« Notre pays est à un moment où nous devons prier davantage, redoubler de piété pour vivre davantage dans la vérité et l’authenticité. Notre pays connait quelques perturbations et nous n’en sortirons pas si nous ne sommes pas du côté de la vérité qui vient du côté de Dieu et de la paix qui vient de Dieu » Mgr Benjamin Ndiaye.
Je reprends ma plume aujourd’hui, 23 février 2019 pour partager mon ressenti à quelques heures de l’élection présidentielle. Une élection qui s’annonce morose et incertaine. Pendant que le gouvernement actuel se porte déjà gagnant dès le premier tour avec des slogans « vainqueurs au premier tour », « réélu sans doute » placardés et scandés à tout va, l’opposition continue les messages incitant à « aller voter », « le scrutin n’est pas joué d’avance », « la fraude ne passera pas ». Le ton est donné.
Mais aujourd’hui mon cœur est lourd, tellement lourd que je peine à écrire ces mots. Lourd de voir la force déployée par un Etat qui depuis sept ans n’a cessé de s’enfoncer dans des dérives. Lourd de voir un président qui en 2012, lors de son discours inaugural à la nation, avait promis d’être le président de tous les sénégalais, d’œuvrer à la bonne gouvernance et à la rupture s’adonner avec suffisance à un partisanisme total, absolu et annihilateur des valeurs démocratiques et républicaines les plus fondamentales.
Qui n’a pas vécu les élections locales de 2014, le référendum et les dernières élections législatives ? Qui n’a pas vécu les achats de conscience, l’argent déversé et distribué (l’argent du contribuable sénégalais), le « OUI » imprimé en marron sur fond beige et le « NON » imprimé en rose sur fond blanc ? Je n’oublierai jamais cette affiche, preuve que le Ministère de l’Intérieur, garant du bon déroulé du scrutin et garant de la sécurité et de la bonne marche électorale avait basculé dans le partisanisme. Je n’oublierai jamais lorsque les bureaux de vote ne sont pas arrivés à l’heure à Touba lors des dernières législatives et que les cartes d’électeurs n’ont pas été distribuées à temps. Faillite là encore de l’Etat, garant du bon déroulement du scrutin. Je n’oublierai jamais chaque jour de ce régime où jour après jour, j’ai vu dans mon pays, le Sénégal, la « démocratie » triompher si on définit par « démocratie » l’expression d’une majorité tronquée et la dignité bafouée et ne pas pouvoir se plaindre parce que c’est le jeu au final. On gagne. On perd. Mais devrait-on avoir à jouer autour de l’équilibre même d’une nation ? Le « Oui » a gagné lors du référendum mais à quel prix ? Doit-on se taire lorsque la « démocratie » au sens gribouillée du terme permet qu’une journée déconstruise l’histoire même de notre pays ? Comment les uns et les autres se regarderont demain ? Comment l’Etat justifiera sa décadence apparente, assumée et à ses yeux, « légitime » ? Le rendez-vous sera à la fête mais qu’à-t-on à fêter si ce n’est le recul de tout ce qui fait la force et l’identité du Sénégal ?
Depuis un moment, j’entends qu’il ne faut pas simplement voter pour sanctionner. Mais j’écris ces quelques mots car à mon sens, il faut sanctionner. La sanction est importante. Mais avant tout, commençons par un petit aperçu de ces sept dernières années.
I. 2012 – 2014 : le flou total
L’oubli nous gagne vite parfois au Sénégal mais il est toujours bien de rappeler les choses. Lorsque le président Macky Sall accède au pouvoir en 2012, il le fait sur la base d’un programme de bonne gouvernance. A son accession, sa première action a été tout un tapage sur la traque des biens mal acquis. Rappelons-nous l’incohérence d’une telle entreprise au regard de sa propre déclaration de patrimoine de 8 milliards et de ses déclarations « je reconnais avoir bénéficié des faveurs du régime de Wade » suite à laquelle il précise automatiquement « moi je me bats contre la vraie corruption » (donc les gens n’ont pas de dictionnaire chez eux). Rappelons-nous également que toutes les personnes concernées n’ont pas été traduites en justice. Une sélection partielle et partisane (ce mot sera répété plusieurs fois dans ce texte) a été faite, toujours alignée avec la logique propre de l’Etat de servir ses propres fins politiques.
