Politique ? Po la tiggi ! « La politique, c’est vraiment un amusement, un jeu. » C’est ainsi que je tenterai de traduire, laborieusement et sans la fine saveur de certaines tournures de nos langues nationales, l’expression ouolof «po la tiggi » . Elle joue en effet, et à bon escient, avec les sonorités du mot politique en français pour le tourner en dérision une fois mis à la sauce du cru. On parle d’ailleurs de « jeu politique » en occident… Chez nous, le jeu n’a jamais une dimension « sérieuse » , tout au plus ludique comme il se doit … Le jeu, l’amusement, la dérision, la plaisanterie ne sont utilisés « sérieusement ( !) » que dans nos mécanismes sociaux de régulation des conflits. Notamment pour vivifier la parenté dite à plaisanterie qui contribue à bâtir des ponts entre les ethnies et même à les cimenter. La plaisanterie, disons la parole plaisante, est la règle entre grands parents et petits-enfants, entre cousins consanguins ou ethniques. Elle permet de se dire tout, et même les critiques les plus acerbes, dans la bonne humeur, la courtoisie et les règles de bienséance. Au fond, tout prétexte à rire est utilisé pour décrisper les relations sociales et abattre les murs d’incompréhension entre les humains. Le « jeu social » chez nous, n’est donc pas un « jeu de dupes » . Mais le levain de fraternités exquises et de solidarités transversales. Malentendu culturel ? Choc de civilisations ? Lorsque nous prendrons le temps de réfléchir en profondeur sur qui nous sommes vraiment, nous prendrons conscience de notre richesse culturelle et humaine incroyable. Ce sera alors le temps de nous « développer », comme nous l’entendons, au lieu de poursuivre une course poursuite avec le modèle occidental, en perte de sens pour cause de brouillage des repères de l’homme.
En tous cas, au regard de ce que le « jeu politique » est devenu dans notre pays, eu égard aux fondamentaux culturels, spirituels et moraux, sensés être les références de notre Nation, des questions se posent que l’on ne doit plus esquiver. La colonisation nous a appris à voter, à élire et à choisir nos dirigeants à la manière occidentale. Elle nous a imposés les modalités de conquête des suffrages à travers des campagnes électorales où le spectaculaire l’emporte sur le sens. Nous y avons ajouté notre sens du rythme, nos sonorités et notre folklore. Mais aussi nos excès, voire nos dérives. Nos campagnes électorales sont ainsi le prétexte à une redistribution débridée de subsides… illicites aux électeurs. Plus on a de moyens et plus on attirera des foules. Et les foules ne s’y trompent pas qui suivront indistinctement toutes les caravanes à condition d’être transportées, nourries et…désintéressées. Corruption en masse dans l’impunité totale. Même certains Imams sont pris dans la nasse…
Autre manœuvre… dolosive, les 5 minutes de temps d’antenne allouées à chaque candidat. Il faut faire foule. Parfois s’adresser à une foule qui ne vous regarde pas. Pour la télévision. Pour entretenir l’illusion. Au besoin, traverser un marché ou une grande avenue aux heures de pointe. Cela permet de colorer gratuitement une foule en y déversant quelques militants et leurs banderoles. La technique est éprouvée… Sinon, il faut que les équipes de Com veillent au cadrage des images. Pour les « ajuster » Car elles doivent toujours paraître plus enthousiastes que nature. Jeu de dupes…
Mais il y a un autre hors-jeu qui s’est invité dans la campagne électorale en cours. Un jeu de mains. « jeu de mains, jeu de vilains », dit pourtant la maxime… Eh ! bien lorsque les gros bras s’y mettent, le jeu tourne au massacre. Et l’on note depuis quelques jours une recrudescence d’actes violents sanctionnés, hélas, par des pertes en vies humaines. Sans compter les nombreux accidents de la circulation, causés par les caravanes électorales qui outrepassent toutes les règles du code de la route et de la sécurité routière. C’est comme si le temps de la campagne électorale était une période de non droit : des véhicules surchargés, sans plaque d’immatriculation, s’ébranlent en cortèges désordonnés qui perturbent la quiétude des usagers de la route. Le recours intempestifs à des gyrophares dans une nuée de motos « Jakarta » qui slaloment dangereusement, ajoute au stress des automobilistes dont les nerfs sont déjà à vif à cause des kilomètres de bouchons. Notamment à Dakar, depuis que le chantier du TER a rétrécit les options de déviation…
Toute cette folle ambiance fait partie du jeu… Mais elle occulte la partie essentielle que nous doivent les hommes politiques : la formulation d’idées simples pour nous faire rêver ou espérer. L’énonciation de programmes faisables répondant en priorité à la satisfaction de nos besoins : l’emploi des jeunes, l’éducation, la santé, la sécurité, la création et le partage équitable des richesses. Et pourtant chaque candidat a pris le soin de rédiger un document. Qui en parle ?
Il reste encore quelques jours de ce…carnaval électoral. Une demande pressante, voire une exigence démocratique, serait la confrontation des programmes des différents candidats à travers un débat public radio télévisé. Depuis quelques jours un hashtag #sunudebat fait rage dans les réseaux sociaux. Si la maturité de notre démocratie est vraiment une réalité, rien ne devrait s’opposer à la tenue d’un tel exercice afin que les sénégalais voient, non plus des monologues parallèles, mais surgir du choc des idées et des tempéraments des candidats à la magistrature suprême, la personnalité qui emportera l’adhésion de la majorité des électeurs. Sinon, il restera encore un goût de parodie inachevé du modèle occidental. Tant qu’à faire, imitons ce qui s’y fait de mieux ! Il paraît que 4 des candidats en lice ont marqué leur accord. Le cinquième ne peut pas refuser de s’y soumettre !
En attendant, nous prions pour le repos de l’âme de toutes les victimes de notre jeu politique et social qui n’en finit pas de se jouer de nous en multipliant les…. hors-jeux !