Le vice-premier ministre, ministre du développement économique italien, Luigi Di Maio, a déclaré le 21 janvier dernier : « S’il y a des gens qui quittent l’Afrique aujourd’hui, c’est parce que certains pays européens, la France en tête, n’ont cessé de coloniser des dizaines de pays africains (…) il y a des dizaines de pays africains où la France imprime une monnaie, le franc des colonies, et avec cette monnaie elle finance la dette publique française ».
Et le chef de file du Mouvement 5 Etoiles de conclure : « Si la France n’avait pas les colonies africaines, parce que c’est ainsi qu’il faut les appeler, elle serait la quinzième puissance économique mondiale alors qu’elle est parmi les premières grâce à ce qu’elle est en train de faire en Afrique ».
Il y a dans ce discours, tous les ingrédients qui ont fait le succès du jeune leader et son mouvement depuis son irruption dans la scène politique italienne : les raccourcis faciles, les approximations grossières, la démagogie décomplexée et l’étalage d’une inculture et d’un manque de profondeur historique inquiétants pour un homme d’Etat de ce niveau sur des sujets sérieux et complexes.
Ainsi n’avons-nous pas été surpris par l’alliance objective qui se noue entre la coalition de Di Maio, au pouvoir à Rome, et l’activiste Kémi Séba (voir : http://www.rfi.fr/afrique/20190202-etrange-lien-tisse-panafricaniste-kemi-seba-gouvernement-italien-franc-cfa).
C’est l’appétence pour le discours populiste négatif (par opposition à celui positif parlant directement au peuple d’humanisme et de lutte contre les inégalités) qui a conduit Di Maio et son allié Salvini, leader de l’extrême droite italienne, à faire passer, auprès de leurs électeurs, les migrants africains comme la source de tous les maux de leur pays.
L’Italie est ainsi dirigée aujourd’hui par une coalition qui mène une politique xénophobe aux soubassements racistes allant jusqu’à refuser de secourir des migrants en danger de mort, en haute mer (voir : https://www.24heures.ch/monde/italie-refuse-encore-daccueillir-bateau/story/25635807).
Il y a beaucoup à dire sur la gestion des pays d’origine des candidats à l’exil et les relations de ces Etats avec la France demandent un rééquilibrage. Toutefois, il convient de rappeler à notre « corbeau aux plumes de colombe » comme dirait William Shakespeare, menant une politique xénophobe et raciste contre les nôtres dans son pays et subitement préoccupé par les intérêts des pays africains que le franc CFA c’est 14 pays sur les 54 que compte l’Afrique. Lui rappeler aussi que les migrants ne viennent pas en majorité des pays de la zone CFA (Voir : https://www.bbc.com/afrique/region-46999469).
Et si les conditions dangereuses de voyage des migrants peuvent résulter de la situation économique de beaucoup de pays africains, l’émigration n’est pas seulement liée à la pauvreté. Contrairement à une idée reçue, plus des pays se développent, plus leurs citoyens ont tendance à émigrer car c’est dans l’ordre naturel des choses d’avoir des rêves d’ailleurs, de vouloir, lorsqu’on en a les moyens, découvrir d’autres cieux.
L’humanité, en effet, ne saurait être assignée en résidence ici et être libre de ses mouvements là-bas (voir les travaux de François Héran répondant aux thèses de Stephen Smith : https://www.liberation.fr/debats/2018/10/09/la-ruee-d-africains-vers-l-europe-une-these-sans-valeur-scientifique_1684253).
Instrumentaliser le vif débat sur le franc CFA pour légitimer une politique intérieure répugnante est une manœuvre bassement politicienne qui n’agrée, sur le continent noir, que les « Di Maio africains », alliés démagogues et populistes identitaires.
Ceux-là sont à différencier des économistes et autres intellectuels africains qui se portent la contradiction sur le plan des idées, de la recherche et du savoir.
Aussi, sur le lien entre les réserves de change et le financement des importations, le rôle prêté à la France dans la politique monétaire, le niveau des taux d’intérêt, la gestion du compte d’exploitation, l’importance de la convertibilité etc. un intense débat intellectuel est mené. Ce débat ne saurait être simplifié.
En expliquer la complexité aux populations africaines concernées et aux décideurs actuels ou futurs qui n’en maitrisent pas forcément les subtilités est l’attitude la plus responsable.
Pour ma part, bien que n’étant pas économiste encore moins monétariste spécialiste de ces questions, je pense que l’enjeu est plus politique qu’économique. La parité fixe du franc CFA, son arrimage à l’euro facilitent les importations à des coûts favorables. Seulement, les économies africaines devraient mettre en place des stratégies permettant de transformer leurs matières premières sur place avant d’exporter le produit industriel. A ce moment, une monnaie flexible avec une parité flottante arrimée à un panier de devises permettrait d’être plus compétitif sur le marché mondial des exportations.
Cependant le préalable consistant à avoir un tissu industriel rendant possible la transformation de nos matières premières en produits d’exportation – préalable qui ne se fera que par une volonté politique de nos gouvernants et qui n’est donc pas du ressort de la BCEAO ou de la BEAC – n’est pas encore effectif.
Il est temps de politiser un peu plus la question dans le sens de pousser nos hommes d’Etat à lutter contre le caractère extraverti de nos économies dominées par les importations. Une fois ce chantier achevé, la monnaie pourra être pleinement utilisée comme outil de performance économique rendant compétitifs nos produits d’exportation. On en revient au basique mais incontournable : « produire ce que nous consommons et imposer nos produits sur le marché mondial ».
Le débat sur des options économiques découlant d’une volonté politique souverainiste ne doit pas être occulté par la question monétaire qui n’en est qu’une partie.
Et cette partie monétaire ne doit pas nous faire prendre pour des sauveurs de l’Afrique – ils se présentent ainsi – les identitaires et autres racistes qu’ils soient africains ou italiens.