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Histoires De Parrainage

Histoires De Parrainage

Eh! Monsieur, je vous ai bien deviné, répondit le magistrat. Aussi me suis-je empressé de recevoir le parrainage du petit Polydore, il est inscrit à l’Etat civil comme fils du baron et de la baronne de La Baudraye (Honoré de Balzac, La Muse du département, 1844).

Selon Alain Rey, auteur de l’origine et l’histoire des mots (Le Robert ; 2016), le mot parrain, dont dérive le terme de parrainage, désigne celui qui tient l’enfant sur les fonts baptismaux et veille ensuite à son éducation religieuse. En 1884, la signification du parrainage a évolué pour revêtir une forme moderne. Parrainer veut dire soutenir une candidature pour son autorité. Une définition plus large a été acceptée à partir de 1962 : le parrainage «correspond à l’appui moral prêté par une personne d’autorité à une œuvre, au soutien d’une personne qui demande à être admise dans une société, un ordre et peut servir à éliminer les anglicismes comme sponsor».

L’utilisation du parrainage en politique, et principalement en matière électorale, n’est pas l’apanage du Sénégal. Au contraire, plusieurs pays avant nous, sous des formes diverses, s’en sont servis comme d’un outil de régulation de l’élection présidentielle.

Le système français de parrainage

A sa création, le système français de parrainage a d’emblée annoncé son objectif de supprimer ou limiter les «candidatures fantaisistes» à l’élection présidentielle.

En 1962, une loi relative à l’élection du président de la République au suffrage universel stipule en son article 3 alinéa 1 : «Quinze jours au moins avant le premier tour du scrutin ouvert pour l’élection du président de la République, le gouvernement assure la publication de la liste des candidats. Cette liste est préalablement établie par le Conseil constitutionnel au vu des présentations qui lui sont adressées, dix-huit jours au moins avant le premier tour de scrutin, à titre individuel ou collectif, par au moins cent citoyens membres du Parlement, membres du Conseil économique et social, conseillers généraux ou maires élus. Une candidature ne peut être retenue que si, parmi les cent signataires de la présentation, figurent des élus d’au moins dix départements ou territoires d’outre-mer différents».

C’est un parrainage par des élus et il en faut 100 pour valider une candidature. Cette loi n’a pas empêché la progression du nombre de candidats aux trois présidentielles qui ont suivi. L’élection présidentielle de 1974 qui a enregistré 12 candidatures a suscité l’inquiétude dans la classe politique.

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Le législateur a alors décidé de durcir les conditions. Aussi une nouvelle loi est-elle votée en juin 1976 qui, à l’article 1 alinéa 2, indique que la liste des candidats «est préalablement établie par le Conseil constitutionnel au vu des présentations qui lui sont adressées, 18 jours au moins avant le premier tour de scrutin, par au moins 500 citoyens membres du Parlement, des conseils généraux, du conseil de Paris, des assemblées territoriales des territoires d’outre-mer ou maires. Une candidature ne peut être retenue que si, parmi les signataires de la présentation, figurent des élus d’au moins trente départements ou territoires d’outre-mer, sans que plus d’un dixième d’entre eux puissent être les élus d’un même département ou territoire d’outre-mer».

Ce sont 500 signatures d’élus de divers conseils et assemblées qui sont désormais exigées, dont un minimum requis dans au moins 30 départements. En outre, il y a une condition supplémentaire dite de l’écrêtement, qui plafonne le nombre de signataires par département à 50 élus signataires.

Les conditions de parrainage ainsi posées par la loi française sont draconiennes. Elles posent un problème plus important : les partis ayant un grand nombre d’élus sont seuls maîtres du jeu. Ils peuvent décider de présenter une candidature «fantaisiste» (à ma connaissance, ce n’est jamais arrivé), comme ils peuvent barrer la route à un candidat qui les gêne. Le débat est actuel qui veut que le parrainage citoyen soit institué à la place du parrainage par les élus, d’autant plus qu’avec le parrainage par les élus, la France reste une quasi-exception mondiale. En 2006, une commission de rénovation et de déontologie de la vie publique dirigée par l’ancien Premier ministre Lionel Jospin avait remis un rapport au président François Hollande, proposant le remplacement du parrainage d’élus des candidats à l’élection présidentielle par un parrainage citoyen. A ce jour, cette proposition est restée lettre morte, mais elle est toujours sujette à débat.

Le parrainage dans d’autres pays

D’autres pays ont institué le parrainage pour limiter les candidatures à la Présidentielle. La plupart d’entre eux ont choisi le parrainage citoyen avec un nombre de signatures rapporté au nombre d’électeurs qui est parfois faible, parfois très élevé, chaque pays légiférant naturellement avec ses conditions sociopolitiques propres.

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Au Portugal, le parrainage est citoyen depuis 1976. Le candidat doit présenter 7500 signatures.

