Au terme du premier mandat du président Macky Sall, il est plus que jamais l’heure de faire le bilan. Excellent selon ses partisans, mitigé selon la société civile et médiocre selon l’opposition, le règne du président Sall aura éveillé des sentiments à tout le moins contradictoires. Pour la jeunesse qu’il ne cesse de courtiser, Macky Sall aura été durant tout son septennat la risée notamment sur les réseaux sociaux. Voici les raisons pour lesquelles la jeunesse ou du moins une partie de la jeunesse et le chef de l’Etat ne font pas bon ménage.
Des activistes aux rappeurs, en passant par les jeunes chefs de partis politiques, le ton est le même dès qu’il s’agit du président de la République. La jeunesse retrouve son qualificatif de « malsaine » attribué par le président Diouf et, plus que du temps de Wade, elle s’agite, agit et réagit. Pourtant la rencontre entre Macky et « y’en-à-marre » à la veille du deuxième tour en 2012 augurait une réconciliation entre le président et les jeunes qui se retrouvaient à travers les actions de ce mouvement de jeunes rappeurs. Mais que nenni ! On se rend à l’évidence aujourd’hui que le soutien de ces jeunes était moins pour le candidat Macky Sall que contre Abdoulaye Wade. Visiblement, Wade est plus chanceux avec la jeunesse puisque jusqu’au terme de son premier mandat (2007), la contestation n’avait pas atteint son paroxysme. Ce n’est qu’à partir de 2010 qu’il avait commencé à subir les plus graves émeutes (dus aux délestages et aux denrées de première nécessité) et protestations contre son règne.
La reproduction d’un système qui a provoqué toutes les luttes
La jeunesse qui combattait le SYSTEME sous Wade et qui rêvait d’un Nouveau Type de Sénégalais (NTS), partant d’un Sénégal de renouveau, fut convaincue et charmée par les engagements du futur président Macky Sall. Alors il est clair que le désenchantement qu’elle vit aujourd’hui ne naît pas ex nihilo. Cette désillusion, quoique n’étant pas généralisée, émane de la non tenue des promesses pour ne pas dire de la violation des engagements du chef de l’Etat par le chef de l’Etat lui-même. Sur le tableau de ces actes qui ont abouti à la rupture totale de confiance entre le président et sa jeunesse, il y a les questions relatives à la taille du gouvernement, au mandat du président, à la transhumance entre autres. Trois questions fondamentales sur lesquelles la jeunesse attendait de vrais changements qu’elle ne verra pas.
L’état de grâces accordé à Macky Sall aurait pu aller jusqu’au terme de son mandat si le président avait, comme juré, limité le nombre de ministres à 25. Mais ce nombre ne serait pas assez conséquent pour récompenser les partisans dans ce partenariat « win-win », le fameux « gagner ensemble, gouverner ensemble » d’Ousmane Tanor Dieng. A juste raison, chacun réclame sa part du gâteau et le président est tenu de faire (à son corps défendant ?) avec une sorte de gouvernement d’union nationale puisque toutes les sensibilités politiques à l’exception du PDS y figureraient. De 35 ministres donc, l’attelage gouvernemental s’est élargi à plus de 80, si l’on tient compte du nombre pléthorique de ministres conseillers.
Au nom de l’unité nationale, et juste après quelques mois à la tête du pays, le président dut revenir sur une promesse de campagne en arguant que « la taille du gouvernement peut augmenter jusqu’à ce qu’on constate une incohérence qui puisse apporter des problèmes dans le pays ». Des arguments qui seraient tirés des cheveux selon une bonne partie de la jeunesse qui y voyait du « wax waxeet » (un dédit). Son alliance avec les compagnons de Senghor, ces « vieillards dans le vent » auxquels fait référence les rappeurs de Keur Gui dans leur tout nouveau clip, est rejetée par ces jeunes qui constituent plus de la moitié de la population du pays.
Le référendum pour légitimer le dédit concernant le mandat de 5 ans a renforcé le sentiment de désamour entre Macky et sa jeunesse
Le deuxième point de désaccord qui a visiblement libéré chez les jeunes le sentiment d’insatisfaction jusque-là contrôlé est celui du référendum sur le mandat présidentiel. Le chef de l’Etat, après avoir crié urbi et orbi qu’il ferait un mandat de 5 ans, se dédit en se réfugiant derrière l’avis d’un Conseil Constitutionnel de plus en plus contesté. Pourtant en avril 2013, il rétorquait à Moustapha Cissé Lô qui l’invitait à faire 7 ans lors du lancement de son mouvement « Horizon 2020 ak Yokkuté »: « je ne ferai pas un mandat de 7 ans, c’est moi qui me suis engagé à le réduire à 5 ans et je tiendrai parole ».
Nombre de jeunes se sont en effet sentis frustrés et le mouvement des rappeurs bat campagne pour le « NON » en s’opposant catégoriquement au projet de révision de la constitution voulue par Macky Sall. Parallèlement au mouvement « Y’en-à-marre » et à la société civile, des rappeurs tels que de GunMan Xuman et NFU fustigent cette farce de mauvais goût dans leur clip « Waaw ak Déét ». Le référendum gagné, Macky Sall n’en sera pas pour autant soulagé parce qu’il aura perdu en même temps la crédibilité et la sacralité autour de sa parole de chef d’Etat devant cette jeunesse soif de rupture.