De plus, entre 2012 et 2014, nous avons également vécu les campagnes de communication pourries :
celle de l’hélicoptère où M. le président accompagné de Mimi Touré, Ministre de la Justice à l’époque, débarquent en treillis durant les coupures d’eau liées à la panne de l’usine de Keur Momar Sarr et celle du petit déjeuner avec la première dame qui sert dans des calebasses du « vrai lakh (plat à base de mil) sénégalais ». Cette dernière campagne était tellement fausse que le président y tenait son journal à l’envers, faisant semblant de lire, ce qui n’était clairement pas le cas. C’est aussi le moment des déclarations contradictoires entre Ministres d’un même gouvernement et de la Loi sur la baisse des loyers dont on ne sait toujours pas quel est l’impact concret sur la crise foncière au Sénégal 7 ans après.
II. 2015-2018 : politique partisane et cacophonie
A partir des locales en juin 2014, nous avons eu le lancement du Plan Sénégal Emergeant qui a fait la publicité de l’émergence. Il a fallu apparemment deux ans de fonction à notre gouvernement pour se payer une vision cohérente et un semblant de stratégie et la traque des biens mal acquis servait de diversion pour cacher ce vide apparent. Toutefois, au-delà des politiques économiques, agricoles et culturelles, nous retiendrons surtout de ces années l’enfoncement de l’Etat dans une logique profondément partisane.
En effet, la rupture annoncée préalablement en termes de gestion saine et de meilleure gouvernance montre ses limites : investiture de politiques à des postes de responsabilités juste pour gagner des localités (la majorité des Ministres et Directeurs Généraux ayant perdu leur localité en 2014 ont été démis de leur fonction), utilisation massive des biens publics à des fins partisanes, absence de transparence dans l’éligibilité des fonctionnaires publiques (rappelons-nous chers sénégalais la déclaration de Mbagnick Ndiaye, ancien Ministre de la culture qui disait : « c’est Marième Faye Sall (actuel première dame) qui élit qui elle veut. Ceux qui lui plaisent restent. Ceux qui lui déplaisent sont limogés.). De plus, il y a eu un réel flou sur la question du calendrier électoral qui s’est soldée par une mascarade référendaire car au départ, notre cher président avait promis de tenir l’élection présidentielle en 2017, soit cinq ans avant de se dédire et d’en faire à sa guise. S’en étaient suivies des déclarations qui avaient déstabilisé le pays sans suivi (question de l’interdiction de la burka au Sénégal par exemple –> Fou mou moudj ? question de « l’intangibilité » de la laïcité, mot inséré dans le texte de loi du référendum et enlevé sans justification), recul démocratique (arrestation d’opposants, interdiction de marche, utilisation et instrumentalisation des médias publics et indépendants dans des campagnes partisanes. Le référendum et les législatives en sont encore une fois des preuves patentes : réalisation de publi-reportages en période de campagne alors que c’est interdit par la loi, absence de neutralité de l’administration, Ministère de l’intérieur qui fait une campagne de communication pro-oui avant la période d’ouverture de la campagne et j’en passe).
Socialement, misère et paupérisation de la société sénégalaise. L’indicateur le plus manifeste demeurant le nombre de repas par jour. Aujourd’hui, des quartiers comme Maristes, point E, Sicap Amitiés qui étaient des endroits résidentiels, regorgent de personnes qui ne dinent pas ou qui mangent un repas par jour. A Yarakh ou dans la banlieue (Guédiawaye, Pikine, etc.) et dans les régions reculées, n’en parlons pas. L’argument du niveau de vie qui n’a pas augmenté est avancé mais à niveau de vie stable alors que la tranche pauvre de la population augmente, quel impact ?
Enfin, la chose qui me fait le plus mal est le fait que M. Macky Sall a profondément menacé et menace toujours l’équilibre social du Sénégal. En 2012, des discussions sur la laïcité n’étaient même pas imaginables. Aujourd’hui c’est un vrai sujet. Les discours ethnicistes n’ont cessé de se multiplier ces dernières années et des slogans sont repris en rigolant « il faut soutenir Macky Sall car nous sommes Toukouleurs », « A bas les Toukouleurs et en haut les socés ». Ce ne sont encore que quelques murmures çà et là mais c’est ainsi que les imaginaires se créent et s’impriment dans les consciences collectives. Qui plus est, ne parlons même pas des dérives du leadership sur l’impact de la stratosphère politique : transhumances et iniquité à profusion. Macky Sall a disloqué le P.S et pour la première fois au Sénégal, le Parti Socialiste n’est pas candidat à l’élection présidentielle. De nombreux transhumants ont rejoint l’APR et se permettent de soutenir des positions totalement différentes de celles qu’ils avançaient 5 ans en arrière, insultant ainsi l’intelligence et la confiance de ces mêmes sénégalais à qui ils continuent de promettre un lendemain meilleur ? Mais ce lendemain est-il meilleur pour les sénégalais dans leur ensemble, pour la nation ou pour leurs agendas et avenirs personnels ? Sans compter que tout cela est cautionné et plébiscité par le président de la République qui apparait, dansant, chantant et s’esclaffant : « nioune da niouy dane », « nous, on va gagner ».
