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Opinions, Idées et Débats des Sénégalais

Les Accidents, Parlons-en !

L’année 2017 tire à sa fin avec le triste record des accidents de la circulation les plus meurtriers, notamment les cas des plus spectaculaires en dépit des mesures conservatoires prises par les autorités compétentes de la République.

Aujourd’hui, les Sénégalais peinent à s’accorder sur les causes véritables du drame routier. Les médias ont souvent relayé des propos citant une batterie de causes des accidents de la circulation :

le comportement du conducteur ;

l’usage d’alcool ou de drogue ;

la fatigue ou le manque de sommeil ;

l’excès de vitesse ;

l’usage du téléphone au volant ;

le non-respect des règles de signalisation sur la route.

Cette raison va nous pousser à centrer notre contribution sur certaines causes, notamment celles qui sont indirectement ignorées par l’opinion publique. Face au quasi-mutisme des techniciens de la mécanique automobile, nous allons essayer d’approfondir la réflexion en fouillant au-delà des causes principalement retenues par les acteurs du secteur du transport.

Cependant, il est absolument nécessaire de revenir sur quelques cas d’accidents graves afin de pouvoir justifier nos arguments sur la base des causes probables.

L’accident de Kaffrine

Cet accident s’est déroulé à hauteur du village de Mbadianène dans la commune de Sagna, près de Malèm Hodar (Kaffrine). L’accident, survenu le jeudi 26 janvier 2017, a fait 17 morts sur les 29 passagers du minicar alors surchargé.

Il serait dû à l’éclatement d’un pneu, rendant le véhicule incontrôlable par le chauffeur. L’irréparable s’est produit et le minicar a quitté sa voie pour aller heurter un camion roulant dans le sens inverse.

L’accident de Porokhane

Survenu le vendredi 3 mars 2017 aux environs de 15 heures 30, cet accident a fait 15 morts. Un bus vide a percuté un car «Ndiaga Ndiaye» lourdement chargé.

L’accident sur la route de Richard-Toll

L’accident, survenu le 5 mars 2017 sur la route de Richard-Toll, a fait 19 morts. Le minicar, avec un pneu crevé en pleine vitesse, est allé percuter un camion-citerne roulant en sens inverse. Le bilan est de 19 morts au moins. L’embrasement du minicar serait dû à un bidon d’essence transporté par un passager. Ce qu’il faut retenir dans ce cas d’accident, c’est qu’un pneu est crevé et le véhicule est allé heurter un camion-citerne. L’embrasement s’est produit non pas par le camion-citerne, mais par un bidon d’essence transporté par le minicar.

L’accident de Touba Ngabou (Mbacké)

Le bilan est de 9 morts au moins. Survenu le 31 mars 2017, cet accident est dû à la collision entre un bus et un minicar Tata. Les chauffeurs se sont chamaillés à la gare routière avant de continuer leur combat sur la route. L’un voulait dépasser, l’autre lui a refusé le passage et l’irréparable s’est produit.

Ces accidents nous rappellent celui de Pété dans le Kaffrine, survenu le 7 août 2012 où 26 personnes avaient péri. Un bus de transport avait percuté un camion stationné sur la chaussée, aux environs de 3 heures du matin.

L’accident de Goudomp (Sédhiou)

L’accident s’est produit le 11 avril 2017 sur l’axe Anice-Djimassar dans le département de Goudomp. Le bilan est de 7 morts. L’éclatement des deux pneus-arrière est la principale cause de l’accident. D’ailleurs, les témoins ont parlé de la vitesse du véhicule et de la surcharge.

L’accident de Bettenty

Un accident de pirogue survenu le lundi 24 avril 2017 a fait 21 victimes au moins, toutes de braves jeunes femmes dont le seul objectif était d’entretenir la famille. Le bilan est très lourd pour des individus qui habitent le même village. Le plus étonnant pour cet accident est le fait de faire voyager dans une pirogue autant d’individus sans gilets.

L’accident de Nakara (Ranérou)

Le 30 septembre 2017, un accident mortel s’est produit à hauteur de Nakara, village situé dans le département de Ranérou, sur l’axe Matam-Linguère, après l’éclatement de l’un des pneus. Le bilan a fait état de 2 morts.

L’accident de Waoundé Kissourou

Le mercredi 25 octobre 2017, un accident d’une rare violence est survenu à hauteur de Waoundé Kissourou, un village situé à 90 km de Linguère et a fait au moins 6 victimes. Un minicar, en partance d’Ourossogui pour Dakar, a fait plusieurs tonneaux après l’éclatement d’un pneu-arrière.

