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Et Si On Parlait D’abstention ?

Et Si On Parlait D’abstention ?

Dans un pays qui a connu l’indépendance il y a soixante ans, parler d’abstention au vote relève-t-il du profane ? Dans une nation ou tenir des élections avec transparence et sans violence demeure problématique, peut-on se permettre un débat sur l’abstention ? Au moment où toutes les forces vives de la nation mobilisent leurs toutes dernières énergies pour rassembler les votants et gratter des voix par ci et là, quid des abstinents ? Sont-ils des citoyens entièrement à part ? Portent-ils eux aussi la voix du peuple ?

Aperçu historique du vote au Sénégal ?

De 1960 à 2012 une dizaine d’élections présidentielles se sont déroulées. Différentes alternances se sont succédées. Senghor fut nommé le tout premier président à l’unanimité en 1963 sous la bannière de l’Union progressiste sénégalaise (UPS). L’opposition d’alors n’avait pas pu obtenir le nombre suffisant de voix des députés pour lui faire face. Il restera président jusqu’en 1973, soit deux élections de suite, avec le même scénario, grâce notamment à l’instauration du parti unique. En 1974, le PDS vit le jour, l’opposition sénégalaise vit les graines de contestations et de luttes acharnées porter leurs premiers fruits. En 1978, pour la toute première fois, le citoyen lambda fut convoqué à faire un choix (pour les élections précédentes ils avaient vraiment pas le choix), celui d’élire son président. Sans surprise, Senghor rafla la mise à nouveau avec plus de 82 %.

Ainsi, s’ouvre l’ère des contestations politiques, des débats d’idées tant sur le fond que sur la forme. Le pays se démocratise de plus en plus. Des élections de 78 à l’an 2000, beaucoup d’événements se sont déroulés. Citons la démission du président Senghor en 1980 qui désigna Abdou Diouf comme successeur qui, par la suite, remporta les élections de 88 et 93 pour finalement, en l’an, 2000 assisté à une (véritable) alternance qui porta au pouvoir, Wade, l’un des plus acharnés opposants. Et à ce dernier de subir la lourde sanction du peuple en 2012 suite à la grosse pilule du “waxx waxeet” que la majeure partie des électeurs ne pouvaient avaler.

Durant ces six décennies de luttes sans répit, d’élections et de reconnaissance du citoyen comme étant le point central et la seule personne capable de désigner son président, un facteur clé fut autant négligé : celui de l’abstention. De 1963 à 2012 le taux d’abstention dans les différentes élections n’a cessé d’évoluer. Aujourd’hui la moyenne du taux d’abstention des élections présidentielles est de 32%. Trois Sénégalais sur dix préfèrent écouter Youssou Ndour tout en reniflant l’odeur du bon goût de Thiébou Dieun qui se dégage depuis la cuisine un dimanche d’élection présidentielle que d’aller voter.

Qu’est ce qui peut bien expliquer cela ?

Pour mieux appréhender ce phénomène, analysons l’évolution du taux d’abstention au fil du temps, pour les différentes élections présidentielles (je ne traite que le cas présidentiel) durant ces six décennies avec des prévisions pour les élections prochaines de 2019. Que peut-on en tirer ?

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On voit que le taux d’abstention de 1963 à 1973 a chuté et tourne autour de 10 %. Parmi les facteurs qui peuvent expliquer ce phénomène, entre en lice l’instauration du parti unique qui faisait que l’électorat n’avait vraiment pas le choix que d’élire celui qui a été désigné seul candidat à l’élection. Ensuite, on peut nommer l’absence d’opposant symbolique capable de défier le parti au pouvoir, ce dernier usant de sa force, les intimidait et les plus féroces se faisaient oublier sous les pénombres des prisons dans les chambres de neuf mètre carré dans une partie déconnectée du pays. Enfin, un autre facteur pouvant expliquer la chute du taux d’abstention de 1963 à 1973 pourrait être l’intérêt grandissant que portait une bonne partie de l’électorat aux élections qui, quoi que l’on dise, fut un phénomène totalement nouveau dans notre pays.

De 1978 à 2012, la tendance s’inversa. Les proportions deviennent considérables et inquiétantes, le refus du peuple d’aller voter se démarqua. En moyenne trois sénégalais sur dix s’abstiennent. On ne peut plus parler de phénomène nouveau, de paresse ou encore de manque de conscience. L’abstention de ces électeurs est raisonnable, et il y a bien une explication derrière cela.

Oui pour l’abstention face à la médiocrité du personnel politique ?

Soixante ans après l’indépendance, le Sénégal est aujourd’hui classé parmi les vingt-cinq pays les plus pauvres au monde selon le FMI (même si le classement reste discutable, la pauvreté demeure une réalité dans ce pays). En parallèle, la Corée du sud (même si ce ne sont pas les mêmes contextes politiques et économiques n’en demeure pas moins un bon exemple) qui, en 1961 voyait l’inflation et le chômage en pic et dépendait en majorité de l’aide américaine, a pourtant su réorienter sa politique stratégique en imposant une politique de substitution aux importations, une politique de restructuration de l’économie, et toute une série de mutations économiques, politiques, sociales et culturelles, le Sénégal malgré ces (faux) alternances, soixante ans après, a quand-même du mal a démarrer le moteur. Pourquoi voter si c’est pour acquiescer la médiocrité de la classe dirigeante qui se manifeste à travers leurs discours vides de contenus, leurs programmes préfabriqués qui pendant toutes ces décennies, parlent de la même chose.

