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Placer La Culture Au CŒur Du DÉveloppement

#Enjeux2019 – Cette contribution a pour seule objectif de poser en termes généraux des axes de réflexion à partir d’un constat : la persistance des déséquilibres imputables à la marginalisation de la culture à une époque où l’on va répétant que le développement durable est le nouveau paradigme auquel il faut accorder toute chose.

L’idée est d’inviter tous les acteurs à une réflexion sur la question urgente, voire vitale suivante : comment, dans un monde « globalisé » relancer la culture avec le concours d’un Etat stratège mais non interventionniste ; par le biais de la revivification des initiatives et entreprises locales ; et grâce à des politiques culturelles élaborées de manière participative et inclusive pour placer la culture au cœur du développement ? 

Les politiques culturelles des indépendances à nos jours sont passées d’une sorte d’âge d’or (sous Senghor) à un contexte de crise qui a dégradé sérieusement les possibilités de politiques de promotion de la culture du fait de mesures d’ajustement dont les effets demeurent encore en dépit de la fin officiellement prescrite à ces politiques par les institutions dites « d’aide au développement ».  

Les sociétés africaines ont toujours été des sociétés créatives, à toutes les périodes de leur histoire mouvementée, y compris à l’époque coloniale et aujourd’hui encore malgré les conséquences durables de politiques d’ajustement internes et externes.  Hier comme aujourd’hui ce n’est pas vers ceux qui la vivent et l’alimentent à la base que vont les supports et les subsides nécessaires à la préservation et à la promotion des cultures et des patrimoines. Les structures et les élites (souvent urbaines) qui reçoivent massivement et prioritairement ces moyens ne manquent certes pas de mérite mais elles ne constituent pas une masse critique susceptible de faire prendre sérieusement en compte la culture comme pilier du développement durable. Il suffit pour s’en rendre compte de se poser une question : quelle part de ressources dédiées à la culture revient aux collectivités, surtout celles du monde rural, dans le cadre de la décentralisation et du transfert des compétences ?

– Culture et civilisation –

La vie culturelle dans notre pays se manifeste à travers quatre sphères qui n’ont ni le même âge, ni les mêmes moyens, ni la même efficacité ; sphères parfois hétérogènes, parfois imbriquées : traditions/coutumes ; spiritualité et pratiques religieuses ; programmes gouvernementaux ;  créativité et production d’acteurs et d’entreprises (du secteur public et du privé) exploitant les opportunités, favorisées par l’existence de technologies révolutionnaires et d’un cyberespace aux offres prodigieuses. Un premier sujet de réflexion découle de ce constat pour notre époque, pour l’Afrique et notamment pour le Sénégal : la nécessité d’évaluer les rapports entre culture et civilisation. 

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La culture renvoie au sol, au sang, à la patrie, aux traditions, à la langue, aux legs divers venus des générations successives. Cette définition de la culture peut dans son interprétation donner lieu à la conception de types de conservatismes que tout oppose : conservatisme rétrograde et conservatisme de nécessité. Le premier, – évidence, étriqué et sectaire – est passéiste et producteur de ce qu’Amine Malouf a appelé si justement des  » identités meurtrières« .  Le deuxième, dont le seul souci est de donner la place qui lui revient à l’image et à l’estime de soi, s’avère compatible avec la construction d’une société ouverte et la mise en perspective de ce que l’Afrique et les Africains apportent à la réalisation de l’universel et d’une mondialisation non unilatérale.

La civilisation concerne les progrès accomplis et qui propulsent l’humanité vers plus de savoirs partagés, plus de pouvoir sur la nature, plus d’harmonie dans   les cadres sociaux ainsi qu’une grande, mais relative maitrise du temps et de l’espace. Sous ce rapport des déséquilibres anciens et persistants montrent que la crise durable que connaissent nos pays est liée pour une part non négligeable à l’infantilisation et à la marginalisation de la question culturelle, entendue au sens indiqué plus haut, en dépit de toute la rhétorique déployée pour dire le contraire. 

Aussi importe-t-il de tenir compte des nombreuses études portant sur cette problématique et qui pour l’essentiel invitent à redéfinir des liens possibles entre politiques de développement, politiques culturelles et politiques de la diversité culturelle. La nécessité de cette redéfinition est apparue avec les débats sur le concept de durabilité. L’avertissement le plus cinglant et le plus instructif est celui- ci : faire de la culture un pilier réel et crédible du développement durable ou prendre le risque de perpétuer les déséquilibres et par voie de conséquence, tous les facteurs d’extraversion, de dépendance et de fractures sociales en contradiction totale avec le concept de développement durable.  

Des indépendances à nos jours des offres de politiques culturelles ont été faites par les régimes successifs, avec leurs mérites et leurs limites. Il ne s’agit pas ici de les comparer ou de les évaluer. Ce papier voudrait se contenter de rappeler qu’en une matière comme celle-là, il est bon de remettre l’ouvrage sur le métier en réitérant certaines questions dont les implications politiques, économiques et sociales peuvent être lourdes de dangers. 