L’accident de Sagata

Le lundi 6 novembre 2017, un bus est entré en collision avec un minicar. L’accident s’est produit entre Kébémer et Sagata et a fait 25 morts dont 23 sur le coup.

Après ce bref rappel sur quelques cas d’accidents véritablement mortels, nous allons essayer d’orienter notre réflexion sur les causes directes ou indirectes des accidents de la circulation, avant de formuler des suggestions à l’endroit des pouvoirs publics.

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Un véhicule est un ensemble de plusieurs centaines de pièces mécaniques en acier, en fonte, en aluminium, en caoutchouc ou en matière plastique, et même en bois. La résistance et la durée de vie de chaque pièce dépend de son matériau de constitution et de sa fabrication.

Concernant ce sujet, nous préférons limiter notre réflexion à quelques organes essentiels pour la bonne tenue de la conduite sur la route. Il s’agit notamment des pneus, des freins, des lumières, de certaines pièces de rechange etc.

L’éclatement de pneu en pleine vitesse est une cause fréquente dans le cadre des accidents de la circulation, comme nous venons de l’illustrer par les exemples précités.

Ce bandage déformable et élastique monté sur une jante pour faciliter le roulement du véhicule renvoie à une technologie de fabrication vieille de plus de 150 ans. Son aspect extérieur laisse apparaître des sculptures antidérapantes pour faciliter l’arrêt du véhicule en cas de freinage sur la chaussée.

La plupart des conducteurs considèrent le pneu comme un élément plus ou moins sans importance. La plupart d’entre eux pensent que l’essentiel est de mettre de l’air dans les chambres à air et faire avancer le véhicule sans tenir compte d’un minimum de sécurité.

Le choix d’un pneu dépend de plusieurs facteurs dont le climat, la nature de la route et du type de véhicule. C’est pourquoi les pneus sont identifiés par leurs désignations.

Exemple : 285 75 R 16 115 S

285 : indique la largeur du pneu en mm

75 : Rapport hauteur/largeur en %

R : Orientation des fils métalliques ou textiles utilisés pour le renforcement de la carcasse symbolisée par une lettre R, B ou D :

R : Carcasse Radiale ;

B : Carcasse «Biais» ;

D : Carcasse Diagonale ;

16 : Diamètre de la jante en pouces ;

115 : Indice de charge maximale autorisée (l’indice 115 correspond à une charge de 1 215 kg) ;

S : cette lettre indique la vitesse maximale autorisée pour ce type de pneu. La lettre S indique la vitesse maximale de 180 km/h. A côté de cette lettre S, il existe d’autres comme L qui indique une vitesse maximale de 120km/h, la lettre Y indiquant une vitesse maximale de 300 km/h et les lettres ZR indiquant une vitesse supérieure à 240 km/h.

L’âge du pneu est également indiqué. Il s’agit d’un nombre de quatre chiffres dont les deux premiers indiquent la semaine de fabrication et les deux autres l’année de fabrication (Exemple : 1508 : 15ème semaine de l’année 2008).

Ah oui ! Passons maintenant à un test en jetant un coup d’œil sur nos pneus, avant de continuer l’analyse. Prenons la désignation sur une feuille et faisons la comparaison avec notre exemple. Nous sommes persuadés que certains parmi nous voudront changer leurs pneus.

En Afrique et plus particulièrement au Sénégal, les pneus neufs ou d’occasion viennent d’Europe ou d’Asie. Malheureusement, nous n’avons pas la culture de bien choisir les pièces que nous faisons porter à nos véhicules. Le phénomène est plus grave avec les pneus d’occasion qui ont déjà servi en Europe dans des conditions différentes de celles qui existent chez nous. Les pneus d’hiver démontés en Suède ou en Finlande peuvent terminer leur vie au Sénégal. Des pneus dont la vitesse maximale est de 120km/h roulent sur nos routes à plus de 140km/h.

Quand on sait que la durée de vie d’un pneu est de 10 ans, même s’il n’est pas utilisé ou sous-utilisé, le phénomène de dégradation poursuit son cours. Ce pneu peut provoquer un accident en cas de surcharge ou de grande vitesse.

Aussi, tout matériau se dégrade et se dégénère au fil des ans et y compris le caoutchouc et les fils métalliques ou en coton qui constituent le pneu. Au-delà de la période autorisée, le pneu ne peut plus assurer, avec sécurité, le transport de personnes.