En 2012, Maître Abdoulaye Wade était destitué du pouvoir. Bien avant, et nous l’oublions également, le 23 juin 2011, tout un peuple s’était soulevé pour empêcher le vote du texte du loi visant à instaurer le quart bloquant, symbole de la volonté qu’avait Maître Abdoulaye Wade à l’époque de faire de son fils Karim Wade son successeur. Durant cette journée, des vies sénégalaises ont été perdues. En 2012 toujours, l’opposition et la société civile avait fait bloc autour de l’assemblée nationale et durant toute la campagne électorale, ils n’avaient cessé de scander que le vote n’aurait pas lieu contestant la candidature du président sortant comme étant inconstitutionnel. Rappelons-nous Cheikh Bamba Dièye s’enchaînant aux portes de l’Assemblée. M. Macky Sall avait alors gagné les cœurs en affirmant : « je crois en la maturité du peuple sénégalais. Le vote aura bien lieu et les sénégalais s’exprimeront par les urnes ». Né après les indépendances, il symbolisait l’espoir pour un peuple en soif de rupture. Pur produit du système scolaire sénégalais, il gravit les échelons et côtoie aussi bien le secteur privé que le secteur public. Tour à tour Directeur Général de Petrosen, il évolue en tant que fonctionnaire en occupant les postes de Premier Ministre et de président de l’Assemblée nationale. Il est apprécié et considéré par les sénégalais dans leur majorité comme étant quelqu’un de « poli », de « posé » et de « travailleur ». Durant sa campagne, il parcourt le Sénégal de fond en comble et d’aucuns disent que « même dans les endroits les plus méconnus et les plus reculés, il s’y est rendu et s’est entretenu avec les populations ». A son accession, il promet l’équité, la justice et la bonne gouvernance.
Aujourd’hui, sept ans après, on voit un schizophrène politique qui n’a cessé de théoriser la rupture sans jamais la mettre en pratique lui-même. On voit un leader, qui utilise les arguments de la force et non la force des arguments pour diriger, qui protège un système empli de corruption, le justifie tant que c’est à dessein de le servir et qui paradoxalement, condamne tous ceux et celles qu’il pressent de le desservir. Aujourd’hui, sept ans après des vies perdues pour « chasser » (car il s’agissait bien d’une chasse) Abdoulaye Wade et son fils du palais, ces derniers sont pris en sympathie et acclamés par ceux-là même qui leur jetaient la première pierre comme potentiels sauveurs du fait de l’incompétence et du non-respect des procédures juridiques avec lesquelles ces dossiers ont été traités.
Nous pensions tous que nous ne pourrions pas vivre pire que 2012 en élisant un pur produit sénégalais. Malheureusement, il y a eu pire lors de ces sept dernières années. A quelques heures de l’élection présidentielle, la question de la sanction est donc incontournable. Il en va de notre responsabilité citoyenne et de notre salut collectif. Que représente le symbole d’un mandat unique pour la classe politique actuelle ? Quel message fort lancerions-nous à M. Macky Sall en le sanctionnant au soir du 24 février 2019 ? Au-delà de lui, quel message lancerions-nous à tous ceux et toutes celles qui ont vendu leur intégrité, trahi leurs convictions et insulté l’intelligence des sénégalais en oubliant le bien commun pour des calculs personnels et soi-disant « politiques » ? Ce serait un message fort : « si en lieu et place d’œuvrer à mettre en place le programme pour lequel vous avez été élu, vous utilisez les dénis publics et ne travaillez qu’à manigancer pour obtenir un deuxième mandat, il n’en sera rien, car vous et tous ceux qui vous auront rejoints en catimini seront sanctionnés et destitués ».
M. Macky Sall avait bel et bien raison : « Le vote aura bien lieu et les sénégalais s’exprimeront par les urnes ». A quelques heures du scrutin, quatre questions essentielles se posent à nous :
1. Doit-on changer le système comme le scande M. Ousmane Sonko ?
2. Doit-on concevoir la transition républicaine en quatre étapes : 1 pays, 3 axes, 15 thèmes et 45 déclinaisons comme le suggère M. Idrissa Seck ?
3. Doit-on prôner la bienveillance, la joie de vivre, la paix et la prospérité (diam ak kheweul) comme l’inspire M. Madické Niang (AKA M. sourire ak M. todj Radiakh) ?
4. Doit-on faire le choix de repenser l’appareil étatique via des valeurs républicaines et humanistes comme le théorise Dr. Issa Sall ?
A chacun d’y répondre et à nous tous, sénégalais, sénégalaises, d’en assumer les conséquences pour les cinq prochaines années.