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Violence, Famille Et Polygamie

#Enjeux2019 La violence a toujours été connue dans un champ traditionnel de la politique (manifestations, meurtres, personnes blessées), des manifestations estudiantines (meurtres, casses, lancements de pierres). Cependant, depuis quelques années, ces violences sont de plus en plus visibles dans la sphère familiale. Ces derniers jours, l’actualité a été fortement marquée par des cas de violence extrêmes de meurtres de plus en plus odieux et sanguinaires.

Alors que les hommes exerçaient la violence physique sur leurs épouses, et que les femmes s’exercent une violence entre elles (entre co-épouses), aujourd’hui, les femmes exercent la violence sur leurs époux (meurtres, blessures etc.). L’analyse de ces faits sociaux montre que la polygamie est un des facteurs déterminants dans ces cas de violence. La jalousie reste le moteur principal de cette violence. En effet, l’on note une flambée de violence conjugale : le drame de Mariste où la dame a brûlé son mari suite à une crise de jalousie, la co-épouse brulée à l’eau chaude à Kaffrine, une dame charcute sa rivale à coup de hache par jalousie pour ne citer que cela, avec une tendance à banaliser ces crimes à force de les entendre tous les jours.

C’est pourquoi, il serait judicieux de se poser la question de savoir pourquoi les femmes ont si peur ou n’acceptent pas tout simplement la polygamie ?

– Pratique dévoyée de la polygamie –

La raison reste profondément liée à la mauvaise pratique de la polygamie au Sénégal. En effet, l’on note une inégalité dans le traitement des conjointes ou tout simplement des conjoints qui n’ont pas les possibilités financières ou morales de gérer une famille polygame. A la situation actuelle du pays, nous voyons sans ambages que cette pratique n’épouse pas les valeurs de l’Islam, une religion de justice et de paix. Et pour nous ces faits sont au cœur des traumatismes que vivent les femmes au quotidien.

La plupart des pays musulmans ont adopté des mesures pour restreindre et décourager la polygamie. La Turquie et la Tunisie l’ont abolie, tandis que d’autres pays l’ont rendue plus difficile. Ainsi, le droit marocain, depuis la révision du code de la famille, la Moudawana, en 2004, considère « la polygamie comme un empêchement relatif au mariage ». Conformément à la nouvelle loi, la femme a le droit d’exiger, lors de la signature de l’acte du mariage, que son mari renonce à la polygamie (art 40). De plus, un homme qui envisage d’épouser une autre femme doit avoir une autorisation du tribunal ainsi que l’accord de l’épouse actuelle et de la future épouse (arts 40-46). 

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Au niveau du droit égyptien, la femme a la possibilité d’exiger dans le contrat du mariage que l’époux ne prenne pas une seconde épouse et, si le mari viole cette obligation, la première épouse a la possibilité de demander le divorce. Par conséquent, on peut dire qu’à l’exception des pays musulmans de l’Afrique subsaharienne, la pratique de la polygamie est plutôt rare dans la plupart des pays musulmans, grâce, d’une part, à une interprétation intelligente et cohérente du verset 129 de la sourate 4, et d’autre part, à cause des conditions socio-économiques difficiles qui prévalent dans la plupart des sociétés musulmanes contemporaines.

A ce niveau, je n’exige pas la même chose pour le Sénégal mais juste de s’inspirer de ces modèles et d’essayer de voir comment voudrait-il avoir plus de transparence avant la formalisation des unions au niveau de la mairie. D’où la pertinence, d’organiser des consultations nationales car elle demeure une question sociétale préoccupante. Et dans ce contexte électoral, les candidat(e)s sont interpellés sur cette question étroitement liée à la violence qui sévit aujourd’hui dans la sphère familiale.

