En politique, le symbole vaut son pesant d’or. Surtout pendant une campagne électorale comme celle que nous sommes en train de vivre depuis 72 h. Les cinq candidats, Ousmane Sonko, Idrissa Seck, Issa Seck, Madické Niang et Macky Sall, ont démarré leur campagne dans des localités dont le choix, manifestement, ne s’est pas fait sur un coup de tête. Chacun a cherché un ancrage pour aller à l’assaut des électeurs. Issa Sall est allé à Guédiawaye, là où le Pur avait enregistré le plus d’électeurs pendant les législatives, Idrissa Seck a lui opéré un retour aux sources, dans la capitale du rail, Madické Niang a choisi le pays mouride pour lancer sa campagne. Le président sortant, Macky Sall a aussi jeté son dévolu sur Touba, fief où il a toujours perdu les élections. Ousmane Sonko a choisi Dakar comme point de départ.
- Macky Sall et Touba le cœur « insensible »
Macky Sall, le candidat de Benno Bokk Yakaar, a choisi Touba, pour démarrer la campagne électorale. Une localité qu’il ne parvient, jusque-là pas à rallier à sa cause. Le pays mouride lui a toujours tourné le dos. En choisissant d’y démarrer sa campagne, Macky Sall ne cache pas sa volonté d’inverser la tendance, en menant une opération de séduction chez le Khalife général auprès de qui, le Président sortant, est venu solliciter des prières. La posture de soumission du « talibé » qu’il a adoptée, est un clin d’œil à l’électorat mouride. Il sait que l’autoroute Ila Touba ne suffit pas, en dépit de la communication faite autour de cette infrastructure, pour faire pencher la balance, il en faut plus.
Une campagne de conquête
D’un autre côté, le choix de Touba – le maillon faible du candidat de BBY – fait croire que Macky Sall va privilégier la campagne de conquête, en mettant l’accent dans les zones où la coalition présidentielle est faible. Sans peut-être commettre l’erreur de négliger les bastions « apéristes» et de la coalition BBY. Et cela se fera sûrement à travers une communication de maintien bien huilée.
Dans son discours prononcé lors des caravanes de Darou Mousty et de Mbacké, Macky Sall est revenu sur son bilan, en insistant sur ce qu’il a fait dans la ville religieuse. Tout en égratignant les candidats de l’opposition qui n’auraient pas, selon lui, un programme fiable et crédible, contrairement à son Plan Sénégal émergeant (PSE). Il a fait le tour de quelques foyers religieux à Touba, Darou Mousty et Mbacké. Les cameras des télévisions ont immortalisé les sollicitations de prières et le recueillement d’un candidat qui rêve d’avoir le « ndigueul» pour retrouver à nouveau le Palais de l’avenue Roume.
Le talibé occasionnel
Une stratégie qui montre à suffisance qu’il mise sur l’électorat mouride, à travers ses grands électeurs. Le fait de s’afficher avec le Khalife Général des mourides, le marabout de Darou Mousty etc., est la preuve qu’il cultive une proximité avec ce milieu religieux aux fins de s’attirer la sympathie de tous les électeurs qui s’identifient à cette confrérie. Son port vestimentaire (mouride) en dit long sur les intentions d’un « talibé » (modéré ou occasionnel) qui veut coûte que coûte avoir le soutien du pays mouride qui semble, pour l’heure, lui manifester son désamour.
2- El Issa Sall joue la carte de la reconnaissance
Le candidat du Pur, El Issa Sall, est retourné dans son fief de Pikine-Guédiawaye, lequel lui avait porté bonheur lors des dernières législatives, en se classant comme troisième force politique du pays. Une manière d’être reconnaissant à l’endroit des électeurs de la banlieue dakaroise.
Fort de son poids dans cette localité, il voulait faire le rassemblement au Stade Alassane Djigo, mais, dit-il, le maire, oncle du Président sortant, aurait tout fait pour qu’il n’en soit pas ainsi.
Au-delà de la stratégie de victimisation (il a aussi rappelé le refus des autorités de faire son rassemblement au stade Aréna, pendant la période du parrainage), le candidat du Pur veut ainsi montrer la capacité de mobilisation de son parti, que le camp d’en face ne souhaite pas voir, parce que ça gêne.
L’imaginaire a aussi fonctionné dans le choix de Pikine-Guédiawaye, qui avait porté chance au Pur lors des législatives, pour « forcer » le destin une deuxième fois.
