Au soir des élections présidentielles du 25 mars 2012, le peuple sénégalais était en train d’écrire une nouvelle et belle page de son histoire politique en élisant à la magistrature suprême un sénégalais né après les indépendances. A travers le vote massif des jeunes et des femmes, le peuple sénégalais avait envoyé un message clair aux hommes politiques en manifestant une volonté de changement et de renouveau de notre système politique alors vieux de 52 ans. En effet, le peuple sénégalais avait en réalité adhéré en masse à la vision et à l’ambition du nouveau Président élu symbolisées par l’espoir (Yakaar) de bâtir un Sénégal nouveau avec des hommes et femmes de valeur et compétents pour lancer définitivement les bases d’une nation prospère et solidaire selon les principes de justice et d’égalité entre les sénégalais de tous horizons. A votre accession à la magistrature suprême en 2012, nombre de sénégalaises et sénégalais avaient été séduits et galvanisés par vos discours au cœur desquels vous avez toujours placé des slogans fort prestigieux et rassurants pour le peuple comme « la patrie avant le parti » et « la gouvernance sobre et vertueuse ». Le peuple sénégalais vous attendait autour de trois chantiers importants : i) la bonne gouvernance et la consolidation de l’Etat de droit par le renforcement de nos institutions pour redresser un pouvoir de l’Etat affaissé ; ii) le développement d’un capital humain et social à travers l’amélioration de notre système éducatif, sanitaire et de couverture sociale ; iii) la réduction de la pauvreté et la lutte contre le chômage massif en créant des emplois pour les jeunes et les femmes pour accroître le pouvoir d’achat des ménages. D’ailleurs, certains éléments de ces différents chantiers figurent dans votre Plan Sénégal Emergent (PSE).
Quand le peuple observe et laisse faire
Mais Monsieur le Président, au lieu de satisfaire l’aspiration profonde du peuple sénégalais au changement et à la rupture dans la manière de gouverner les concitoyens, vous avez préféré résoudre la demande sociale des politiciens en encourageant la transhumance d’hommes politiques dont certains symbolisent le rejet et le dédain aux yeux de nombre de sénégalais. D’ailleurs, l’histoire politique montre que tous les présidents ayant misé sur la transhumance pour un nouveau mandat ont perdu les échéances électorales suivantes comme c’est le cas pour Abdou Diouf et Abdoulaye Wade. Si l’apport des transhumants était déterminant, ces derniers n’auraient jamais perdu le pouvoir. La transhumance qualifiable à une tragédie politique et sociale est la marque ultime du manque de fidélité à ses convictions et valeurs propres et de renonciation à ses idéaux politiques. Cet état de fait me désole si le ralliement ou le soutien à votre action doit se monnayer sur le dos du contribuable sénégalais. Monsieur le Président, votre élection en 2012 n’est pas le fait des hommes politiques mais l’aspiration profonde du peuple sénégalais au changement qui a cru en vous en et en votre projet de société qui faisait rêver en ce sens qu’il pouvait mettre le Sénégal sur un nouveau piédestal et susciter une fierté nationale. Les leçons tirées de notre passé politique récent n’ont apparemment pas servi à changer fondamentalement la mentalité des hommes politiques et la manière de conduire la chose publique. Mais le peuple observe, laisse faire et sanctionne toujours au moment opportun le parti au pouvoir qui favorise les intérêts politiques au détriment de la préservation d’un certain nombre de principes et valeurs morales et éthiques. Il est illusoire de bâtir un pays prospère et souverain sans des hommes et femmes de valeurs et de conviction. Ce beau peuple et digne n’est plus conditionné par le bon vouloir des hommes politiques mais il fait son choix en toute conscience à l’occasion des élections. Le peuple croît à des vertus et des valeurs que les hommes politiques souhaitant le diriger doivent incarner.
Ces anciens dinosaures qui empêchent la rupture !
