(Navigabilité, limites d’utilisation des aéronefs et perception de l’aéronautique africaine)
En effet des individus ayant travaillé au niveau de l’exécution ou d’autres pour avoir séjourné un temps dans les services de l’aviation civile se proclament experts de l’aéronautique.
Les publications spécialisées échappent, pour la plupart d’entre elles, à ce défaut et s’en tiennent à des considérations factuelles et très prudentes quant aux causes directes probables de l’accident et autres facteurs dits contributifs.
Il y’a une particularité dans les suites données par les États à l’accident de l’avion d’Éthiopian. En effet ceux qui ont interdit de vols le type d’avion mis en cause l’ont fait sur la base de l’article premier de la Convention de Chicago qui dit:
“Les États contractants reconnaissent que chaque État a la souveraineté complète et exclusive sur l’espace aérien au-dessus de son territoire.”
Le cas difficile à comprendre est celui des États-Unis d’Amérique dont le service compétent, la Fédéral Aviation Administration (FAA), a délivré le certificat de navigabilité de type du Boeing 737 max.
Nous pensons qu’en cas de doute sur la contrôlabilité de ces avions dans certaines circonstances de vols la FAA devrait leur retirer le certificat de navigabilité (CDN) de type.
Celui-ci ne serait alors rétabli qu’après les essais et modifications qui sont nécessaires et pouvant porter sur la structure, les systèmes de contrôle et conséquemment le manuel d’utilisation. Le retrait du CDN de type entraîne réglementairement le maintien au sol de tous les avions du type concerné.
Toutefois dans des circonstances rappelant la situation actuelle des Boeing 737 max la Direction Générale de l’Aviation Civile (DGAC) française avait autorisé la compagnie UTA à continuer l’exploitation de ses Avions DC-10 alors que la FAA avait retiré le CDN de type de ces machines.
L’essentiel pour le secteur du transport aérien est de tirer des accidents et incidents les enseignements permettant d’améliorer le niveau de sécurité.
L’Organisation de l’Aviation Civile Internationale (OACI) dont l’objectif premier est de mettre en place un cadre assurant un développement sûr et ordonné du transport aérien a élaboré des normes et pratiques recommandées (standard and recommanded practices SARPS) dans cette perspective. Les normes sont quasiment d’application obligatoire dans les États membres de l’organisation; quant aux pratiques recommandées elles facilitent ou rendent plus efficaces les entités actives dans le secteur de l’aéronautique civile.
Les facteurs à considérer dans une enquête sur un incident ou accident sont assez nombreux. Toutefois les circonstances de l’événement permettent de restreindre et d’orienter la recherche des causes directes et autres facteurs contributifs.
Les cas réels d’accidents présentent une grande diversité.
Les extrêmes vont de la disparition de l’avion avec tous les occupants à l’accident lors duquel, l’équipage et l’épave de l’avion sont disponibles pour les interrogations et les investigations.
Dans ce dernier cas les enregistreurs sont disponibles et s’ils sont exploitables l’enquête sera grandement facilitée. Les deux enregistreurs appelés « boites noires » sont le Cockpit Voice Recorder (CVR) et le Flight Data Recorder (FDR)
Le premier enregistre l’ambiance sonore dans la cabine de pilotage quant au second il enregistre différents paramètres relatifs à l’altitude de l’avion, la position des éléments mobiles, les vitesses et accélérations linéaires et angulaires, le régime des moteurs entres autres données techniques.
Les dispositions en vigueur dans la convention relative à l’aviation civile internationale font obligation à l’État d’occurrence (lieu de l’accident) de mener une enquête sur les accidents ou incidents graves ayant lieu sur les territoires relevant de sa souveraineté. D’autres acteurs peuvent également participer à ces enquêtes. Il s’agit par ordre d’importance :
– l’État de conception de l’aéronef
– l’État de construction
– l’État d’immatriculation
– l’État de l’exploitant (celui qui a délivré à la compagnie aérienne son autorisation pour mener des activités de transport aérien; l’appellation de ce document peut varier d’un État à l’autre)
– les Etats dits d’intérêts qui sont souvent ceux comptant leurs ressortissants parmi les victimes de l’accident.
Peu d’États ont la capacité opérationnelle de mener des enquêtes conformes aux disposions de l’OACI.
Seuls ceux ayant la capacité de concevoir et de construire des aéronefs répondants aux critères de navigabilité de l’OACI en sont capables.
Voilà pourquoi dans la directive N° 5/2002/CM/UEMOA de l’UEMOA, il est laissé à ses États membres la possibilité d’avoir une structure permanente ayant la responsabilité de mener ces enquêtes ou de créer chaque fois que ce sera nécessaire une entité ad-hoc pour ce faire.
La deuxième option semble la plus rationnelle étant entendu qu’il est plus utile et efficient d’utiliser les ressources allouées à la mise en place d’une inspection générale de l’aviation civile.
En effet l’activité d’une telle structure est de superviser le secteur de l’aéronautique civile dans sa globalité et d’évaluer / analyser les activités/les entités d’exploitation ou d’administration du secteur notamment par rapport aux questions qui sortent de sa gestion courante.
Il peut s’agir de problèmes, techniques, économiques ; juridiques ou stratégiques.
Les rapports officiels sur les accidents ou incidents graves sont adressés aux autorités nationales mais également aux partenaires de l’enquête et au secrétariat de l’OACI. Le canevas à suivre quant au plan du rapport est déterminé par l’OACI.
