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Quelles PrioritÉs Pour Notre Diplomatie ?

#Enjeux2019 Au Sénégal, l’accent est souvent mis sur les continuités de la diplomatie du pays, comme s’il existait, depuis 1960, au niveau des acteurs politiques et de l’opinion publique, un « consensus permissif » dans la conduite des relations internationales. Pourtant, les changements majeurs qui sont intervenus dans notre monde ne laissent aucune politique extérieure intacte. L’émergence de nouveaux acteurs non-étatiques sur la scène internationale, l’essor des technologies de l’information et de la communication ainsi que la fin de la bipolarité, contribuent entre autres phénomènes, à contraindre les Etats à s’adapter à leur nouvel environnement international et, par conséquent, à chercher de nouveaux moyens de façonner celui-ci.

– Passer du « consensus permissif », au « dissensus contraignant » –

Il y a alors nécessité d’opérer des ruptures, d’abord pour prendre en considération l’opposé aujourd’hui du « consensus permissif », c’est-à-dire le grandissant « dissensus contraignant » existant au sein de l’opinion, ensuite pour profiter des nouvelles ressources diplomatiques offertes par les changements contemporains, et enfin pour adopter une nouvelle culture diplomatique alliant cohérence et efficacité.

L’absence de vision d’une politique extérieure a souvent facilité un pilotage à vue de notre action. Ainsi, le Ministère des affaires étrangères devrait concevoir non pas strictement une « lettre de politique sectorielle », mais un « plan stratégique pluriannuel » qui tiendra compte de tous les intérêts sectoriels en raison du caractère transversal de la diplomatie qu’on ne saurait réduire à un secteur, car le Ministère des affaires est censé coordonner l’aspect international de la politique nationale. Avec ce rôle « d’intégrateur substantiel » de la politique extérieure, le MAESE serait le cœur du système diplomatique national dans une période où tout le monde travaille à l’expansion de son agenda international.

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A côté de ces défis organisationnels, se positionnent d’autres de nature stratégique qui s’imposent à la politique extérieure et à la diplomatie sénégalaise. D’abord, nous avons besoin de renouveler nos rapports avec les pays africains. Notre politique africaine a récemment été marquée par des « insuccès » comme l’échec de la candidature de M. Bathily à la tête de la Commission de l’Union africaine -UA-, ou pire, la perte du rôle leader de promoteur d’idées comme en témoigne le fait que c’est au Rwanda qu’a été confiée la mission de réforme institutionnelle de l’UA. Alors que dans une période récente, notre pays était encore une « boite à idées », comme l’illustre notre rôle dans la création du NEPAD. Dans ce dernier cas comme dans les récents « insuccès » susmentionnés, le problème majeur a été notre posture jugée arrogante par nos pairs africains. D’où l’urgente nécessité de ré-africaniser notre politique extérieure, aussi bien au niveau bilatéral qu’au niveau multilatéral, d’autant plus que les Etats membres de l’UA forment, à eux seuls, l’une des plus larges coalitions diplomatiques possibles et donc une ressource diplomatique précieuse pour renégocier l’ordre normatif international -au sens juridique et politique du terme-.

– Il faut redéfinir notre carte diplomatique –

La promotion et la protection de nos intérêts nationaux exigent aujourd’hui de redéfinir soigneusement la carte diplomatique du pays en misant sur une couverture diplomatique bilatérale optimale, ainsi que de donner le tempo à notre action extérieure au lieu de toujours suivre la prise d’initiatives de nos partenaires. Cela reviendrait à s’assurer que soient bien définies, dans le cadre d’un plan stratégique pluriannuel, les actions à entreprendre avec chaque pays, sur les questions politiques, économiques et sociales, en planifiant les interactions bilatérales nécessaires au niveau stratégique (Présidence de la République, Primature), tactique (membres de gouvernement, parlementaires, envoyés spéciaux) et opérationnel (ambassades, consulats, fonctionnaires en mission, opérateurs économiques, diaspora, ONG…). En d’autres termes, il faudrait fixer, avec chaque pays partenaire, un cadre de dialogue politique clair et définir, à son égard, une stratégie de diplomatie économique avec des indicateurs de réussite quantifiables en termes d’attraction des investissements, de tourisme, de financements extérieurs (s’ils sont jugés nécessaires), de promotion des exportations et du secteur privé national à l’étranger, ou encore de coopération scientifique et technologique.

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Enfin, il reste notre participation à la gouvernance globale qui devrait d’abord passer par un positionnement systématique par rapport à tous les enjeux globaux, de sorte que la neutralité sur une question ne soit pas simplement une absence de position mais reflète un véritable choix stratégique. Le Sénégal devrait aujourd’hui se positionner clairement sur des enjeux globaux comme la paix et la sécurité, la justice pénale internationale, les migrations internationales, la sécurité alimentaire, la santé globale et le changement climatique, en y imprimant une marque particulière plutôt que de se limiter à la réappropriation des discours dominants. Il convient surtout de résister à la tendance à la dépolitisation des questions comme la migration, la sécurité alimentaire, la santé et même l’écologie, qui sont en train d’être transformées en enjeux humanitaires, donnant ainsi à de nombreux Etats l’occasion de se dédouaner de leurs responsabilités politiques. Un plus grand recours aux ONG est aussi nécessaire pour les campagnes relatives à ces questions, étant donné l’accès à l’opinion publique qu’elles ont dans beaucoup de pays et leur capacité notoire à influencer les choix de politique extérieure dans les plus grandes capitales du monde. Une véritable diplomatie publique devrait ainsi permettre de définir des stratégies bien articulées ainsi que les voies et moyens nécessaires pour atteindre les résultats escomptés.

– Faire revenir la réflexion stratégique –

Tout cela rappelle l’urgence de replacer la réflexion stratégique au cœur de notre action extérieure. Le rôle d’impulsion du Ministère des Affaires étrangères est capital dans la planification de la politique extérieure. Il convient donc non seulement de ré-imprégner le fonctionnement quotidien de ce département par la réflexion stratégique, mais aussi de réveiller la Cellule d’études, d’analyse et de prospective pour réduire le fossé entre le niveau actuel de la connaissance sur les affaires internationales et la conduite, par le Sénégal, de ses relations extérieures. La conséquence principale de ces ruptures dans l’action serait l’instauration d’une nouvelle culture diplomatique qui a toutefois un coût en matière de ressources humaines et financières : renforcer les capacités diplomatiques du pays par un meilleur profilage des diplomates, une diminution drastique du personnel politique et une allocation optimale des ressources budgétaires.

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#Enjeux2019

Nas Diop* est le pseudonyme d’un haut-fonctionnaire au Ministère des Affaires étrangères du Sénégal.







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