Il est temps de se redéfinir ou plutôt de préciser le sens d’une quête. A bientôt 63 ans, le temps n’est plus aux hésitations ni aux angoisses existentielles. Le temps n’est plus aux rêves inassouvis ni au situationnisme, terme usité pour ennoblir l’opportunisme. À la porte du troisième âge, la lucidité commande plutôt de mettre de l’ordre dans ses « affaires ». Les siennes propres et celles de la vie.
Sans être un carriériste de la politique, je dois au Seigneur Allah d’avoir, à l’occasion de l’accession du président Abdoulaye Wade au pouvoir, occupé des fonctions publiques au plus haut niveau. Quoique très familier des hommes de pouvoir depuis mon enfance. J’ai joué dans les salons et les jardins de la présidence de la République depuis les années 1969. En compagnie de Feu Philippe Senghor et de quelques autres compagnons de classe ou de jeu de l’époque. Dont certains connus, tout simplement, dans la cour du Collège de la Cathédrale de Dakar à l’occasion de parties de ballon prisonnier très âprement disputées… Enfance et jeunesse, dorées et insouciantes, dans le principal quartier de résidences ministérielles et diplomatiques du Sénégal des années 60 à 80 : Fann-résidence. Durant toutes ces années, j’ai vu des hommes et des femmes de pouvoirs, réputés indéboulonnables, choir à la faveur d’un simple décret. Leurs maisons, remplies de courtisans la veille, se désemplir aussi vite que neige qui fond au soleil. J’ai vu des hommes, dits mystiquement inattaquables, sombrer dans des maladies, la déchéance financière et sociale au point d’être réduits à la réclusion à domicile jusqu’à l’issue fatale. J’ai aussi vu, et admiré, de grands hommes qui m’ont fait l’honneur de leur attention et de leur affection.
Je pense à feu Amadou Karim Gaye, plusieurs fois ministre et modèle d’équilibre, à la fois de culture religieuse et occidentale, mais aussi de racines négro-africaines profondes. Je citerai aussi Medoune Fall, grand ami de mon père, plusieurs fois ministre et Ambassadeur. C’est chez lui en 1964, alors qu’il était gouverneur de la région de Diourbel, que j’ai goûté pour la première fois au jus de ditakh… les papilles d’enfant n’ont pas la mémoire courte ! Des hommes prestigieux, il y’en a eu d’autres … Certains dans ma famille si proche que je pourrais, en les citant, être soupçonné de parti pris clanique… J’ai ainsi acquis le sens de l’observation du jeu social et appris à décoder son sens tragicomique. Et c’est pour cela que je suis imperméable aux dorures du pouvoir et à ses faux semblants. Que du déjà vu ! Contrairement aux perfides allégations des médisants, j’ai appris à me suffire de peu et à devenir de plus en plus exigeant avec ma petite personne. Si je dis tout cela aujourd’hui, c’est qu’à 63 ans le temps se rétrécit. La marge d’erreur aussi. Et le pays tangue sur des eaux déchaînées. Dans l’affolement qui précède le chavirage d’un navire, la raison perd son sens. Et l’on ne répugne à s’accrocher à aucune bouée à portée de main. Fut-elle entachée de fiente.
Les danses du ventre, pré et post parrainages, ainsi que les transhumances orchestrées à l’occasion du mercato pré-électoral, sont le baromètre de la déliquescence du système de gouvernance postcolonial. Un système corrompu et corrupteur qui ne survit que par la paresse des élites gouvernantes à inventer un modèle conforme à nos réalités sociales, culturelles, économiques et historiques. Notamment depuis les tragiques événements de 1962. Cette élite francisée, pourtant minoritaire, a accaparé les institutions héritées de la colonisation et en assure la maintenance au profit de la France, de ses entreprises et de son économie. Elle en récolte des miettes pour services rendus contre sévices subis par le peuple sénégalais. C’est cela la simple vérité ! Tant que nous n’inverserons pas ce paradigme de base nous continuerons à tourner en rond.
L’enjeu véritable de l’élection présidentielle de février 2019 se trouve là : rendre la parole au peuple et répondre à ses attentes véritables ou continuer à nous la jouer sur le registre du mimétisme caricatural des atours occidentaux, des « r » que l’on roule et des airs que l’on se donne. Il faut savoir d’où l’on vient et vers quoi nous voulons mener nos enfants. Souvenons-nous que des armées de résistants ont versé leur sang pour l’indépendance de ce pays. Défaits au plan militaire, ils ont conquis le cœur de ses habitants. Juste à titre d’exemple, Hadji Omar Tall, Maba Diakhou Ba, Moussa Molo Balde, Lat-Dior Diop, Alboury Ndiaye pour ne citer que ceux-là, ont plus de place dans le cœur des sénégalais que Faidherbe dont la statue, ayant été vaincue par le temps, à été secourue par nos élites francisées…
Qui rame à contre courant de l’Histoire ?
Face à ces enjeux colossaux, les petites histoires de chaises anglaises entre politiciens professionnels deviennent tristement dérisoires. Le « jeu » politique est si prévisible qu’il en est devenu lassant. Le prochain coup est déjà connu. Les pronostics sont faits. Il ne reste qu’à attendre le coup de sifflet final.
À ceux qui ont gardé intacts leurs rêves de grandeur, pour ce pays et son peuple, de se rassembler pour faire la différence et changer de cap ! Pour les gens de ma génération, c’est le dernier et seul combat qui vaille de se remettre à l’ouvrage. Comprenne qui pourra !
« Camarades, le jour nouveau qui déjà se lève doit nous trouver fermes, avisés et résolus… » Merci Fanon.