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Mettre Fin À L’esclavage Des Temps Modernes

#Enjeux2019S’il y a une frange de la population qui est absente des programmes des candidats à la présidentielle du 24 février prochain, c’est bien celle qui concerne ces enfants en situation de rue. En effet, cette couche vulnérable de la population considérée comme un rebut humain ne figure aucunement dans le catalogue des solutions proposées par les compétiteurs à la course présidentielle. Pourtant cette plaie de la société sénégalaise, qui entrave le développement du pays parce que excluant une frange importante de ses fils dans les rets de l’esclavage, mérite une thérapie idoine. 

Chaque matin, plus précisément vers 6 heures au moment de me rendre au boulot, j’assiste impuissamment à un spectacle attendrissant qui ne laisse insensible personne : il s’agit de ces jeunes enfants mendiants appelés talibés qui investissent l’arrêt-bus de la police des Parcelles Assainies, obligés d’affronter douloureusement le froid matinal avec des haillons qui n’offrent aucun moyen de résistance contre la rigueur du climat. Des chérubins dont l’âge varie de cinq à douze ans s’offrent, pieds nus, une course de vitesse pour aller tendre la main aux clients qui attendent le bus. Certains en profitent pour leur jeter quelques piécettes, du sucre, des bougies ou des biscuits pour conjurer un mauvais sort ou pour convoiter quelque chose de meilleur. Et ce qui choque, c’est qu’à pareil moment des enfants de leur âge, avec leurs uniformes et leurs sacs au dos, accompagnés de leurs parents attendent sur le même lieu leur bus scolaire pour aller à l’école. Pourtant la Constitution, article 22, alinéa 2, dispose que « tous les enfants, garçons et filles, en tous lieux du territoire national, ont le droit d’accéder à l’école ».

– Echec des régimes –

Ce spectacle inégalitaire qui se passe un peu partout dans la capitale sénégalaise semble ne pas émouvoir les prétendants à la présidentielle. Le président sortant, qui a échoué dans le domaine de la protection de cette couche vulnérable, n’en fait même pas cas non plus dans son programme ligeyal ëlëk qui promet pourtant un avenir meilleur aux Sénégalais. Mais les talibés qui n’ont bénéficié d’aucune mesure d’amélioration de leurs conditions d’existence depuis 2012 de la part du régime de Macky Sall, peuvent-il en espérer pour les cinq années à venir de la part de celui-là qui n’a pas su résister à la pression maraboutique pour faire appliquer la loi interdisant la mendicité ? Que nenni !

La loi 75-77 interdisant la mendicité, sauf dans les lieux de culte, existe depuis le 09 juillet 1975. En 2005, le régime du président Abdoulaye Wade où un certain Macky Sall était Premier ministre l’a remis au goût du jour. En effet la nouvelle loi n° 2005-06 du 10 mai 2005 en son article 3, interdisant la mendicité, stipule que « quiconque organise la mendicité d’autrui en vue d’en tirer profit, embauche, entraîne ou détourne une personne en vue de la livrer à la mendicité ou exerce sur elle une pression pour qu’elle mendie ou continue à le faire est puni d’un emprisonnement de 2 à 5 ans et d’une amende de 500 000 à 2 000 000 de francs ». S’appuyant sur cette loi, Aïda Mbodj, la ministre de la Femme, de la Famille et du Développement social de l’époque, lors du projet vote du budget de son ministère le 7 décembre 2006, avait déclaré : «on va s’acheminer vers le ramassage des enfants, si la sensibilisation sur la mendicité des enfants qui est une forme d’exploitation ne réussit pas ». Mais le projet avait échoué parce que les maîtres coraniques et autres prétendus érudits de l’Islam avaient crié à l’islamophobie inspirée par des « organismes comme l’Unicef et l’Ong Tostan ». Pourtant nulle part, l’Islam, qui définit bien les conditions d’attribution de la Sadaqat (aumône) à la sourate 9 verset 60, ne recommande cette mendicité ambiante qui prolifère à un rythme exponentiel. Et le prophète Mahomet (PSL), qui a eu à réprimander un fidèle demandant de l’aumône tout juste après une prière, réprouve la main tendue dans beaucoup de ses hadiths.

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L’actuel régime n’a pas fait mieux que le précédent dans le domaine de la protection de ces enfants en situation de rue. Le 4 mars 2013, neuf talibés sont morts vers 23 h calcinés dans un incendie d’une rare violence. Révolté le Premier ministre de l’époque, Abdoul Mbaye, avait fait cette déclaration annonciatrice de la fin de cet esclavage moderne qu’est la mendicité : « Il faut que l’ensemble de la population sénégalaise décide de se battre contre cette mendicité des enfants. Il faut que la population se sente également concernée par ce problème. Quand on voit plusieurs fois des enfants habiter, s’entasser à 50 dans de petites baraques, qu’on le dénonce, qu’on informe la police. La police n’est pas là seulement pour incriminer, elle est également là pour assurer la sécurité des citoyens, même s’ils ont trois ans ou quatre ans. Cette mendicité organisée, d’exploitation des enfants en leur faisant vivre des conditions terribles, les exposant à des risques comme celui qui a été vécu à la Médina, ça doit cesser et avec le concours de tous. Il y a des décisions qui ont été prises et on va vers l’interdiction totale de la mendicité des enfants dans les rues, car le Coran s’apprend dans un daara et non dans la rue. Il n’est pas question d’interdire la charité, mais organisons-la ». Mais comme dans un instinct de survie, des associations spontanées de maîtres coraniques s’étaient rassemblés dans des médersas pour promettre la géhenne à cet audacieux hérésiarque qui avait le toupet de leur priver cette main-d’œuvre enfantine qui les nourrit avec leurs familles. Pour ces esclavagistes du troisième millénaire, quelques cliquetis de chapelets accompagnés de psalmodies de versets suffisaient pour crucifier ce Lucifer Mbaye échappé des enfers pour leur perdition.