Le fait de s’entourer que d’anciens dinosaures de la politique sénégalaise empêche une rupture dans notre système politique mais aussi l’émergence de jeunes cadres sénégalais compétents et dynamiques dans la haute sphère politique et des stations prestigieuses pour préparer les futurs hommes d’Etat et leaders de demain capables de gérer les affaires publiques et de répondre aux défis actuels du développement. A ce titre, je pense que votre prédécesseur, Me Abdoulaye Wade a fait mieux que vous en termes de promotion de jeunes cadres au sommet de l’Etat dont vous en êtes la preuve palpable. En vous élisant, le peuple aspirait à un nouvel idéal politique qui passe nécessairement par la promotion d’une jeune génération de cadres politiques capables d’accomplir les progrès à la hauteur des ambitions et attentes de notre peuple depuis les indépendances. Plus que la réalisation d’infrastructures très onéreuses inaugurées sans être réellement fonctionnelles, les sénégalais attendent du Président de la République d’éduquer les citoyens aux valeurs éthiques et morales afin de s’accommoder aux principes fondamentaux qui garantissent la transparence dans la gestion des derniers publics et l’Etat de droit. Il s’agit de travailler à l’émergence citoyenne d’un nouveau type de sénégalais bien éduqué, discipliné, responsable et conscient de l’essence du commun vouloir de vie commune pour susciter auprès de lui l’amour de la patrie, le sentiment d’appartenance et d’attachement à la nation et à ses valeurs citoyennes. Dans leur majorité écrasante, les sénégalais souhaiteraient voir une rupture assez nette dans la manière de conduite les destinées de notre nation en changeant ce système de gouvernance qui perdure caractérisée par l’accaparement de la chose publique par un groupuscule d’hommes politiques. Les faits largement relayés souvent dans la presse comme la persistance de la corruption, les cas de surfacturation de certains marchés publics, le clientélisme politique matérialisée par la distribution d’avantages à des gens qui rôdent autour du pouvoir depuis le régime Senghor jusqu’à nos jours, l’embourgeoisement de la classe politique, etc. montrent que le système n’a pas fondamentalement changé. Les noms des présidents changent certes mais nous sommes toujours dans les recompositions politiques contre nature faisant que ce sont les mêmes qui reviennent au pouvoir pour maintenir le système depuis le régime socialiste.
Les inégalités sociales se creusent davantage…
Le système de gouvernance se perpétue inlassablement, les inégalités sociales continuent à se creuser entre les sénégalais, l’éducation, la formation et l’emploi des jeunes est un casse-tête, le chômage et la pauvreté augmentent, la perception que la justice se met au solde du politique est grandissante, etc. Ainsi, aux yeux de nombre de sénégalais, l’exercice du pouvoir se résume à un partage de gâteau. Votre bilan est terni par un train de vie scandaleusement élevé et indignant par rapport la situation de pauvreté extrême et de déchéance dans laquelle vit la majorité des sénégalais. Vos slogans la patrie avant le parti ou une gouvernance sobre et vertueuse qui cimentaient et tissaient vos rapports au citoyen sont vidés de leur essence et deviennent caducs : aujourd’hui, le slogan gouvernance sobre et vertueuse est devenue gouvernance sombre et vertigineuse tandis que le parti est servi avant la partie. Les nombreux faits suivants peuvent en témoigner s’il en est besoin : le nombre important de portefeuilles ministériels ainsi que les institutions budgétivores créées pour satisfaire la clientèle politique constituée majoritairement de transhumants, les cas de détournements de derniers publics relayés dans les médias et l’instrumentalisation de la justice à des fins purement politiques. Ce sont les hommes politiques qui roulent dans les belles voitures, habitent dans des luxueuses maisons et distribuent des liasses d’argent avec les impôts du citoyen qui ne servent pas au développement mais à financer le maintien de l’intérêt et le privilège des hommes politiques. Au lieu de placer le développement du pays et la satisfaction de la demande sociale croissante au cœur de l’action publique, une bonne partie des actes que vous avez posés vont dans le sens de l’émergence économique des politiciens. La pauvreté augmente dans le pays alors que les hommes politiques deviennent de plus en plus immensément riches. Depuis les indépendances, la richesse du pays est concentrée entre les mains des hommes politiques qui se servent des derniers publics abandonnant la grande masse. Il est temps d’arrêter ce mal, cette spirale de spoliation des biens communs qui gangrène notre société. C’est vrai un cri du cœur.
