des décès et des blessés les 10, 11 et 12 juillet 2020, ainsi que les destructions des biens publics et privés. Une façon de protéger le pouvoir en place en procédant à l’enterrement de première classe de ce dossier que doit connaître la Cour pénale internationale saisie par des avocats maliens.

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Cinquième mesure, la mise en place d’un Comité de suivi de toutes ces mesures C’est pour mettre la pression sur les Maliens comme s’il s’agissait d’un problème à régler en un tournemain. Malgré l’échéance du 27 juillet qui a été fixée, les contestataires réunis au sein du M5-RFP sont restés de marbre parce que ne se retrouvant pas dans les décisions de la Cédéao qui ne cherchaient qu’à briser leur élan et sauver le régime IBK.

Sixième mesure : la mise en place par la Cédéao d’un régime de sanctions Des sanctions sont brandies contre ceux qui poseront des actes contraires au processus de normalisation de la crise. Une épée de Damoclès que la Cédéao a voulu maintenir au-dessus de la tête des dirigeants du M5-RFP. Mais en accentuant la pression sur les opposants contestataires, en leur fixant un délai pour qu’ils se soumettent à ses décisions, la Cédéao a joué sa crédibilité dans le cas du Mali. Et elle l’a perdue ! C’est parce qu’au niveau de la Cédéao, le chef d’Etat a toujours raison sur son peuple – qui l’a pourtant élu — et par conséquent, il faut soumettre ce peuple à l’obéissance, hic et nunc. Eh bien, l’obéissance forcée imposée par la Cédéao en réponse à la désobéissance civile du peuple malien a produit un résultat final qui ne se trouvait pas dans les calculs du syndicat de chefs d’Etat. Calculs ?

C’est effectivement de cela qu’il s’agit car, à travers le cas du Mali, les chefs d’Etat des pays membres de la Cédéao tentaient de créer une jurisprudence. Ce, pour désormais casser de l’opposant sans coup férir. D’où cet acharnement sur les Maliens et la junte du colonel Goïta de la part des présidents Alpha Condé et Alassane Ouattara. Deux présidents qui paniquent déjà à l’idée de voir le peuple et les militaires maliens inspirer leurs propres peuples dans leur combat contre le troisième mandat qu’ils veulent leur imposer. En violation des constitutions de leurs pays qu’ils ont tripatouillées. Hélas, c’est échec et mat à l’examen blanc pour Alpha Condé et Alassane Ouattara. Ce qui n’augure rien de bon pour l’examen final chez eux, dans peu de temps, face à la déferlante populaire.







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