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Le 22 juin 2016, lors du Conseil des ministres, le président de la République, Macky Sall, avait fait une déclaration exhortant le gouvernement à poursuivre les efforts importants menés dans le cadre de la lutte contre la mendicité des enfants. Dans la suite de cette déclaration, le ministre de la Famille, de la Femme et de l’Enfance avait lancé officiellement la campagne de retrait immédiat des enfants de la rue sur l’ensemble du territoire national. Et entre juin 2016 et mars 2017, le programme « Retrait des enfants de la rue » à Dakar a été lancé. Ainsi 60 opérations de rues ont été menées par la police et les travailleurs sociaux dans les rues de Dakar. A la fin de ces opérations, 1.547 enfants ont été officiellement retirés des rues, recueillis et placés dans des centres d’accueil, avant d’être restitués à leurs parents. 1 006 de ces enfants ont même été renvoyés à leurs maîtres coraniques sans qu’aucune enquête ne soit mené sur ces exploiteurs de main-d’œuvre infantile et sur les conditions d’existence de leurs talibés. Chose gravissime, plusieurs de ces marabouts-négriers ont empoché des enveloppes en guise de soutien financier quand ils ont été dans les centres d’accueil pour récupérer «leurs forces de travail ». Une telle méthode n’a fait qu’encourager la pratique roublarde de la mendicité au lieu d’y mettre un terme puisque désormais, le talibé peut être une source pour bénéficier d’un appui financier de l’Etat en cas d’opération de retrait. Aujourd’hui les maitres coraniques perpétuent sans vergogne l’exploitation ignoble de ces enfants sans assistance. Ce qui devient un véritable supplice de Sisyphe.

– Droits des enfants bafoués –

Le Sénégal, comme la plupart des pays de la sous-région, est un pays où les droits des enfants sont constamment bafoués. Pourtant l’article 4 de la Déclaration des Droits de l’Enfant de 1959 stipule que « l’enfant doit bénéficier de la sécurité sociale, il doit pouvoir grandir et se développer d’une façon saine… L’enfant a droit à une alimentation, à un logement, à des loisirs et à des soins médicaux adéquats ». Ce qui est loin d’être le cas chez nous où certains maitres coraniques affament ou torture mortellement les enfants talibés pour assurer leur subsistance. Comment un pays peut-il parler systématiquement d’émergence si plus de 100 mille de ses enfants, futures ressources humaines qui doivent participer à son développement, sont victimes d’un système et de pratiques qui les discriminent, les excluent ou les assujettissent ?

Aussi invraisemblable que cela puisse paraître, l’esclavage, même s’il est aboli le 27 avril 1848, n’est pas seulement un fait passé de l’histoire mais aussi une réalité actuelle si l’on voit les essaims de chérubins qui se déversent quotidiennement dans la capitale aux seules fins de tendre une main famélique pour remplir la bouche gloutonne et la poche insatiable du maître. Mais ce qui étonnant et immoral, c’est que les rejetons de ces soi-disant maîtres ne dirigent jamais la ribambelle des talibés-mendiants qui parcourent sans arrêts les rues de Dakar. Ils se calfeutrent avec aisance dans leurs chambres douillettes au moment où de malheureux bouts de chou s’entassent par dizaine dans des cagibis avec les conditions d’hygiène les plus dégradantes et les plus déshumanisantes. En sus des corvées monétarisées, les brimades, les ratonnades et les bastonnades prennent le dessus sur le temps d’apprentissage du Coran des innocents talibés. Et faute de s’affranchir de l’enfer de cet esclavage, souvent certains de ces bouts de bois de Dieu s’adonnent désespérément au marronnage à leurs risques et périls.

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La mendicité infantile dérange le bon ordonnancement de nos sociétés. Sa culture ne répond nullement à un besoin sociétal du mieux-vivre d’une certaine catégorie de Sénégalais et de Sénégalaises. Le nombre de talibés effarant qui déambule dans la capitale est un indicateur de la misère d’une bonne partie de la population. Il est aussi symptomatique de l’échec des différents régimes socialiste et libéral dans la mise en place des politiques efficientes de réduction de la pauvreté, de formation et d’insertion sociale des talibés exploités par des pseudo-marabouts comparables à des négriers véreux du 21e siècle. C’est l’échec de la prédication dans les mosquées mais surtout des pouvoirs publics.

La mendicité des enfants n’est ni une fatalité, ni un mal nécessaire. Il urge pour nos pouvoirs publics et religieux de mener une réflexion profonde sur cette plaie sociale purulente et puante. Dans ce cas, l’enjeu doit dépasser toute attitude de stigmatisation, de déshumanisation et de commisération à l’endroit des talibés. Par conséquent, cela requiert résolument la pose d’actes significatifs qui rompent avec nos mentalités rouillées, lesquelles rejettent le fléau en amont tout en voulant l’entretenir en aval.

Le président qui sera élu prochainement doit avoir comme mission première d’assurer à toute sa jeunesse sans discrimination les conditions d’un avenir radieux. Ainsi il ne doit pas céder un seul pouce dans sa volonté de lutter contre cet esclavage des temps modernes pratiqué par de faux maîtres coraniques dont la plupart n’ont que le goût du lucre ou de la luxure.

#Enjeux2019

Serigne Saliou Guèye est éditorialiste à SenePlus depuis plus de 6 ans. Il est également journaliste chroniqueur au quotidien Le Témoin.







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