Au regard de nos stocks de pneus en provenance d’Europe ou d’Asie avec des centaines de conteneurs débarqués tous les mois, nous imaginons le danger auquel nous sommes exposés. Les vendeurs de pièces de rechange vont jusqu’à reprendre les sculptures et peindre les pneus en noir afin de leur donner un aspect neuf. Cette pratique altère bien évidemment la structure et la résistance du pneu. En freinant, le conducteur agit sur un disque en acier solidaire au pneu. Pour la dissipation de la chaleur provenant du freinage brusque, il est utilisé des garnitures en fibre de verre, de céramique appelées communément «ferodo». Avant 1997, date d’interdiction de son utilisation, l’amiante était le principal élément de la composition de la garniture à cause de ses propriétés lui permettant de résister à la chaleur surtout. Elle est aujourd’hui considérée comme un matériau cancérigène ; ce qui a réduit son utilisation dans la construction.

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Pourtant, les plaques en fibres d’amiante déjà utilisées ou rejetées en Europe continuent d’inonder nos magasins. Un bon système de freinage dépend en partie de la qualité des pneus, des disques et des plaquettes (coefficient de frottement sol/pneus et plaquettes/­disques).

En se limitant essentiellement à ces deux éléments, c’est-à-dire les pneus et les freins, nous nous rendons compte que les risques que nous encourrons avec nos véhicules sont énormes. La plupart de nos véhicules roulent avec des pièces usées et revendues sur le marché local.

Cependant, il sera très difficile d’éradiquer le fléau, car le Sénégal ne fabrique pas de voitures et les pièces de rechange d’origine coûtent cher ou restent introuvables sur le marché. Vouloir interdire l’utilisation des pièces usées venant d’Europe reviendrait à immobiliser la quasi-totalité des véhicules âgés de plus de 5 ans.

En Europe, pour remplacer les calèches à attraction animale, des types de véhicules ont été fabriqués. C’est le cas de nos «cars rapides» et de nos «Ndiaga Ndiaye».

Cependant, au moment où l’Europe s’apprêtait à abandonner la fabrication de ces cars, le Sénégal avait procédé à leur modification pour en faire des véhicules de transport en commun alors que leur destination première était le transport de marchandises. La camionnette Renault (ex-Saviem) est devenue «car rapide» et les camionnettes Mercedes 508 des «Ndiaga Ndiaye» dans lesquelles 45 places sont insérées.

Dans le cadre des véhicules de transport de personnes, le passager se place au bord de la route et l’entrée est aménagée sur le côté. Tous les véhicules qui prennent leurs passagers à partir de l’arrière ont été modifiés.

Pour ces véhicules, la porte arrière permet le chargement et le débarquement des bagages dans un magasin. Pour les constructeurs, les véhicules de transport de marchandises n’ont pas besoin d’un certain confort (suspension, freinage, siège et climatisation…). C’est pourquoi voyager dans nos «cars rapides» et nos «Ndiaga Ndiaye» constitue un calvaire.

Dans ces véhicules dont l’utilisation a été «travestie», le nombre de sièges a été surestimé et les passagers sont entassés comme des sardines dans leur boîte. Pour sortir, un passager fait lever tous ceux qui sont devant lui. L’autre paradoxe réside dans le fait que les Sénégalais, du moins dans le transport, confondent surcharge et surnombre. Dans une berline d’au moins 8 cv (cheval-vapeur), il est autorisé de prendre 5 personnes, y compris le chauffeur. Chez les charretiers où une charrette est tractée par un cheval ou un âne, il est admis de prendre 10 à 11 personnes. Quel paradoxe !

Concernant le véhicule communément appelé «7 places», le siège arrière a été rapproché du conducteur pour laisser place à un autre siège, permettant ainsi de ramener le nombre de places assises de cinq à huit. Il suffit de voyager en prenant ces sièges-arrières pour comprendre combien il est absurde d’imaginer un tel scénario.

Dans une contribution publiée le 2 octobre 2002, moins d’une semaine après son naufrage, nous indiquions que le bateau Le Joola n’était pas surchargé, mais mal chargé. Si la charge est exprimée en kg, il faut énormément de personnes de 70 kg pour surcharger un bus. Mais lorsque le bus est mal chargé, les conditions d’équilibre et de stabilité sont modifiées.