– Du rôle de l’Etat – 

La marche du temps a rendu nécessaire la redéfinition des moyens et du rôle de l’Etat en matière de politique culturelle. Notamment les conditions d’un passage maitrisé d’une situation d’Etat mécène et interventionniste à une ère de partage des responsabilités et des initiatives avec des acteurs culturels relevant de sphères les plus variées. Aussi importe-t-il de toujours bien identifier la vision et de se demander si elle est bonne. Supposons qu’elle se limite à soutenir la création et la créativité afin de laisser aux acteurs culturels individuels, collectifs ou institutionnels la latitude d’entreprendre et de créer librement. Même réduit à ces deux missions ce rôle de l’Etat n’en demeure pas moins essentiel à condition de ne pas perdre de vue les prérogatives et obligations qui s’y attachent.

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Dans un souci d’alerte et de construction d’un espace d’échange il est utile, à ce stade, de noter que certains indices incitent à se demander si les objectifs stratégiques ne sont pas brouillés ou insuffisamment définis. Par exemple, si dans notre pays il faut se féliciter de la promotion prodigieuse des arts plastiques, il convient dans le même temps de s’inquiéter de l’espace dévolu aux arts vivants et qui se rétrécit comme peau de chagrin. Pour ne prendre qu’un exemple symbolique et symptomatique : les sorts respectifs du Théâtre National D. Sorano et du Grand Théâtre. Le premier fut très longtemps le cœur palpitant de la vie culturelle sénégalaise. Il est devenu presque aphone et invisible. Le deuxième n’arrive pas à sortir de son état de salle de spectacles de variétés musicales et politiques. On ne lui connait jusqu’ à ce jour aucune création qui justifie son statut de théâtre. Le sort du cinéma, de l’édition, de la danse et de quelques autres disciplines ayant la même dignité que ceux qui occupent le haut du pavé mérite aussi de faire l’objet d’une attention soutenue et d’actions promotrices décisives.

Par ailleurs tous les spécialistes de la culture – et Dieu sait si notre pays en regorge dans le département chargé de conduire cette politique et en dehors – savent qu’entre patrimoine et créativité, il y a un rapport indissoluble de complémentarité et de soutien pour ne pas dire dialectique. Le recensement de notre patrimoine culturel fait partie des initiatives et des actions continues entrepris par les pouvoirs publics bien avant notre accès à la souveraineté internationale. Mais comment accroitre ce patrimoine si des leviers essentiels de la créativité accusent un retard aussi considérable que ceux qu’ont connu la Bibliothèque Nationale, la Maison des Archives, la création d’un musée d’arts plastiques, le mobilier national, le mémorial de Gorée, les Manufactures d’Arts décoratifs : une vingtaine d’années pour certains de ces projets.

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– Changer de regard et de perspective – 

Je voudrais en venir et pour terminer cette brève contribution à ce qui me parait être l’enjeu fondamental et le défi majeur à relever : un changement de regard et de perspective. Impulser la culture non plus par le haut mais à partir des territoires, des collectivités locales et des identités de base bien comprises. Un tel changement de perspective est porteur d’avantages multiples aux plans économique, social et culturel. Il prépare et rend supportable le dialogue ou la confrontation inévitables du local et du global. Il favorise la continuation et l’approfondissement des relations transfrontalières d’échanges et de coopération millénaires entre régions et pays de la sous-région. Il offre au développement durable une assise forte parce qu’assumée et mise en perspectives par les citoyens à la base. 

Sous ce rapport il est impératif pour notre pays de prêter une grande attention à la signification et aux possibilités intrinsèques du festival national des arts et de la culture. Faire l’évaluation objective de ses éditions successives en vue de mettre les résultats d’une telle investigation en rapport avec l’esprit qui avait motivé cette initiative en vue de se recentrer sur la stratégie. Les trois piliers retenus pour mettre en œuvre et préserver la dynamique de ce projet novateur et stratégique sont : la diversité, l’initiative locale et la conscience citoyenne d’appartenance à la République et à ses valeurs. C’est la voie royale pour rompre avec la dépendance vis-à-vis de l’extérieur mais aussi en finir avec les aléas de la vie politique qui souvent subordonne la promotion de ce sous-secteur à des priorités et à caprices qui font oublier la construction du bien commun

Etre attentif à l’évolution du monde et y prendre part c’est, par le biais de la créativité et des patrimoines, donner ou restituer à des acteurs libres, confiants en eux- mêmes et fiers de projeter à travers leurs œuvres l’image qu’ils ont d’eux-mêmes, les moyens et la latitude d’entreprendre pour créer des richesses, mais aussi de nouvelles raisons de vivre.

#Enjeux2019

Abdoulaye Elimane Kane est professeur des Universités à la retraite. Membre fondateur du Syndicat Autonome du Supérieur (SAES), il a milité successivement au Rassemblement Démocratique National dirigé alors par le Professeur Cheikh Anta Diop, au Parti pour la Libération du Peuple et au Parti Socialiste. Il a occupé diverses fonctions académiques et administratives : chef du département de philosophie, inspecteur général de philosophie, ministre de la communication et ministre de la culture.







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