La promesse non tenue de ne pas impliquer la famille dans la gestion du pouvoir et la versatilité sur la question de la transhumance
A cela il faut ajouter la volonté longtemps soutenue de ne point associer sa famille dans la gestion du pouvoir. Dans un entretien accordé à l’hebdomadaire Jeune Afrique, en décembre 2016,le chef de l’Etat affirmait : « je ne mêle jamais ma famille à la gestion du pays. Je ne veux pas être accusé de népotisme». Voilà encore un engagement qu’il ne saura pas tenir puisque Aliou Sall est devenu non seulement maire de ville et président de l’association des maires du Sénégal mais aussi son nom est associé à de très gros scandales présumés tels que l’affaire Frank Timis. La ligne de défense du président Sall sur le cas de son frère était simple : les postes du jeune frère étaient jusque-là électifs et donc ce sont des gens ayant foi en lui qui l’ont choisi. Mais sa nomination à la têtede la Caisse de dépôts et de consignations (CDC) fait écrouler la thèse de l’élection et confirme si besoin en est que la famille Sall est plus que jamais au cœur des affaires.
La légitimation de la transhumance qui est plus que jamais en vogue constitue un autre contentieux pour lequel la jeunesse continue d’en vouloir au chef de l’Etat. L’érection du nomadisme politique en mode de fonctionnement crée chez les non politiques un certain sentiment de déception et démontre une attitude à tout le moins indigne. Alors qu’il était candidat en 2012, Macky Sall fustigeait la transhumance lors d’une émission sur Walf TV: « on ne peut pas continuer à faire la transhumance telle qu’elle se pratique aujourd’hui parce qu’il faut mettre de l’éthique dans tout cela. Il faut que les gens reviennent aux valeurs ». La transhumance, selon le candidat Macky, était tout simplement une absence d’éthique.
Il est en effet renversant de constater que le point de vue du candidat Macky Sall est totalement aux antipodes de la compréhension que le président Sall fait de cette pratique quand même honteuse. Une chose ne pouvant être elle-même et son contraire, les jeunes se perdent naturellement et ne savent plus à quel Macky Sall se fier. Puisqu’interrogé sur la question, le président Sall disait à Kaffrine ne rien voir d’« amoral » dans la pratique « dèslors que les gens viennent avant la victoire ». Les vives réactions de contestation qui en naquirent, de la part des alliés de Bennoo Bokk Yaakaar et de Macky 2012, n’en firent rien. Cette déclaration préparait l’opinion à la vaste opération de transhumance jamais constatée dans l’histoire politique du Sénégal. Non seulement la migration se fait de façon vertigineuse, mais aussi elle se fait sans aucun scrupule. Peu importe que ce soit en temps d’élection (législatives 2017) ou non.
Assane Diouf, Keur gui, Guy Marius Sagna : les symboles d’une jeunesse protestataire
Tant que le président Sall ne règlera pas ces contentieux, lui et la jeunesse seront toujours dans cette relation de je t’aime moi non plus. Malgré les énormes avancées notées sur la création d’emplois (un peu moins de 500 000), les infrastructures de loisirs telles que Dakar Arena et l’Arène nationale, cette couche de la population exige plus de l’Etat. Il y a entre autres le désir de s’affranchir de la France dominatrice qui continue de contrôler notre économie à travers le franc CFA et ses entreprises impliquées dans tous les grands sentiers de ce pays. La jeunesse ne veut plus de ce rapport de complexés que nos dirigeants souvent entretiennent avec l’hexagone. Il suffit juste de voir comme ils apprécient Paul Kagamé en ces temps qui courent pour se rendre compte de la simplicité des revendications qui sont d’un autre ordre. C’est dans ce cadre que s’inscrivent les agissements de FRAPP-France Dégage de Guy Marius Sagna.
Les attaques incendiaires d’Assane Diouf, en prison depuis plus d’un an, ont contribué à la désacralisation du statut du chef de l’Etat sous Macky Sall. Bien avant, la sortie de l’album de Keur Gui « diougou fi » en 2015, pour fustiger la manière de faire de Macky Sall avait donné des idées aux nombreux jeunes sans emploi qui finirent par faire de l’internet leur exutoire. Tout ce qui ne peut se dire dans la rue, est transféré dans les forums et le président en prend pour son grade. La sortie, ce 31 décembre, du clip « les sai sai au cœur », est une suite logique de leur combat contre le régime Macky Sall. Les thèmes que survole ce morceau sont exactement ceux dénoncés il y a quelques années à savoir la conjoncture, la transhumance, le népotisme, etc. A l’image de ces rappeurs, la jeunesse sous Macky Sall aspire à plus de libertés et exige l’application de ces slogans pleins d’espoirs de « gouvernance sobre et vertueuse » et de « la patrie avant le parti » qui apparaissent de plus en plus comme de coquilles vides.
Ababacar GAYE