Un manque d’élégance républicaine
Un Président doit rassurer et mettre en confiance son peuple à travers des instruments de médiation et de régulation sociale que sont le dialogue et la concertation dans le respect des principes de la République et des droits humains. Or, il est aujourd’hui difficile de vous faire confiance aux yeux de nombre de sénégalais car vous vous êtes dédits sur beaucoup de principes et de combats démocratiques que vous aviez défendus lorsque que vous étiez dans l’opposition. La tendance aux rapports de force dans les actes que vous posez illustre parfaitement bien le manque d’élégance républicaine dans votre modèle de gouvernance. Décidément, vous n’avez pas tiré grand profit de la visite de Barack Obama au Sénégal de juin 2013 qui plaçait beaucoup d’espoir en votre personne pour incarner sa vision qui consistait à dire que l’Afrique n’a pas besoin d’hommes forts mais d’institutions fortes. La jeunesse aspire à un changement profond dans la manière de gouverner et de mener les affaires de la cité et elle est lasse de voir une classe politique continuer toujours à vivre sur le dos de l’Etat et du contribuable sénégalais sans un projet de société qui place les préoccupations et l’avenir des jeunes au cœur de l’action publique. Il y a une accumulation de frustrations au sein de la jeunesse sénégalaise qui ne se retrouve à travers votre action gouvernementale caractérisée par ailleurs par un train de vie exorbitant de la bourgeoisie politique. Avec la nouvelle vague de transhumance que vous avez orchestrée, les sénégalais risquent encore de ressentir le fardeau financier de la classe politique si vous êtes réélu en février ou mars 2019 avec la création de nouvelles institutions budgétivores pour caser économiquement ceux qui ont monnayé leur dignité et renié à leur conviction politique. Dans la coalition Benno Bokk Yakaar (devenu Benno Bonny Yakaaré au Fouta), on a toujours tendance à dire qu’il n’y a pas une véritable opposition alternative en face du Président Macky Sall pour les présentielles de 2019. Il faut bien garder à l’esprit que la vraie opposition aujourd’hui, c’est le peuple, la grande masse silencieuse avec sa demande sociale non résorbée et non forcément les opposants politiques.
2019 sera-t-elle l’ère des présidents à un seul mandat ?
Les raisons fondamentales de votre accession à la magistrature suprême en 2012 est la consolidation de nos acquis démocratiques et de l’Etat de droit par l’instauration d’un nouvel modèle de gouvernance permettant la libération du génie et de l’énergie ainsi que de la capacité d’ingéniosité du sénégalais. Je désire vivre dans un pays où le respect des principes de la démocratie, de la liberté et de la justice l’emporte sur l’usage de l’argument de la force comme moyen de maintien de l’Etat de droit. Je reste convaincu que la démocratie est la voie de la paix et de la concorde nationales permettant de mettre en place les conditions de régulation sociale et de développement économique et sociale. Je souhaite que la démocratie triomphe dans ce pays pour le plus grand bien de notre peuple. Nous devons travailler à la postérité et à la prospérité de notre nation pour léguer aux générations futures un pays auquel elles seront fièrement attachées. Plus que le besoin de rajeunissement de la classe politique et d’un nouveau type de leadership incarné par la jeunesse, notre système démocratique se doit de se perfectionner en inaugurant dès 2019 l’ère des présidents à un seul mandat pour définitivement faire comprendre aux acteurs politiques que le vrai pouvoir est aux mains du peuple et qu’ils doivent tenir leurs promesses en mettant en avant l’intérêt général plutôt que les profits pour la classe dirigeante et leurs acolytes.