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Egypt Is Back !

Subrepticement, l’Egypte, vieille nation africaine s’il en est, que l’on croyait définitivement écartée du leadership africain, s’en empare, et mène la danse !

Il est donc grand temps de se pencher sur ce qui s’y passe. Ce bouillonnement est fracassant. Il ravale presque en reliques son passé pharaonique, ses élites régnantes momifiées, ses pyramides et semble réduire en curiosités géographiques les majestueuses, puissantes et vitales eaux du Nil venues s’échouer ici après avoir traversé quinze pays. À l’œuvre est un réveil monumental d’une nation soudain sortie d’un long assoupissement. C’est d’un bouleversement économique et géopolitique, d’une rare magnitude. Forte mais tranquille jusqu’à la discrétion, cette mutation qui la travaille tous azimuts passe presque inaperçue. Sans même que la chronique effervescente autour d’une Afrique décrite, à tort ou à raison, comme la nouvelle frontière du développement planétaire, ne s’y attarde. À y regarder de plus près, il se peut pourtant que ce soit aux pieds de ses pyramides ancestrales que s’écrit la trame du narratif africain, qui éblouit le monde.

Disons-le sans hésiter : cette Egypte mutante est en passe de devenir le leader de l’Afrique. Au point de surpasser les candidats que l’on voyait plutôt à ce rôle. Notamment un Maroc trop maladroit, fébrile, dans sa grande néo-ambition africaine ; une Éthiopie forcée de s’ouvrir en restant idéologiquement écartelée entre capitalisme économique et tentations socialistes, sur fond de fractures ethniques latentes ; un Zimbabwé qui ne séduit toujours pas les investisseurs malgré ses promesses de renouveau. Sans compter les éternels décevants Nigérian, Kenyan et Sud-Africain.

À leur opposée, l’Egypte, semble être elle dans une période de grâce sur le continent. Qui n’a pas relevé ces faits saillants ayant colorié avantageusement son image, ces temps-ci ? Son footballeur, au pied magique, Mohamed Salah, vient d’être consacré à nouveau meilleur joueur africain ; la coupe d’Afrique des nations du sport-roi se tiendra sur son sol, fruit d’une bénédiction née de la malédiction camerounaise de ne pouvoir la tenir comme originellement prévue ; son président, le Général Al Sissi, prend dans quelques-mois les rênes de la présidence en exercice de l’union africaine. Quand on ajoute à ces éclats les investissements directs étrangers ayant fait d’elle à coup de milliards de dollars la première destination des investissements vers l’Afrique, générant de nouvelles villes surpeuplées par de nouvelles infrastructures, on peut bien se dire que c’est véritablement un miracle qui est à l’œuvre.

Ce qui s’y passe maintenant dépasse la fureur révolutionnaire qui l’avait propulsée au sommet de l’agenda sociopolitique planétaire, voici bientôt dix ans. Mouvement fulgurant tout de douceur, c’est comme si les eaux du Nil avaient soudain envahi les berges alentour pour les irriguer, les ramenant à la vie après une longue période de sécheresse. Cette révolution silencieuse, discrète, est menée d’une main de fer par le pouvoir militaire revenu au centre de la planification stratégique. Elle est un calque à l’identique de celle lancée en Chine en 1978 par Deng Xiaoping, le père de la modernisation et de l’ouverture de l’Empire du Milieu. C’est une révolution faite profil bas, patiemment, à la Chinoise. Comme pendant les premières années où l’économie chinoise, loin des regards, entrait dans sa phase de Take-off, prenant de court le monde entier, l’Egypte, elle aussi, vit des moments extraordinaires auxquels peu s’intéressent. Soyeusement, elle n’attire pas les caméras et micros ni l’intérêt des réseaux sociaux comme voici bientôt dix ans quand les révoltes pro-démocratiques l’avaient faites. Transfixes, éblouis, tous les regards étaient alors rivés vers la mythique Place Tahrir, au centre du Caire, sa capitale. C’était le pic du printemps arabe.

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Autant dire que c’est l’histoire d’une vieille nation que l’on croyait pétrifiée, sa grandeur passée éteinte, qui se réveille soudain, avec fracas, conduisant une Afrique en quête de positionnement dans un monde bousculé. On la retrouve aux avant-postes dans un basculement global sous la poussée de la toujours novatrice tectonique des plaques numériques. C’est un miracle surgi des profondeurs des pyramides gardiennes de ses secrets ancestraux.

Il faut avoir vu comment la ville de Sharm El Sheikh surgie des entrailles du désert y donne désormais l’air d’être un joyau. Avec ses hôtels de luxe, son nouvel aéroport, son grandiose centre de conférence. Sa sécurité pour rassurer les touristes. Et l’engouement de ses investisseurs locaux pressés de projeter ailleurs en Afrique ce qu’ils ont réalisé ici au lendemain d’une traumatisante guerre du Kippour ayant entraîné sa démilitarisation sous la férule d’Israël.

Stratèges et hommes d’affaires, acteurs politiques convergent chaque année, au moins une fois, dans l’une des plus grandes conférences centrées sur l’Afrique qui se tient ici. Parmi les voix qui détonnent sur place, celle de Al Sissi n’est pas la moins éclairante. Son ton n’est pas martial. Ce n’est pas le militaire qui parle. Mais le rêveur de…grandeur. Il est pressé. “Nous ne devons pas perdre de temps dans les projets que nous faisons”, assène-t-il, comme pour donner un cours sur les coûts d’opportunités.