Du coq à l’âne
El Issa Sall s’est ensuite attaqué à la gestion de Macky Sall, au plan de la sécurité, en parlant même de la disparition de six de nos compatriotes, liée aux failles sécuritaires. Seulement, en annonçant, dans son discours, développer cette question (sécurité) qui constitue le sixième axe de son programme, le porte-étendard du Pur est tombé dans le piège de digression qui l’a éloigné du sujet. En lieu et place, il a parlé de la séparation des pouvoirs et leur manipulation par le Président sortant, et de la suppression de la caisse noire. C’est une erreur grave de communication qui met à nue les problèmes de cohérence dans le speech d’El Issa Sall.
3- Idy, le choix de l’ancrage
Le choix de Thiès, par le candidat de la coalition Idy 2019 est, à plus d’un titre, symbolique. Pour qu’un arbre puisse résister aux intempéries, il lui faut des racines profondes et solides. Sa ville natale lui a servi d’ancrage. En cela, Idy n’a fait que respecter la tradition, car pour le démarrage d’une campagne électorale ou la déclaration de candidature, les hommes et les femmes politiques ont tendance à choisir leur ville ou village d’origine. Le choix est certes symbolique, mais plein d’enseignements pour quelqu’un qui a été battu dans le département lors des dernières législatives. Il fallait alors réussir cette entrée en matière par une forte mobilisation à la place mythique de la Promenade des Thiessois, pour rappeler à ses détracteurs qu’il est toujours là.
L’humour pour démolir Macky
Dans son discours, Idy a dénoncé les problèmes d’eau constatés dans la capitale du Sénégal. Il a jeté la pierre dans le jardin du Président qui a manqué, selon lui, de hauteur, de sagesse et de bonté, au cours des sept ans de sa gouvernance. Pour lui, l’opposition n’est pas le problème de Macky, mais plutôt le peuple.
En recourant à l’humour, le candidat Idy 2019 a parlé de l’attitude sévère d’un Président qui ne sourit pas – ce qui lui a valu le sobriquet de « Niangal » – et dont la vision s’arrête à Diamniadio. Par ailleurs, il a fait usage de l’alternance codique (usage du français et du wolof), même si le français domine. Pour plus d’efficacité, il gagnerait à privilégier le wolof.
4- Madické, l’héritage mouride
C’est Touba que Madické Niang a choisi pour lancer sa campagne. Ce talibé mouride revendique l’héritage de Cheikh Ahmadou Bamba Rassoul auquel il s’identifie. Le rescapé du naufrage libéral « n’aime pas seulement le fondateur du Mouridisme, mais il le vit ». Cet attachement à cette confrérie est utilisé comme un élément de séduction pour attirer l’électorat mouride. Madické se dit qu’il y a là, une carte à jouer, avec la non-participation du PDS à cette élection. Le fait de se rendre à Porokhane pour se recueillir sur la tombe de Mame Diarra, est un clin d’œil à l’électorat féminin mouride.
Il a aussi utilisé l’humour en présentant Macky comme quelqu’un qui a pris la tangente, quand il a appris sa venue en terre mouride dont il est le digne et légitime héritier. Dans son discours, il dira que le Président sortant n’a rien fait à Touba, en dehors des deux forages.
Déconstruire pour se poser en défenseur
La stratégie de déconstruction du discours du camp du pouvoir qui brandit l’autoroute Ila Touba comme un trophée, lui permet de se poser en défenseur d’une communauté dont il est membre à part entière.
Le candidat gagnerait à animer son discours pour afficher sa détermination, aux fins de casser l’image d’une « candidature négociée » servant d’écran au tenant du fauteuil. C’est à lui d’effacer cette image par les actes qu’il posera sur le terrain de la campagne. Il doit se prendre au sérieux en assumant son leadership.
5 – Sonko parle aux jeunes
Le candidat de la coalition SonkoPrésident a choisi Dakar pour lancer sa campagne. Il a sillonné les rues de la capitale et de sa périphérie à travers une caravane qui lui a permis de prendre un bain de foule. Les jeunes ont constitué la majorité de la foule qui l’accompagnait. Son discours anti-système a séduit cette frange de la population. Ousmane Sonko l’a compris, d’où sa présence à l’université, le lieu, par excellence, de contestation, pour avoir la confirmation que son discours est bien réceptionné et compris.
Dans la tenue de l’homme d’action
Dans son discours, il a parlé de l’impératif d’industrialisation du pays, avant d’annoncer la baisse des impôts sur les sociétés de 30 à 23% ; la diminution du train de vie de l’Etat et le gaspillage qui permettront d’économiser 350 milliards de F CFA.
Le candidat Sonko était dans une tenue de travail, comme pour renvoyer l’image d’un homme d’action et pragmatique. Et cet enfant qu’il prend dans ses bras, avant de l’embrasser, est une manière de séduire les parents. L’enfant politique n’est pas acteur, puisqu’il n’a pas encore l’âge de vote, par contre son image est utilisée par les politiques pour tendre la main à ses géniteurs qui eux, sont des électeurs.