À un peu plus de 2 mois du scrutin fatidique du 24 février prochain, le tohu-bohu lors du dépôt des candidatures au siège du Conseil constitutionnel, en vue des prochaines présidentielles, semble être annonciateur de troubles pré-électoraux de plus grande ampleur.
Comment ne pas être inquiet, en effet, quand pour un simple dépôt de candidatures à la prochaine présidentielle, on assiste à d’épiques séances de pugilat entre d’importantes autorités du pouvoir et de l’opposition (ministres, députés…), qui n’ont aucun scrupule à se livrer à des querelles de chiffonniers, à de violentes bagarres nécessitant l’intervention de la Gendarmerie Nationale.
Mais ce ne sont là que les premiers effets de la loi scélérate sur le parrainage. Cette situation regrettable et inédite dans notre pays est révélatrice du degré de déliquescence de nos mœurs politiques, entamée sous l’ère Wade et accentuée depuis l’accession de son successeur au pouvoir.
Depuis la survenue de la première alternance démocratique de 2000, la classe politique sénégalaise pensait en avoir fini avec les fraudes électorales. Mais depuis lors, on a surtout assisté à une aggravation de la perversion des mœurs politiques avec le phénomène honni de la transhumance, la poursuite du clientélisme politicien et la prise en otage des Institutions.
Le régime de Benno Bokk Yakaar, quant à lui, fait preuve, depuis le début, d’une obsession quasi-maladive de conservation du pouvoir, en faisant fi de traditions républicaines bien assises, à l’origine de dérives liberticides, qui menacent la stabilité de notre pays. Pour arriver à ses fins, le pouvoir use aussi de recettes propagandistes dignes des régimes totalitaires, d’où cette propension à travestir la réalité socio-économique, à procéder à des inaugurations tous azimuts, à organiser de grand-messes politico-folkloriques, à flirter avec le culte de la personnalité, en mettant le clan présidentiel au centre d’une permanente et gigantesque opération de marketing (sponsorings tous azimuts, photos géantes du “guide suprême” sur toutes sortes d’affiches publicitaires…).
Comment comprendre, dans ces conditions, qu’un président relativement jeune ne trouve rien de mieux à faire, que de publier ce qu’on peut considérer comme ses mémoires ? Est-ce là un signe prémonitoire de la fin prématurée d’une fulgurante carrière politique ?
Il faut simplement rappeler que la publication de livres à connotation biographique ne réussit pas toujours à nos chefs d’État. C’est ainsi, que la carrière politique d’un président malien, finalement renversé par un coup d’État, avait été retracée dans un livre, par un de nos compatriotes, un distingué philosophe–journaliste, très proche de l’actuel président sénégalais. Plus sérieusement, le président en question, à la tête d’une immense coalition aussi unanimiste et grégaire que Benno Bokk Yakaar, avait été réélu au premier tour, en avril 2007, avec 71,20 % des suffrages, tandis que son principal concurrent, n’avait récolté que 19,15 % des voix. Comme quoi, une victoire électorale éclatante n’avait pas réussi à occulter la gouvernance laxiste et désastreuse d’une coalition géante aux pieds d’argile, qui avait fini par précipiter le Mali dans une crise politique majeure parachevée par un putsch.
S’il est loisible à tout homme public de publier autant d’ouvrages que ses ressources le lui permettent, il faut reconnaître que le plus important demeure ce que les livres d’histoire – et surtout les futures générations – retiendront de lui et de son action.
Pour le cas du président Macky Sall, il est fort à parier que les historiens retiendront surtout le non-respect des engagements auxquels, il avait librement souscrit. En effet, au-delà du reniement retentissant sur la réduction de la durée du mandat présidentiel de 7 à 5 ans, il y a, plus globalement, cette absence de rupture par rapport aux pratiques du précédent régime libéral que traduit son rejet des conclusions essentielles des Assises Nationales.
À quelques semaines de la tenue de la présidentielle, le climat politique est loin d’être serein, à cause de la volonté du président de l’APR de confisquer les élections prochaines, en usant de combines, de tripatouillages de la Constitution, d’entorses multiples au niveau du processus électoral. Il n’hésite même pas à instrumentaliser le pouvoir judiciaire et les fonctionnaires en charge des élections, pour empêcher certains de ses rivaux politiques de l’opposition de participer aux prochaines joutes électorales.
C’est le moment choisi par le ministre de l’Intérieur, contesté par la quasi-totalité des candidats de l’opposition, pour organiser l’acheminement précoce du matériel électoral, comme pour se convaincre, que les prochaines élections se passeront le plus normalement du monde.
N’aurait-il pas mieux valu, régler en amont et de manière consensuelle, tous ces différends, car il est évident qu’une gestion unilatérale et discrétionnaire du processus électoral risque de conduire à une crise politique aux conséquences imprévisibles.