– De profondes mutations familiales –

Par ailleurs, au-delà de poser le débat sur la polygamie au Sénégal, il est extrêmement urgent de réfléchir sur la famille et ses fondements.  En effet, les faits mentionnés plus haut nous poussent à avancer sans risque de nous tromper que l’espace conjugale s’est transformé en un champ de bataille. Dans bien des cas, la famille se présente comme un immense champ de bataille où il est refusé à certains la liberté d’être eux-mêmes et de construire librement leur bonheur. La famille n’est plus le havre de paix auquel on peut naturellement penser. C’est souvent un lieu de compétition, de privation et de violence[1].

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Cette recrudescence des comportements violents témoigne d’une crise des instances de socialisation. L’effritement des rapports et la détérioration des liens sociaux conduisent les populations à l’adoption de comportements non conformes aux valeurs sociales dont la conséquence est la violence, l’insécurité sociale.

La cellule familiale est le lieu par excellence où l’enfant dès son plus jeune âge apprend à assimiler les règles de vie en société. C’est dans ce milieu que se forge le système de disposition à partir duquel seront filtrées toutes les expériences de la vie sociale[2]. C’est pourquoi, la qualité de la vie adulte dépend grandement de la qualité des relations entre les membres de la famille. Car la famille constitue le lieu des expériences les plus intenses et les plus significatives de la vie humaine[3].

La formation aux valeurs, à la culture et à la vie était l’apanage des familles qui dans leur composition disposaient des outils adaptés pour cette tâche. Or, de nos jours, des liens de formation se relâchent, des dysfonctionnements apparaissent au sein des familles qu’elles soient monogames, polygames ou monoparentales. La communication entre parents et enfants devient faible et est influencée par d’autres instances de formations telles les médias. Ainsi, la famille cesse d’être de plus en plus ce moteur du progrès de la cité, via la transmission des connaissances, des savoirs qui puissent permettre l’individu d’apprendre à agir et à bien se comporter dans la société.

Ce qui atteste que la sphère familiale sénégalaise a connu des mutations jusque-là peu analysées qui fondent le sous-bassement des comportements violents constatés. Cependant, toutes les connaissances ne sont toujours pas données par la famille car, entre cette dernière et la société, il y a l’école qui assure une sorte de relais. D’où son rôle complémentaire dans l’acquisition des connaissances, sans oublier les médias. Hors, ces instances également sont en crise tout comme la famille.

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Dans ce contexte de recrudescence des violences face à des instances de socialisation en crise, la question fondamentale qui doit interpeller l’ensemble des acteurs sociaux et plus précisément des politiques reste quel type de sénégalais voulons-nous ? Comment l’éducation des jeunes devrait être prise en charge dans ce contexte de crise ? Quelles réponses faudrait-il apporter ? Quels repères moraux et modèles devraient permettre aux jeunes de garder des valeurs ? Qui sont les véhicules de ces modèles ?

Dans un contexte de globalisation, la société sénégalaise présente une vulnérabilité socioculturelle certaine. Les jeunes, en particulier, sont les plus fragiles de ce point de vue. Dès lors, apparaît la nécessité de sauvegarder mais aussi et surtout, de se réapproprier des spécificités culturelles sénégalaises positives. C’est pourquoi, la construction d’un sénégalais capable de faire face aux défis actuels et à venir devrait être dans le discours de tout politique.

Selly Ba est docteur en sociologie. Militante des droits humains, membre du Mouvement citoyen, elle est spécialiste en Genre et Religion au Sénégal. Elle est auteur de plusieurs articles et publications collectives sur le genre allié aux thématiques politique, religieuses, migratoires et sécuritaires.

#Enjeux2019

[1] Mody Ndiogou FAYE, 2016, La religion au contemporain. Du sens de la visibilité religieuse de la jeunesse au Sénégal, Thèse de Doctorat, UCAD. 

[2] Roch YAO GNABELI, 2013, citoyenneté et transformations sociales en Afrique, Revue Perspectives et sociétés, ISSN 1840-6130, Volume 5, numéros 1 et 2.

[3] Julie Thollembeck, 2010, La famille, une instance de socialisation fondamentale pour l’enfant, Analyse UFAPEC n°26.10, www.ufapec.be/files/files/analyses/2010/2610socialisationfamille.pdf, consulté le 28/12/2018.







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