En Algérie il y a une Présidentielle tendue en ce moment même. La constitution algérienne a institué un système de parrainage mixte. Le candidat doit réunir au choix, les parrainages de 600 élus ou de 60 000 citoyens dans au moins 25 wilayas différentes avec un minimum de 1500 signatures par wilaya (équivalent algérien de nos départements).

L’Autriche, la Finlande, la Pologne, la Roumanie et bien d’autres pays ont un système de parrainage citoyen.

Le parrainage au Sénégal

Le débat à ce sujet a tellement été passionné qu’un grand nombre de Sénégalais a pu penser que le parrainage est un système nouveau de notre processus électoral. Mon propos n’est pas ici d’en faire l’historique ni de juger les points de vue des uns et des autres. Il est cependant utile de noter que le parrainage citoyen est institué au Sénégal depuis 1992, avec un nombre de parrainages au moins égal à 1% des inscrits sur les listes électorales. Le Code électoral d’alors exigeait ces parrainages des seuls candidats indépendants. On pouvait donc s’affranchir de ces signatures dès qu’on possédait un récépissé de parti, soit parce qu’on a un parti reconnu, soit parce qu’on emprunte ou loue le récépissé d’un parti existant.

Ce système malsain d’emprunt de récépissé, ainsi que le souci de mettre tous les candidats sur un pied d’égalité, a sûrement inspiré la proposition des Assises nationales de 2008 qui préconise pour «crédibiliser le système partisan et fiabiliser le système électoral» et «éviter une prolifération incontrôlée des partis politiques», un «encadrement plus rigoureux des conditions de création des partis basé sur la double exigence de viabilité (siège social, minimum de personnel et d’organisation) et de représentativité nationale (établie par exemple par un système de parrainage similaire à celui des candidatures indépendantes aux élections nationales)» (Assises nationales – Sénégal, an 50 – Bilan et perspectives de refondation L’Harmattan, 2011 p. 266).

A mon avis, le parrainage est bon pour renforcer notre démocratie. Pour s’en convaincre, il suffit d’imaginer un sombre scénario de chaos -Allah nous en préserve- qui pourtant n’est pas aussi surréaliste qu’il n’y paraît. Le Sénégal a toujours été convoité par les grandes puissances du fait de sa position géographique stratégique. Depuis la découverte en 2014 d’importantes réserves de pétrole et de gaz dans notre pays, il ne fait aucun doute que cette convoitise s’est exacerbée. Envisageons l’hypothèse où notre pays garderait l’option de la seule sélection des candidats à la Présidentielle par l’argent, une caution de 30 millions de F Cfa par exemple. Un pays ou une entité quelconque qui voudrait déstabiliser le Sénégal pour s’accaparer de ses ressources ou pour trouver de nouveaux marchés pour les complexes militaro-industriels, pourrait s’y prendre simplement. Il lui suffirait de dégager une somme de 15 milliards de F Cfa pour financer 500 candidats. Il est évident qu’avec ce nombre de candidats, il serait impossible d’organiser des élections. Le Président sortant ayant terminé son mandat, deviendrait illégitime alors que son successeur ne serait pas élu. Il n’en faudrait pas plus pour qu’un pays s’installe durablement dans le chaos, qui ne ferait que l’affaire des marchands d’armes, des multinationales et des extrémismes de toute obédience. Quand bien même le nombre élevé de candidats n’empêcherait pas la tenue de l’élection, il faudrait néanmoins prendre en compte le coût. Selon Jean Pierre Malou (Sud Quotidien du 11-3-2019), chaque candidat à l’élection présidentielle de 2007 a coûté 303 millions de F Cfa en impression de bulletins de vote, d’affiches, de lettres circulaires, de professions de foi et de couverture télévisuelle. A ces dépenses, il faut ajouter celles liées aux urnes, aux isoloirs et aux ressources humaines.

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Sous ces rapports de coût budgétaire, de risques sécuritaires ou de simple faisabilité du scrutin, le système de parrainage nous semble frappé au coin du bon sens. Fort heureusement, notre pays a souvent connu des situations de tension, mais a toujours su trouver les ressorts pour régler les problèmes majeurs par le dialogue et le consensus. Le dialogue ne signifie pas l’unanimisme béat et contreproductif qui nous enlèverait la richesse de la diversité d’opinions. Il signifie encore moins la compromission. Ce que permet le dialogue, c’est l’entente sur les règles, sur l’essentiel, sur ce qui renforce les acquis démocratiques. Les forces politiques et sociales, les citoyens de toutes conditions et de toutes opinions doivent pouvoir se retrouver pour construire un consensus sur la question du parrainage qui à mon avis, est une avancée démocratique majeure.

Amadou Makhourédia DIOP

amakhouredia@yahoo.fr

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