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Le Sénégal De 2019 : Un Pays Orphelin De Ses Sages ?

Durant tout le règne de Léopold Sédar Senghor et une partie de celui de Abdou Diouf, il a été interdit d’enseigner l’histoire de la région de Casamance. On ne pouvait même pas prononcer le nom de Aline Sitoé Diatta. L’histoire et les piliers mémoriels de l’identité nationale sénégalaise n’étaient en réalité que les récits de l’islamisation, de la structuration des confrérires musulmanes entre la fin du 19ème et le début du 20ème siècle et le positionnement politique de ceux qui viendraient à être nos héros : Oumar Tall, Alboury Ndiaye, Lat Dior, Cheikh Ahmadou Bamba, Maodo Malick Sy… Quant aux héroines qui ont marqué l´histoire de ce qui est devenu le Sénégal, ces remarquables femmes ont vécu géographiquement dans les espaces qui correspondent aux grandes confréries mouride et tidjane. Ces héros et héroïnes ont dit non à la colonisation territoriale, mentale, économique et ont sacrifié leur vie tout en refusant les privilèges empoisonnés que le colonisateur voulait leur octroyer. Ils avaient três tôt compris qu’il s’agissait des mânes de la corruption.

Or la carthographie localisée religieusement, ethniquement et linguistiquement pose trois problèmes sociologiques invisibiles ou mentalement récusés : l’éradication mentale de la spiritualité et des pratiques religieuses dites traditionnelles, de même que l’écartement philosophique moral de leurs guides ; la colonisation linguistique, philosophique et morale de la wolofisation du Sénégal et finalement, l’assassinat médiatique et mental de la philosophie morale dans les milieux pieux hors de la cathographie de la forte pratique des religions monothéistes : le christianisme et l’islam. Voudrait-il être musulman ou chrétien pour être traité comme un penseur, un sage ?

Cependant, en analysant les grandes lignes de la pensée théologique de Cheikh Ahmadou Bamba et de Hadji Malick Sy, on s’aperçoit qu´elles contiennent les bases morales et éthiques sur la bonne gouvernance et la philosophie morale du travail bien fait, qui auraient pu être non seulement les garde-fous, mais surtout les marques de spécificité de la bonne gouvernance et de la démocratie sénégalaise. Les points de la bonne gouvernance codifiés (l´égalité de tous devant la justice, l´impôt, le produit des amendes et tous les revenus de l´Etat doivent être utilisés pour les actions d´intérêt general ; Si l´Almany s´enrichit, il faut le démettre et confisquer les biens qu´il a acquis…) par Souleymane Baal durant la révolution Torodo au 18ème siècle serait le plus complet guide pour une démocratie politique, économique, sociale et spirituelle dont nos autorités politiques n´ont jamais voulu la mise en pratique, par complexe colonial.

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Depuis l´indépendance jusqu´à nos jours, nos dirigeants politiques (de Senghor à Macky) ont toujours œuvré pour souiller et pervertir moralement nos dirigeants religieux musulmans et catholiques pour ne jamais avoir leurs attitudes, gestes et conduites remis moralement et éthiquement en question. Une autorité religieuse corrompue financièrement par les élites politiques, souillée et menant une vie matérielle de pacha est automatiquement une autorité moralement, spirituellement et éthiquement disqualifiée. Elle matérialise la perte morale de l´Etat. Elle ne pourra plus être une référence dans une quelconque sphère de la vie quotidienne. La souillure morale d´une autorité religieuse et spirituelle est pire que la corruption monétaire d´um simple haut fonctionnaire de l´Etat.

Ce matin, j´ai appelé quelques amis sénégalais vivant au Sénégal pour discuter des peurs qui m´habitent en tant que Sénéglais et expliquant ce que le pays risquait après les élections de février, dépendant du résultat. Tous riaient et voulaient me faire croire que le Peuple sénégalais est pacifique. Mais ce que ces amis ne savent pas est que la frontière entre la santé mentale et la folie est très mince. Qui penserait que des jeunes Sénégalais, incapables de rêver, de voir des horizons et de faire des projets de vie, décideraient un jour d’affronter le désert et l’océan pour se rendre en Europe ? Quel Sénégalais aurait pensé qu´un conflit armé éclaterait un jour au Sénégal : ledit conflit de la Casamance durerait plus de vingt ans et provoquerait des milliers de morts, de déplacés et des gens marqués à vie ? Tout être humain fortement acculé et humilié (homme ou femme ) est toujours capable de commettre les plus inimaginables folies pour la reconquête de ce qu´il croit être sien de droit.

