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Lettre Ouverte Aux Candidats à La Présidentielle

Lettre Ouverte Aux Candidats à La Présidentielle

Par devoir, je vous interpelle. Sur l’absence de référence à l’Administration du travail dans vos programmes pour le prochain quinquennat. Curieuse­ment, la création d’emploi et la lutte contre le chômage ont été au cœur de vos préoccupations.

Cependant, je me dois d’attirer votre attention, chers candidats, sur l’administration dédiée à la protection et à la promotion de l’emploi.

Elle est définie par la convention 150 de l’Organisation internationale du travail comme les activités de l’Administration publique dans le domaine de la politique nationale du travail. L’Administration du travail est un outil essentiel dont disposent les gouvernants pour s’acquitter de leurs obligations sociales.

J’ai parcouru vos programmes, mais j’ose avouer que je suis resté sur ma faim, au moment où l’emploi et la justice ont été les points angulaires de vos projets respectifs pour le développement de notre cher Sénégal.

On ne développe un pays, économiquement, en faisant fi des difficultés de l’Administration du travail, ceux qui sont directement concernés et leur pouvoir d’action dans l’organisation et le fonctionnement du monde du travail. La prise en compte de cette Administration est capitale, pilier sans lequel aucun emploi ne peut être protégé dans un contexte où les travailleurs ont de plus en plus besoin de protection.

Pour une meilleure prise en charge de la question du travail et de l’emploi, chers candidats, la réforme de certains textes est plus que jamais opportune dans l’Administration du travail.

Le problème du Sénégal ne se résume pas seulement au cordon ombilical, liant le Parquet au garde des Sceaux, ni aux contrats pétroliers ou gaziers, ni à la lutte contre la corruption, etc., la question de l’emploi est une réalité et vous en avez tous parlé.

Puisque vous avez la volonté de lutter contre le chômage, de promouvoir l’emploi, vous nous avez trouvés sur notre terrain naturel et nous profitons de cette occasion pour toucher du doigt des problèmes dont vous n’avez pas fait état et qui, malheureusement, gangrènent la politique de l’emploi au Sénégal.

Avec vous, j’évoque certaines difficultés accompagnées de solutions, concernant l’Administration à laquelle j’appartiens, pour une solution parmi tant d’autres de la problématique de l’emploi au Sénégal.

Comment peut-on concevoir que le procureur, maître des poursuites, se trouve dans une compétence liée pour les procès-verbaux d’infraction émanant des autres Administrations, alors que le procès-verbal d’infraction de l’inspecteur du travail, non seulement est valable jusqu’à preuve contraire, mais également se trouve au régime de droit commun, où le Parquet reprend sa liberté d’apprécier l’opportunité de la poursuite, conformément à l’article 32 du Code de procédure pénale ?

A quoi sert alors l’alinéa 2 de l’article L.191 du Code du travail, si la saisine de l’inspecteur est traitée de la même façon que celle d’un justiciable agissant pour son intérêt privé ? Ah oui, monsieur le législateur, on a saisi le message avec l’éclairage de l’alinéa 3 de l’article L.191. D’ailleurs, en dehors de cette disposition, aucun serment d’un fonctionnaire n’est assorti de sanction pénale.

Le toilettage de certains textes est indispensable pour la promotion de l’emploi et de la couverture sociale. L’inspecteur du travail est l’un des rares fonctionnaires de la hiérarchie A, à qui la loi autorise le pouvoir d’infliger des amendes, sans mettre les conditions de son application. Encore que cette amende, même si ces conditions étaient réunies, n’est pas dissuasive, avec des montants à la limite ridicules1 pour une Administration en 2019.

Chers candidats

Comment peut-on comprendre en 2019 que la loi prévoit une amende de 500 à 2 500 francs pour un employeur ayant dépassé les délais prévus pour le paiement des salaires, ou refusant de délivrer des bulletins de paie à son travailleur. Sachant que le bulletin permet à ce dernier de comprendre les éléments de la rémunération et le décompte ayant servi de base de calcul.

Une Administration soucieuse du respect du droit du travail et de la sécurité sociale, garante de la paix sociale, de l’ordre public, de la santé publique et de l’épanouissement du travailleur dans son lieu de travail, est incompatible avec l’application du décret n°62-017 Pc/Mfpt/Dgtss/Tmo du 22 janvier 1962 (Jos n° 3506 du 10 février 1962, pages n°208 et 209) fixant l’échelle des peines de simple police applicables aux auteurs de contraventions aux dispositions du Code du travail et des règlements prévus pour son application. C’est une réglementation plus qu’obsolète, dépassée depuis belle lurette.

Au moment où les accidents de travail et les maladies professionnelles constituent de sérieux dangers pour la santé publique, avec un peu moins de 2 0002 accidents de travail par an, certaines mesures (comme le décret n° 62-017) aussi inefficaces ne doivent pas être maintenues en vigueur dans l’Administration du travail.