Al Sissi s’exprimait le 8 novembre dernier à l’Africa Forum, qui n’est pas le seul événement préoccupé par la place de son pays, du reste de l’Afrique aussi, dans la géo-économie planétaire.

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Quelques-jours plus tard, en compagnie, là-aussi, de parties prenantes décisives sur la marche du continent, il inaugurait au Caire la première foire commerciale africaine, sous l’égide de la Banque africaine d’import-export (Afreximbank). Plus de 1 500 exposants étaient venus de partout dans cette ville, ruche bourdonnante, où la vingtaine de millions d’habitants qui y vivent sont engloutis dans un rythme effréné confinant à la folie.

Partout s’y déploient des infrastructures célébrant les moments héroïques du pays, comme ce pont du 6 Octobre, s’étendant sur 20 kms, ces panneaux publicitaires massifs témoignant de l’appétit des investisseurs locaux et étrangers, ou encore ces bâtiments imposants bordant les routes, autoroutes, enjambant les ponts, où ces trains et cette compagnie nationale Égyptienne avec ses concurrentes privées, qui, tels des vaisseaux sanguins, irriguent l’ensemble de l’Egypte.

En le parcourant, on réalise à quel point revenue de son rêve démocratique, reprise en mains par ses parrains classiques, les militaires, l’Egypte est maintenant l’un de ces États développementalistes, popularisés par les modèles étatiques d’Asie, où les libertés publiques sont restreintes en échange d’un développement économique inclusif et d’une stabilité sociale. Ce business model, ce nouveau contrat social, loin des dogmes néolibéraux est la preuve que l’Egypte n’est pas inscrite dans la dynamique occidentale dominée par le pluralisme politique. C’est comme si la révolution de la Place Tahrir n’avait servi à rien. “C’était un chaos”, soupire un représentant commercial rencontré dans une entreprise locale. Un chauffeur de taxi renchérît. “Ce pays appartient aux militaires”.

En réalité depuis l’époque du Général Gamal Abdel Nasser, dans les années 1950-60, puis celles du Général Anouar El Sadate, jusqu’à son assassinat en 1981, et celles du Général Hosni Moubarak, le pays n’a connu qu’une brève période civile avec la victoire démocratique de Mohamed Morsi. Qui fit long feu : ses accointances avec les frères musulmans, version locale d’un islam intolérant et violent, forcèrent un autre galloné, le Général Tantawi, patron des renseignements, à renverser le régime démocratique. Puis, ce fut le tour de l’actuel patron du pays, Général Al Sissi d’être confortablement à la barre.

En s’assurant que les forces de l’ordre et la superstructure sécuritaire verrouillent réseaux sociaux, internet, et instances de délibérations, il a détourné l’attention de ses compatriotes vers les questions non-politiques. C’est un état d’urgence qui ne dit pas son nom. Comme si l’Egypte était retournée à son État de guerre permanent depuis 1948, depuis qu’elle est en conflit, longtemps ouvert, désormais contenu, latent, avec le voisin Israélien.

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Ce qui a changé, c’est le prisme économique qui rythme sa marche. Et l’inclinaison géopolitique africaine.

De la nouvelle ville qui se construit aux abords de l’actuelle capitale pour la désengorger, c’est tout un projet panafricain qui se met en place. Exit le boycott des sommets africains implicitement actés depuis l’année 1995 lorsque l’ex-président du pays, Moubarak avait échappé à une tentative d’assassinat alors qu’il participait en Éthiopie à un sommet de l’Organisation de l’unité africaine (OUA), ancêtre de l’Union africaine.

Longtemps apôtre du tiers-mondisme, mamelle nourricière du panafricanisme, sous le leadership de son charismatique dirigeant Nasser, l’Egypte disparut des radars africains. Avant de faire illusion pendant sa brève révolution pro-démocratique.

C’est dire que Al Sissi a surpris son monde en remettant l’Afrique au centre de sa carte diplomatique. Sur tous les fronts, il en a la légitimité politique, du fait de l’héritage Nasserien ; historique, établie par la parenté entre Égyptiens et noirs africains, soutenue scientifiquement par le professeur Cheikh Anta Diop ; et désormais, économique, par le vrombissement de sa machine économique nationale.

Vibrionnante, l’Egypte réalise que sa nouvelle force de frappe économique, sa puissance technocratique, son dividende démographique, ses entreprises d’une vitalité incomparable sur le continent, son expertise, la placent sur une rampe de lancement. L’Afrique commence déjà à s’en rendre compte par Salah. En juin, ses terrains de football seront l’attraction pour les peuples sportifs africains. Le président Sissi déploiera la stratégie africaine de son pays, qui fait déjà l’objet des chroniques dans la presse locale où le débat africain monte en puissance. L’économie et le Nil feront le reste.

D’ici à ce que l’Egypte revendique l’un des deux sièges que l’Afrique veut occuper dans un conseil de sécurité de l’ONU réformé, il n’y a qu’un pas. Sans être un exemple démocratique, l’Egypte en a le droit. La voie qu’elle montre, celle d’un État solide, stable et solidaire du reste du continent, en fait un leader incontestable dont la voix est appelée à peser au sein et bien au-delà de l’Afrique.

Egypt is indeed back !

Journaliste et consultant sénégalais, Adama Gaye est auteur de « Demain, la Nouvelle Afrique« , Éditions l’Harmattan, Paris.







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