De la manière dont les campagnes électorales se déroulent naît bien souvent la difficulté d’aimer la politique. En effet, les campagnes électorales se déroulent presque toujours dans notre pays comme elles ne devraient jamais l’être. L’on y privilégie la forme plus que le fond, la rue plus que les salles fermées et mieux sécurisées ; l’argent plus que l’argument ; les muscles plus que les neurones. Il est compréhensible dans ce contexte que la politique soit détestée et appréhendée, même si, au même moment, elle occupe les esprits et anime au quotidien les discussions partout.
Au moment où la campagne bat son plein, une question s’impose : A quoi sert les campagnes électorales ? ça devrait être quoi une campagne électorale ? Pour les acteurs politiques et candidats, elles servent à rencontrer, à expliquer, à convaincre, à voir de plus près, à se faire voir sous leur meilleur aspect, à se faire connaître davantage, à se faire apprécier, à discuter, à échanger, à exposer son programme, à présenter son équipe, à donner les raisons de sa candidature. L’objectif politique ultime est d’arriver à faire le plein de voix électorales, même si le discours est vide. Et pour chaque corps de métier, chaque entité, chaque homme, femme, jeune, militaire, enseignant, juge, avocat, chômeur (c’est devenu un métier dans ce pays), ouvrier, la campagne électorale devrait servir à jouer sa partition citoyenne et professionnelle pour que la symphonie démocratique accouche du meilleur choix représentatif possible. Mais, force est de reconnaître que rien n’est plus improbable.
Une campagne électorale devrait donc être pour les prétendants au pouvoir un moment d’écoute, de réflexion, d’explication, de communication, de sensibilisation, de témoignage, de participation au débat, de confrontation des idées et non de violences urbaines et rurales.
Une campagne électorale devrait être une occasion de voir les intellectuels sortir de leur silence inquiétant et de leur indifférence buissonnière pour soumettre les idées des candidats au tamis de leurs sciences, par des articles, des livres, des conférences ou des émissions, pour mieux valider ou invalider la pertinence des propositions des uns et des autres, dangereusement généreuses en promesses et en illusions libertines. Leur responsabilité intellectuelle, politique, sociale et citoyenne ne s’arrête pas aux amphis et dans les salles de cours.
Une campagne électorale devrait une célébration de la citoyenneté délivrée de tout assujettissement, libre de toute servitude volontaire, émancipée de toute tutelle et débarrassée de tout penchant corruptogène. Citoyens, vous valez plus qu’un tee-shirt, une casquette, un sifflet, un sac de riz, un sandwich ou des frites. La campagne électorale est pour vous une épreuve pour donner la preuve irréfutable que votre dignité ne vaut pas le prix d’une bouteille de bière. Soyez résolus de ne pas être corruptibles et vous voilà libres et sauvés, suis-je tenté de vous dire.
Une campagne électorale devrait être un test pour les institutions judiciaires et les forces de l’ordre de montrer que l’intérêt supérieur de la nation et la sécurité des populations est au dessus de toutes les considérations partisanes et politiciennes. C’est une occasion qui leur est donnée de rappeler à tous que force ne restera pas entre les mains d’un homme ou d’un parti. C’est une occasion de montrer en silence qu’ils savent ce que le mot « institution », veut réellement dire. Que c’est une responsabilité qui ne peut être assujettie à aucune perversité – même sacralisée.
Une campagne électorale devrait être une bénédiction pour des confréries, imams, marabouts, et autres manipulateurs du faire-croire, de démontrer la solidité de leur foi et non leur fragilité devant les biens matériels que leur procurent des hommes de pouvoir. Ils doivent résister à la tentation de l’éphémère. Ne pas utiliser Dieu pour parrainer un candidat qui aura su acheter leur indulgence. Ne pas pousser le citoyen à se demander à quel saint se vouer ? Pardon à quel charlatan se vouer ?
Une campagne électorale devrait être une opportunité pour les médias de démentir les propos virulents que n’ont cessé de leur infliger philosophes, sociologues, politologues comme nombre d’observateurs sur leur incapacité à être à la hauteur du professionnalisme que leur exigent l ‘éthique et la déontologie de leur profession qui requiert de l’équilibre, de la justesse et non pas du favoritisme. Les journalistes devraient saisir ce moment électoral pour écrire et dire, non pas ce qu’attendent ceux qui les paient pour désinformer, tenter de formater la pensée des citoyens ou abêtir leurs lecteurs avec des faits divers, des potins, des commérages, des histoires de chèvres écrasées. La campagne électorale est une épreuve qu’ils doivent affronter en se montrant capables d’analyse, d’objectivité et d’équité, notamment en restant un cadre de promotion de la qualité démocratique à la faveur de débats fructueux.
Une campagne électorale devrait être une occasion pour les femmes de refuser d’être les marionnettes au service du folklore politique. Elles endurent des quotidiens qu’une campagne électorale devrait leur permettre de mettre sur la table pour, non pas seulement souffrir moins de la domination masculine, mais pour vivre mieux notamment en passant d’abord par l’exigence d’une parité réelle dans les fonctions de représentations politiques, administratives et dans tous les secteurs. Elles devraient résister d’obéir et de suivre pieds, mains et neurones liés ces femmes qui les offrent aux politiciens, moyennant financements occultes et indûment servis pour asservir le Sénégal.
Une campagne électorale devrait être une occasion offerte aux ouvriers de faire entendre aux candidats leurs doléances, pour que ces derniers les intègrent dans leurs programmes en leur précisant les solutions qu’ils comptent apporter à leurs problèmes.
Une campagne électorale devrait être une occasion pour les chômeurs de manifester leur volonté de sortir de cette condition difficile de non-emploi. Ils pourraient rappeler aux politiciens qu’ils détiennent en grande partie la clé de l’issue électorale ; que leurs voix comptent autant voire plus que toute autre voix, parce qu’ils sont les laissés pour compte du système qui les plonge dans la misère et l’insécurité existentielle.
Une campagne électorale devrait être un moment où le sérieux laisserait une petite place, malgré tout, à l’humour, à la fête, à la musique, aux alléchantes répliques et petites phrases assassines, aux grands meetings en salle fermée et sécurisée aux allures de concert avec une chaleureuse et conviviale ambiance.
Et dans ces conditions parfaitement remplies, les campagnes électorales cesseront d’être des problèmes pour devenir des solutions. Pour cette fois, c’est presque trop tard.
Ibrahima Silla est président Mouvement Lénène ak Niénène, membre du Directoire de Fippu