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Au moment où j´écris cette réflexion, m´est revenue une image, lors d´un camp des scouts et guides de la paroise Saint Benoit de Néma, de Ziguinchor à Diembéring. Chaque matin, on allait aider les pêcheurs à tirer les pirogues et ils nous donnaient beaucoup de poisson. Ce matin-là, un père de famille se préparait à voyager pour une saison de pêche. Pendant plus de trente minutes, ce monsieur récitait des prières et jetait dans l´eau et autour de la pirogue du lait caillé… Après ces gestes rituels, il mit son fils lourdement habillé, qui devait avoir dix ans, et fit des adieux à sa femme qui portait au dos un enfant de moins de deux ans. Celle-ci, comme beaucoup de scouts et guides présents, regardait la pirogue fendre les premières vagues. Quelques minutes, tous les présents virent la pirogue chavirer. Sans penser, sa femme jeta l´enfant qu´elle portait à même la berge, courut et plongea, nageant rageusement pour aller sauver non pas le mari, mais leur enfant. Elle fut suivie par les scouts qui savaient nager. Cette femme n´avait pas pensé ou n´avait même eu le temps en termes de fraction de secondes de penser à la possibilité de sa probable mort. Devant un désespoir accru ou une humiliation, tout être humain perd la capacité de raisonner sur les conséquences négatives de son acte.

En 1998, le penseur Nocky Djedenoun avec Tierno Monenembo, Boris Boubacar Diop, Véronique Tadjo, Abdourahman Waberi, Monique Ilboudo, Koulsy Lamko, François Woukouache et Jean Marie Rurangwa, ont repris le bâton des luttes pour la reconquête de la dignité humaine. Quand Véronique Tadjo affirme que ce génocide n´est pas un problème rwandais parce qu´il interpellait toute l´humanité, avec cette affirmation, elle et tous ses pairs venaient de défendre que leurs écrits avaient un positionnement politique, venant de personnes dont les conduites morales étaient indiscutables, mais que leurs écrits transcendent les frontières nationales, les ethnies, les convictions religieuses et la croyance à l´existence des «races», car le «devoir de mémoire d´écrivains africains» est une interpellation à toute l´humanité à être toujours vigilante. Un génocide ne déstabilise pas seulement les impliqués, mais tous les piliers moraux, les bases de la spiritualité et de l´éthique de l´humanité. Ce rendez-vous rwandais et surtout la qualité des productions romanesques ont permis aux penseurs africains de prendre conscience de leurs fonctions de citoyen-monde, car ils doivent être les plus vigilants pour éviter les dérapages idéologiques et monétaires des politiciens, des intellectuels et des religieux sans scrupule.

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La chronique de Alé Niang du 2 janvier 2019 sonne comme une cloche aux sons lugubres, appelant les autorités religieuses sénégalaises confondues à prendre leurs responsabilités pour pallier une crise politique sans nom, mais qui se profile à l’horizon et dont les conséquences pourraient être incurables de nouveau pour le Sénégal, toute la region ouest-africaine ; toute l´Afrique et toute l´humanité. Nos autorités religieuses attendraient-elles pour avoir à diriger les prières d´enterrement ou faut-il prendre position comme autorités morales pour appeler à une élection saine ? Mais est-ce que seulement les religions monothéistes (christianisme et islam) octroient la sagesse et la piété ? N´y avait-il pas de penseurs sur ce qui est aujourd´hui le Sénégal, avant l´islam et le christianisme ?

Le cas du coup d´Etat au Gabon devrait servir d’invitation à la prudence et à la vigilance. Il n´y a jamais de coup d´Etat échoué, car il déstabilise, divise, provoque de profondes blessures parfois incurables, des deuils et socio-politiquement il installe d´éternelles mésententes «religieuses, tribales, ethniques, régionales…»

La sortie politicienne de Cissé Lô sur le meeting de Sonko à Ziguinchor nous révèle qu´il y a des mains invisibles qui ont les boîtes d´allumettes, des bidons d´essence. Or, la paille est bien sèche. Ces paroles de Lô retransmises sans gène, n´est-ce pas la preuve que le Sénégal est devenu un pays moralement plus piteux parce que l´arrogance matérielle des politiciens a miné toutes les classes et surtout celle d´une grande partie de nos sages religieux ?

Alain Pascal KALY

Dr. en sociologie

Prof au Département d’Histoire et Relations Internationales

Univeridade Federal Rural do Rio de Janeiro-Brésil

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