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Les Paradoxes De L’agriculture Senegalaise

L’agriculture occupe 70 % de la population active mais n’arrive pas à nourrir les Sénégalais que nous sommes. Notre pays est importateur net de produits agricoles, malgré une dotation en facteurs de production exceptionnelle. Cette problématique demeure encore non résolue depuis notre accession à la souveraineté internationale (1960), malgré divers plans et programmes mis en œuvre par les pouvoirs politiques successifs.

Cette dépendance aux produits alimentaires extérieurs est apparue au grand jour avec la crise financière de 2008 mais aussi et surtout avec les effets de la pandémie du Covid 19 et la guerre russo-ukrainienne sur les chaînes de production mondiales et l’inflation consécutive à la crise énergétique provoquée par les sanctions sur le gaz et le pétrole russes.

Aussi, les dirigeants des pays d’Afrique, traditionnellement importateurs nets de produits alimentaires, surpris par la rareté de l’offre extérieure de produits alimentaires, ont entonné brusquement, pour la plupart d’entre eux en tout cas, un hymne à la « souveraineté alimentaire ».

Pour exploiter les terres cultivables en continu, il faut des aménagements hydroagricoles, des infrastructures hydrauliques d’exhaure, de retenue, de transfert des ressources en eau, ainsi que des réseaux d’irrigation.

Les experts hydrauliciens du Sénégal sont d’avis que son potentiel hydraulique est surdimensionné par rapport aux besoins de la population.

Seuls trois pour cent (3%) des eaux de surface et près de 30% des eaux souterraines sont utilisées pour l’alimentation humaine (hydraulique urbaine et rurale) et l’agriculture, laquelle demeure encore dépendante globalement des aléas d’une saison des pluies très courte.

En réalité, le développement de ce potentiel hydraulique destiné à l’agriculture est surtout lié à des obstacles d’ordre financier. En effet, si l’eau potable urbaine est en mesure de mobiliser les ressources financières nécessaires et adaptées pour la mise en place des infrastructures et du matériel d’exploitation, il en est autrement du secteur agricole.

Les ressources financières qu’il exige sont généralement importantes car les infrastructures, en particulier les aménagements hydro-agricoles, sont réputés lourds. De surcroît, le secteur agricole est considéré par les banques comme étant fortement exposé au risque de défaut de paiement au regard du caractère erratique de ses performances.

Suite à la sécheresse des années 70, plus précisément de 1973, le Sénégal et des pays partenaires réunis dans le cadre de l’OMVS ont mis en service, en 1989, des barrages à vocation hydroélectrique (Manantali) et agricole (Diama).

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Le barrage de Diama permettait de bloquer l’intrusion saline, qui rentrait sur près de 150 km à l’intérieur des terres rendues de ce fait non cultivables, et de dégager pour le Sénégal environ 240 000 hectares potentiellement irrigables.

Notre pays pouvait ainsi disposer d’un potentiel de 240 000 hectares sur les 375 000 disponibles sur toute l’OMVS. En effet, le plus fort potentiel de terres irrigables de cette organisation se trouve au Sénégal qui, à lui seul, en représente 58,5%. Il est suivi de la Mauritanie (31,5%), de la Guinée (5%) et du Mali (5%).

Malgré cet énorme potentiel de ressources hydriques et de terres irrigables, le Sénégal reste à ce jour « importateur net » de produits alimentaires. Paradoxalement, d’autres pays moins dotés en facteurs et en proie au stress hydrique comme le Maroc sont exportateurs nets de produits agricoles, horticoles, et en particulier, vers le Sénégal.

Malgré le fait que le royaume chérifien connaisse l’une des pires sécheresses de son histoire depuis cinq ans (2018 et 2023), l’industrie horticole fournit plus de 33 % de ses recettes d’exportation.

La situation en est au point où le ministère en charge de l’eau dans ce pays du Maghreb prend au sérieux l’hypothèse que la dotation en eau puisse descendre, à l’horizon 2030, en dessous du seuil de pénurie situé à 500 m3.

Selon les données officielles du royaume, le commerce du Maroc avec l’Afrique a affiché, en 2022, une hausse de 45% pour atteindre un record de 65 milliards de DH, soient près de 3900 milliards de Fcfa, avec un nombre de camions partant du Maroc vers les marchés africains évalué à 45.000 (les produits alimentaires agricoles représentaient 28 % des volumes transportés).

Le Maroc est l’un des principaux fournisseurs d’oignons du Sénégal, de la Mauritanie et du Mali. Aussi, la suspension des exportations d’oignons qu’il avait décidée en février dernier avait conduit le Sénégal, en proie à une pénurie, à demander la levée de la mesure, ce qui fut fait en juillet 2023.

Cette décision avait été prise par les autorités marocaines pour privilégier le marché national en réponse à la hausse des prix à l’époque.