Comment comprenez-vous que la violation des règles d’hygiène, de santé et de sécurité, des règles relatives à la circulation des véhicules et engins dans les lieux de travail, sources de maladies professionnelles et d’accidents du travail, soient sanctionnées3 par une amende ne pouvant pas dépasser 18 mille francs ?

Chers candidats, une fois élu, nous invitons le nouveau président de la République à l’évaluation de la loi 97-17 du 1er décembre 1997, portant Code du travail de la République du Sénégal.

Cette réforme a été faite au mépris du droit des travailleurs, en conférant aux employeurs tous les pouvoirs sous le prétexte de la flexibilité pour la création d’emploi et pour la lutte contre le chômage.

Pour autant, le chômage a-t-il réellement baissé ? Ce qui interroge également sur l’efficacité d’un tel dispositif.

Ce n’est pas en déprotégeant les travailleurs que l’on arrive à un plein emploi, l’intérêt des entreprises n’est pas toujours confondu à celui des travailleurs.

Je suis plus en phase avec Dominique Schmidt dans sa conception de l’intérêt de l’entreprise, pour qui l’entreprise est constituée en vue de satisfaire l’intérêt des associés qui ont seule vocation à partager les bénéfices sociaux, qu’avec le Professeur Jean Paillusseau pour qui la protection de l’entreprise et de son intérêt est le meilleur garant de la protection des intérêts catégoriels.

Les entreprises étrangères qui évoluent dans notre pays sont loin d’être philanthropes, elles sont plus à la recherche de profits qu’à la promotion de l’emploi. Dès lors, l’on ne doit pas décorner notre Administration au nom de la flexibilité, au détriment des travailleurs et de ses acteurs pour aboutir aux mêmes doléances se résumant à la problématique du chômage.

Chers candidats, on ne peut pas penser la matière sociale en négligeant ou en ignorant les pouvoirs dont les acteurs concernés doivent être pourvus. Certes les jeunes veulent travailler, mais ne souhaitent aucunement être des employés, laissés à la merci de l’employeur et des risques professionnels.

Aujourd’hui à la veille de l’élection présidentielle du 24 février 2019, l’employeur a tous les pouvoirs sous le prétexte d’une difficulté économique ou d’une réorganisation intérieure ou d’une «prétendue» cause conjoncturelle ou accidentelle pour remettre en cause le contrat de travail, sous le regard impuissant de l’inspecteur du travail et de la sécurité sociale.

En guise d’exemple, l’article L.65, au-delà de la consécration législative du chômage technique, aucun texte réglementaire n’est en vigueur pour les modalités de son application, pour une question aussi délicate, une réalité quotidienne de l’entreprise.

Ne laissez pas les inspecteurs et contrôleurs du travail, de même que les employés sénégalais, prendre leur mal en patience, en attendant une «hypothétique» adoption de l’acte uniforme relatif au droit du travail pour combler ce vide juridique !

Chers candidats, nos émigrés sont aussi des employés à assister tout au long de leur carrière professionnelle, cela ne peut être fait qu’avec la présence des inspecteurs du travail et de la sécurité sociale dans les représentations diplomatiques et consulaires pour une meilleure prise en charges de leurs droits sociaux.

Chers candidats, au moment de la constitution de votre gouvernement, que l’élu se penche plus sur la cohérence administrative qu’au partage du gâteau entre vainqueurs pour une meilleure coordination en vue de rationaliser les politiques et programmes.

Arrêtons avec ce «saucissonnage» ministériel qui ne fait que remettre en cause davantage l’efficacité et l’efficience de l’action administrative.

La direction du Travail et de la sécurité sociale, la protection sociale dans son ensemble, la direction de l’Emploi, la direction de la Formation professionnelle doivent être contenues dans un seul et même ministère, sous d’autres cieux cela prend la dénomination de ministère des affaires sociales.

Si la lutte contre le chômage est un enjeu pour l’Etat, la précarité de l’emploi, et la santé des travailleurs en sont d’autres. C’est pourquoi l’un des collègues, le docteur Diakhaté, disait : «La flexibilité est nécessaire, mais elle n’est pas l’instabilité, la précarité, la remise en cause dans un sens négatif des règles établies4.»

Chers candidats à la Présidentielle, Paul Valery disait : «La véritable tradition dans les grandes choses n’est point de refaire ce que les autres ont fait, mais de retrouver l’esprit qui a fait ces choses et qui en ferait des toutes autres en d’autres temps.»

Chers candidats, que le meilleur pour le Sénégal gagne !

Babacar SY

Juriste, Inspecteur du Travail et de la Sécurité sociale

sy.papebabacar@yahoo.fr

1 Décret n° 62-017 PC/MFPT/DGTSS/TMO

du 22 janvier 1962 (JOS N° 3506 du 10 février 1962 pages n° 208 et 209)fixant L’échelle des peines de simple police applicables aux auteurs de contraventions aux dispositions du code du travail et des règlements prévus pour son application

2 rapport annuel des statistiques du travail de l’année 2017

3 Voir décret 2006 du 15 novembre 2006 relatifs à l’hygiène la santé et la sécurité des travailleurs.

4 revue relations sociales n°21 du mois de mai 2016 page 21

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