#Enjeux2019 – 60 ans après l’accession à l’indépendance, le désir de « libération » totale du joug de la France semble revenir comme une norme dans la « rue africaine ». A Dakar, on lit souvent cette inscription sur les murs : « France dégage ». Ces messages aussi clairs que péremptoires sont le fait d‘activistes ; anti-impérialisme soucieux, selon eux, de lutter « pour la souveraineté des peuples d’Afrique ».
Ce discours virulent, tranché, audible dans de nombreuses capitales d’Afrique francophone, trouve un écho favorable au sein d’une partie de notre jeunesse. Il a une origine, un signifiant qui doivent nous interpeller afin d’en saisir la teneur et la complexité, loin des explications faciles et des raccourcis présomptueux mais vains.
– Un lien ombilical qui demeure malgré 60 ans d’indépendance –
Objet d’une décolonisation pacifique, le Sénégal, au lendemain des indépendances, a préservé des relations diplomatiques apaisées et privilégiées avec l’ancienne métropole. La France, partie pour mieux rester, est demeurée au cœur des manœuvres politiques et diplomatiques du jeune Etat indépendant. Ceci par la présence de conseillers français au plus sommet de l’Etat et la mainmise sur plusieurs secteurs économiques, notamment à travers la puissante chambre de commerce sous la coupe d’industriels français qui ont joué un grand rôle dans l’éviction de Mamadou Dia.
Le président Senghor n’a pas coupé le lien ombilical avec l’ex puissance coloniale, ce qui, lui aurait permis de mater son opposition et concentrer les pouvoirs autour de sa personne.
Dans ce système de parti unique, où les forces de gauche issues du PAI et d’autres groupuscules sont muselées, il n’existe pas une opposition institutionnelle qui dès lors émergent en marge des canaux officiels.
C’est dans la rue, notamment à travers la grogne estudiantine et syndicale de Mai 68, le front culturel et les mouvements disparates, qu’émerge la revendication d’une indépendance totale vis-à-vis de la France.
Des décennies plus tard, la France est toujours présente d’une façon visible dans les leviers économiques et politiques de notre pays. Que ce soit sur la question des bases militaires avec les Eléments français au Sénégal (EFS), ou encore celle relative à l’usage du franc CFA, voire la présence massive des entreprises comme Total, Senac, Orange, indubitablement la France est au cœur de notre pays malgré une souveraineté censée être acquise depuis 1960.
L’ampleur de la présence française, son contrôle supposée ou réelle sur nos dirigeants politiques, la préférence dont ses entreprises bénéficient au détriment du secteur privé local sans qu’aucune prise en charge réelle de cette relation asymétrique ne soit observée de la part de ceux qui nous gouvernent, sont le lit de cet « anti-France » émergent qui gangrène les élites comme le commun des Sénégalais.
A la question : est-ce une prise de conscience salutaire ou une manifestation d’un racisme primaire, Guy Marius Sagna, coordonnateur du mouvement « France dégage », répond par le « développement de la conscience politique anti-impérialiste portée par des citoyens », par une meilleure compréhension des enjeux de la domination française, par l’usage de la langue et de la monnaie par exemple.
– La liberté d’expression, ferment de l’anti-France –
Il est une question pertinente qui interpelle : pourquoi ce retour de l’anti-France pour une génération qui n’a pas connu la période de la colonisation ? Comment se sentiment s’irrigue-t-il ?
Les processus sociaux connaissent des moments de flux et d’autres de reflux. Des leaders anti-France ont existé par le passé à l’instar de Lumumba, Sankara, Modibo Keïta etc.
La fin souvent tragique de cette classe de dirigeants « révolutionnaires » et l’arrivée de personnalités « plus conciliantes » avec l’ancienne métropole, ont quelque peu calmé les ardeurs au profit d’une longue période de collaboration qui a coïncidé avec l’âge d’or de la Francafrique, nom évoquant une nébuleuse affairiste et politicienne qui fait l’objet d’une exhaustive documentation autant en France qu’en Afrique.
Cependant, depuis deux décennies, avec l’émergence de démocraties plus stables en Afrique, la parole se libère à nouveau. Des mouvements sociaux, notamment chez la jeunesse, naissent, avec une puissante société civile qui se structure, constituent le fer de lance de la lutte contre ce qu’ils appellent le « néocolonialisme » français.
La profondeur démocratique, l’extension des libertés individuelles en Afrique provoquent ainsi directement l’émergence du sentiment anti-France actuelle car les militants et intellectuelles usent de leur liberté d’expression pour poser le problème du rapport de notre pays à la France.
À ce propos, il faut noter l’abondance de publications sur le FCFA, les entreprises Françaises en Afrique, etc.
Ce printemps démocratique coïncide avec une volonté pour la France de conserver son pré carré en redoublant d’activisme pour introduire ses entreprises afin que celles-ci bénéficient des forts taux de croissance en Afrique.
Dès lors, il faut présager d’une poursuite de la montée du sentiment « anti-France », surtout si les élites économiques et politiques continuent à profiter de la manne financière en jeu au détriment du plus grand nombre.
Brice Dier Koué est diplômé de l’Institut Supérieur de Management (ISM), enseignant en Management et web-activiste.