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C’est dire l’état de dépendance de notre pays à l’égard de ce produit (parmi d’autres), largement consommé par nos compatriotes.

En définitive, malgré des investissements massifs réalisés depuis près de 35 ans, les résultats escomptés des barrages et des aménagements (développement des cultures irriguées, autosuffisance alimentaire, aménagement des terres, production hydroélectrique, etc.) demeurent bien en deçà des prévisions initiales.

Avec l’érection de Diama, sur 240 000 hectares irrigables dans notre pays, seuls 130 000 sont irrigués depuis 1989.

D’une manière générale, notre agriculture demeure faiblement financée malgré son poids dans l’économie et le rôle primordial qui est le sien pour la sécurité alimentaire qu’elle peut procurer. Malgré, enfin, l’importance de la démographie qu’elle mobilise (60 à 70% de la population active).

De plus, l’importation des produits alimentaires, induite parla faiblesse de la production agricole pèse sur les comptes courants extérieurs tenus au niveau de la BCEAO, dont le niveau est sapé par l’inflation.

Il est notoire que, n’eut été la position extérieure nette positive de la Côte d’Ivoire en UEMOA, le Sénégal souffrirait de manque de devises pour faire face à ses importations.

Selon le ministre des Finances, « la contribution de l’agriculture dans la formation du Produit Intérieur Brut, qui est de l’ordre de 15 %, reste encore faible au regard de la population active qu’elle emploie ».

Cette déclaration faite lors du « Forum national sur le Foncier » de décembre 2023, qui sonne comme un aveu d’impuissance, est suivie d’une sorte de relativisation ainsi formulée (nous citons) : « cette réalité, largement partagée par les pays en développement, demeure la principale entrave à la réalisation de la souveraineté alimentaire »

Face à cette situation, quelles sont les solutions préconisées par l’argentier du pays ? «Il nous faut, pour parvenir à une agriculture performante, bâtir une large coalition des différents acteurs autour d’une approche holistique, incluant sécurisation foncière, développement des chaînes de valeur agricoles, préservation des écosystèmes, gestion durable des ressources, etc. » (fin de citation)

Ainsi, nous comprenons mieux que le président Macky Sall n’ait consacrée qu’une faible partie à l’agriculture dans son discours à la nation du 31 décembre 2023.

Le passage consacré à l’agriculture est succinct en ce qu’il se limite à la phrase suivante : « Nos efforts ont également porté sur les trois piliers de notre stratégie de souveraineté alimentaire : l’agriculture, dont le budget a plus que doublé entre 2012 et 2023, la pêche et l’élevage »

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Ce discours de clôture de son magistère à la tête du pays fait plutôt la part belle aux réalisations d’infrastructures routières et autoroutières, et à « la modernisation du système de transport urbain et interurbain », sur lesquelles on le sent plus à l’aise.

Bref, et à l’instar de ses prédécesseurs, malgré une multitude de structures dédiées et de programmes(PRACAS, DAC etc.) ayant entraîné un endettement colossal (de 200 milliards de Fcfa en 2012 à 16 000 milliards en 2023), le président Macky Sall n’aura pas réussi à faire du secteur de l’agriculture la locomotive de la transformation structurelle de l’économie de notre pays.

Il reviendra à son successeur de tenir compte des expériences du passé, en particulier des menaces qui pèsent sur le commerce mondial des produits alimentaires, en proie à des chocs exogènes devenus fréquents depuis l’année 2020 (COVID, guerre en Ukraine, conflit Israël Hamas) mais aussi sur les chaînes de production, d’approvisionnement et de transport à l’échelle du monde, et appellent à davantage de souveraineté économique, alimentaire en particulier.

Les problèmes internes du secteur de l’agriculture dans sa configuration actuelle devront également être réglés. Au-delà de la question foncière, il y a les problèmes d’équité quant à l’accès aux semences, aux engrais et autres subventions pour ce qui concerne les spéculations traditionnelles (arachide, niébé, mil etc.), et dont les solutions sont toujours remises aux calendes grecques par les gouvernants, au regard des coûts politiques qu’elles sont susceptibles d’engendrer pour eux qui songent toujours à l’élection prochaine.

In fine, malgré la concurrence inégale avec l’agriculture occidentale, protégée parce que fortement subventionnée et bénéficiant des technologies les plus avancées, nous pensons que la croissance agricole doit être tournée vers le marché intérieur et la conquête du marché sous régional.

Pour le marché intérieur, cible prioritaire, cela devrait aller de pair avec une politique de promotion de nouvelles habitudes de consommation, d’incitation du secteur privé à investir dans le secteur ainsi que de disponibilité de ressources financières adaptées via des banques de PME spécialisées à créer.

Abdoul Aly Kane







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