L’aviation civile éthiopienne est une des meilleures au monde. Ce pays a su bien se positionner et de manière réaliste sur les segments des activités de l’aéronautique civile pour faire de l’aviation un instrument de développement. Les différents régimes politiques qui se sont succédé dans ce pays ont eu le réalisme et la sagesse de placer tant au niveau de l’administration de ce secteur que de la compagnie aérienne ou des services de sécurité de la navigation aérienne des personnes dont les compétences sont incontestables. Leurs prestations dans les réunions internationales le montrent régulièrement outre la situation florissante d’Éthiopian.
La compagnie fait d’ailleurs partie de l’Alliance star Airlines. Une compagnie connue pour un niveau de sécurité insatisfaisant ne peut pas y être admise.
L’observation de la démarche de ce pays dans le développement du secteur de l’aéronautique civile met en évidence une approche réaliste et efficiente.
Ses centres de formations dans les différents métiers de l’aviation donnent des personnels de qualité et de grandes compétences.
Quant aux infrastructures, ce pays a su éviter le piège des sur dimensionnements (à côté des aventures technologiques!), dans lequel se sont retrouvés nombre d’États en voie de développement et pas seulement.
Le manque de réalisme ou peut être l’ignorance des difficultés inhérentes à ces activités ont conduit des responsables de l’aéronautique civile à prétendre créer des services de certification de type pour des aéronefs conformes aux normes de l’OACI ou de Bureaux d’enquêtes et analyses sur les accidents et incidents
C’est là un risque de dissipation de ressources ou pire un égarement préjudiciable au véritable développement de l’aviation civile.
Le cas de l’Éthiopie qui est l’un des États les plus en progrès dans le secteur de l’aéronautique civile en Afrique qui a requis l’assistance du Bureau Enquêtes et Analyses français le montre à suffisance.
La certification de type d’un aéronef est à la portée technique et scientifique de peu d’États. Cette activité s’appuie sur des centres de recherches et d’essais, de laboratoires de recherches et des industries avancées dans la science des matériaux notamment.
Les produits de la certification de type sont essentiellement les manuels d’exploitation et d’entretien de l’aéronef acceptés par l’autorité de certification (pour la compagnie aérienne et son État).
Outre la certification de type, chaque aéronef relevant de convention de Chicago, dispose aussi d’un certificat de navigabilité individuel. Nul aéronef relevant de la convention de Chicago ne peut entreprendre un vol (il y’a quelques exceptions qu’il n’est peut-être pas utile de préciser ici) sans avoir son certificat de navigabilité individuel en état de validité.
Cette condition est nécessaire mais pas suffisante. En effet pour effectuer un vol l’aéronef doit aussi :
– Avoir une approbation de remise en service (APRS) après toute intervention relevant de la maintenance et ce par une personne habilitée.
– Ne faire apparaître aucune anomalie lors de la visite prévol.
Et en ultime précaution répondre parfaitement à la liste de vérification (check-list) effectuée par l’équipage. A ce propos il y’a des constations qui conduisent l’équipage à ne pas entreprendre le vol (c’est ce qui relève du no-go) et d’autres qui entrent dans la catégorie dite impasses techniques ou défauts tolérés et qui n’empêchent pas l’exécution du vol.
Nous évoquerons brièvement la préparation des vols qui est relativement complexe et qui doit être conforme au manuel d’exploitation compte tenu des éléments opérationnels obtenus au Bureau d’Informations Aéronautiques (BIA) et au niveau des services météorologiques. La préparation du vol permet de connaître les quantités de carburant nécessaires pour effectuer le vol pour: le roulage, l’en route, le dégagement et les attentes en l’air éventuelles.
Elle détermine aussi les diverses limitations à respecter liées aux chargements, leurs répartition et poids maximal. Cette évocation incomplète des conditions techniques liées à l’exécution d’un vol montre combien il serait aventureux de spéculer sur les causes d’un accident d’avion en étant bien loin de la scène.
En conclusion il serait souhaitable de se départir de cette mauvaise habitude qui consiste à imputer les causes d’un accident d’un exploitant du continent à l’incompétence supposée de son personnel. Un accident d’un avion d’air Afrique à Dakar a été commenté avec ce tropisme-là alors que la cause de l’accident était une mauvaise identification, par le constructeur, des circuits haute et basse pressions de déploiement du train d’atterrissage principal. Celui-ci avait d’ailleurs émis un avis aux exploitants du type d’avions pour les mesures rectificatives nécessaires. Sans précautions avait été mise indûment en cause la compagnie Air Afrique qui, rappelons-le, n’a pas connu d’accidents mortels en quarante années d’exploitation et ce en s’appuyant principalement sur l’auto surveillance notamment pour la préparation des vols; pour la navigabilité l’expertise du Bureau Veritas était mise à contribution.
Cette observation m’amène à évoquer une polémique qui a eu lieu il y’a quelques mois. Selon des médias de la place il aurait été déclaré que le Sénégal ne disposerait pas de spécialistes du transport aérien capables d’élaborer et de conduire un projet de création d’une compagnie aérienne.
Les faits sont contraires à cette assertion. En effet le redressement de la compagnie sonatra air Sénégal et le projet air Sénégal international ont été menés à bien par un nombre très restreint de cadres sénégalais. Pour ce qui concerne les profils académiques ces cadres sénégalais ont été formés dans les meilleures écoles d’ingénieurs en passant par les voies des plus sélectives.
Cette note dépasserait le raisonnable si devaient être cités les contributions, initiatives et objectifs atteints à l’actif des cadres sénégalais de l’aéronautique civile tant au niveau national qu’international.
Ingénieur diplômé de :
L’Ecole Nationale de l’Aviation Civile ENAC Toulouse France,
L’Institut de Technologie du Massachusetts MIT Cambridge USA
Ancien élève des classes préparatoires aux Grandes Ecole. Auteur de la thèse: The US Airlines Industry seven years after Deregulation au Department Aero/Astro du MIT