Tony Blair disait : dans l’opposition on vit en vers ; mais on vit en prose sitôt que l’on est au pouvoir. Entre un parti au pouvoir qui brille de son incapacité à orienter le pays vers les voix des changements profonds et une opposition qui jette l’opprobre sur le parti au pouvoir et qui, par tous les moyens, essaie de nous faire croire que les choses seront différentes une fois qu’ils seront élus, faire un choix de bonne foi est presque impossible. Tous pareil, Kourouma disait, en politique le vrai et le mensonge, portent le même pagne, hélas c’est toujours d’actualité. Une fois au commande du rouleau compresseur étatique, ils écraseront toutes promesses et dévieront leurs sagesses et leurs honnêtetés au prix d’un confort administratif ; ne dit on pas à tout seigneur, tout honneur ?

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Oui à l’abstention et non au vote sanction ?

En 2012, les sénégalais n’avaient pas vraiment élu un président, mais plutôt sanctionné un autre. Ce sont les erreurs du président Wade qui avaient porté au pouvoir le président Sall et pas nécessairement son programme politique, économique ou social. D’ailleurs ce n’est qu’après son élection qu’il nous a proposé le fameux PSE qui a coûté un pognon de dingue au contribuable sénégalais. Voyez-vous, le problème avec le vote sanction c’est qu’on n’adhère pas à la politique d’un candidat, on veut juste changer le système ou les commandes de l’instrument étatique. Cependant, cette attitude inconsciente de l’électeur achoppe sur un problème beaucoup plus grave : celui de devoir supporter un quinquennat de plus un président non voulu, non choisi.

L’abstention d’une bonne partie de l’électorat sénégalais se justifie bien, malgré la démocratie représentative qui propulse au pouvoir une personne qui n’est pas nécessairement adoubée par la majorité. Pour preuve, en 2012 toujours, le nombre d’inscrits à la liste électorale s’élevait à 5 301 648 et le nombre d’abstinents à 2 568 149 soit 48,42% au premier tour et 2 385 755 soit 45% au second. Près de la moitié de l’électorat avaient décidé de ne pas se prononcer. Une autre raison pourrait être ce que le philosophe et sociologue Raymond Bourdon appelle la rationalité axiologique. Selon lui, c’est parce que l’on croit au bien fondé d’un quelconque vote que l’on considère ce dernier comme une obligation, un devoir. Le vote sanction ne répondant en aucun cas à ces critères ne peut être un vote justifié. Pourquoi se déplacer si l’on est conscient que notre vote à une infime chance de changer la donne ?

Je m’abstiens ne veut pas dire je m’en fous ?

S’abstenir est aussi un acte de citoyenneté. On a le choix entre voter pour le parti au pouvoir, l’opposition, voter blanc ou s’abstenir. Tout citoyen remplissant les conditions, a le droit de voter – c’est un droit civique. Cependant, le vote n’est pas une obligation sauf si vous êtes citoyen de la Belgique, de l’Australie ou du  Luxembourg… même des amendes sont prévues pour les abstinents. Au Sénégal on n’en est pas là. S’abstenir est aussi un choix. Un choix raisonnable que doivent prendre en compte les élus. Les abstinents ont aussi le droit d’être écouté et les élus doivent considérer l’abstinence de la moitié comme un signal fort d’une partie du peuple qui crescendo répugne sa classe politique pour qui des mesures politiques, économiques et sociales efficaces doivent être prises. Le taux est assez élevé pour qu’on les ignore. Derrière leur silence se cache un message, celui du citoyen qui veut voir la politique autrement, celui du citoyen qui ne veut plus entendre des promesses électorales farfelues portées par le coup de l’émotion.

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On peut bien s’abstenir et faire partie de ce faible taux de citoyens qui vomit la corruption, pour qui l’éthique du travail n’a plus de secret, ce citoyen alpha qui ne jette jamais les déchets dans la rue. L’abstinence est un choix, celui du citoyen qui ne veut plus être le bouclier, le torchon des hommes politiques délégitimes qui pourtant se sentent légitimés par une (fausse) majorité du peuple.

Oui à l’abstention et non au vote confrérique ?

Le professeur Abdou Aziz Kebe dénonçait lors de sa toute dernière sortie : “La manipulation dans les réseaux sociaux de ces confréries, de l’appartenance confrérique, pour en faire un vote pour ou contre… Le vote du 24 février doit refléter ce que nous sommes. Il ne doit pas être un vote confrérique, régional, ethnique, d’aucune identité remarquable. Mais un vote pour la patrie, pour le Sénégal”. Ayant passé mon enfance dans la ville sainte de Touba, je peux affirmer, avec la précision d’un couperet qui tombe, que le vote confrérique existe bien. Est-ce un bon choix ? Je n’en suis pas si sûr. Le vote confrérique est problématique dans la mesure où il ne permet pas nécessairement de faire le bon choix, celui du candidat idéal (rare comme le fennec du désert). Ce n’est parce qu’un candidat sait réciter tel verset ou tel xassaide qu’il a la capacité, l’honnêteté, la sincérité et la foi d’un leader. S’il y a une chose sur laquelle les politiciens excellent, c’est exploiter la faiblesse de son électorat et de son adversaire. S’abstenir dans ce cas est tout à fait raisonnable.

Je lance un appel fort aux cinq candidats de bien vouloir, au lendemain du scrutin, penser à cette partie du peuple abstinente qu’ils dirigeront pour de longues années à venir. Je leur dis qu’eux aussi ont leur mot à dire malgré leur silence.

Chers électeurs, entre voter pour le parti au pouvoir, l’opposition, voter blanc ou s’abstenir, vous aurez le choix le 24 février. Reste à l’assumer pleinement et sereinement. Soyons juste convaincus que ce sera le meilleur choix pour le Sénégal.

Dieng Ibrahima est étudiant à l’école Polytech de Marseille







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