Dans nos recherches, nous avons trouvé une contribution de El Hadj Papa Cheikh Guèye, gendarme à la retraite. En plus d’un texte très significatif et renseigné, l’auteur a utilisé de très belles photos pour illustrer ses propos.

En commentant ses photos, nous allons essayer d’apporter une touche scientifique et technique en nous basant sur les principes mécaniques. Sur cette photo, il s’agit d’un chargement de foin mis dans des sacs. Le centre de gravité du camion vide se situerait dans une position relativement basse. Par contre, quand le camion est lourdement chargé jusqu’à cette hauteur (voir photo), le centre de gravité est dans une position relativement haute.

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Une règle en mécanique dit que lorsque la verticale qui passe par le centre de gravité sort de la surface de sustentation (surface définie par les quatre roues), le camion bascule sans pouvoir revenir sur la route. Donc, il tombe sur le côté. C’est pour cette raison qu’il était très fréquent de trouver un camion de foin ou de charbon tombé au bord de la route. Pour réduire considérablement les cas d’accident de ce type, des mesures drastiques ont été prises par les autorités.

Concernant les bus de transport interurbain, les bagages des passagers se placent au-dessous des sièges et leurs quantités sont limitées. C’est pourquoi le bus, même chargé, a son centre de gravité en dessous des passagers. Cette situation fait que le basculement est pratiquement impossible pour un bus qui n’a pas été modifié.

Lorsque le bus, déjà usé en Europe, arrive au Sénégal, nos vaillants soudeurs qui excellent dans l’art de la modification placent un porte-bagage au-dessus du toit. Et pour monter et placer les bagages, il faut forcément une échelle métallique. Lorsqu’un bus est lourdement chargé au niveau de son porte-bagages placé sur le toit, le centre de gravité est très relevé à cause de son chargement alourdi par des bagages qui auraient dû voyager par camion.

Ce véhicule, lourdement chargé, pose une autre difficulté liée à la vitesse. Lorsque le conducteur freine son véhicule, c’est une masse énorme d’énergie cinétique qui se déplace. Au regard de toutes ces remarques, nous pouvons affirmer que le transport est victime de notre laxisme et notre insouciance par rapport aux dangers. La responsabilité est partagée avec ceux qui ont géré en premier le transport au Sénégal.

L’éradication du phénomène demande énormément de sacrifices et de décisions importantes que les autorités auront de la peine à faire appliquer.

Une première solution consisterait à rendre la visite technique obligatoire. L’Etat se limiterait à attribuer une attestation en se basant sur le compte rendu technique fourni par des spécialistes de l’automobile qui seraient tenus responsables de tout accident dû à une défaillance technique.

Sur les routes, les interdictions devront être rigoureusement appliquées et respectées par les conducteurs et ceux qui sont chargés de l’application des consignes de la bonne conduite en matière de circulation routière.

Ces deux photos illustrent très clairement le comportement abusif de nos concitoyens face au danger. En plus des 7 places normalement occupées, trois jeunes hommes se sont rangés dans la malle porte-bagages.

Le minicar dont la destination première est de prendre des bagages dans son caisson est lourdement chargé à partir de son porte-bagages inventé par les «ingénieurs» sénégalais de la route. Pour ce véhicule, le centre de gravité est tellement relevé qu’il peut basculer à la moindre inclinaison.

Le dossier sur le transport et les accidents de la circulation englobe énormément de sujets à débattre qu’il est utopique d’en parler en une seule contribution.

Au Sénégal, le système d’éclairage des véhicules n’est pas règlementé. Il suffit de voyager sur nos routes la nuit pour s’en rendre compte. Les lumières provenant du sens inverse sont tellement éblouissantes qu’on a du mal à distinguer la voie à suivre. Des conducteurs usent de leurs antibrouillards sans se soucier de ceux qui sont en face d’eux. Certains véhicules ont des problèmes de réglage des phares, conformément à la règlementation.

Pour arriver à bout des accidents spectaculaires et mortels, nous devons adopter un comportement plus responsable en respectant surtout les consignes de sécurité telles que :

la mise en place d’une signalisation verticale et horizontale sur toutes les routes ;

la formation des conducteurs de véhicules de transport en commun avec une exigence d’un minimum d’instruction ;

le port de ceinture de sécurité en rase campagne ;

le dégagement de la chaussée en cas de panne et le placement de triangle ou cône de signalisation à une position suffisamment éloignée du véhicule ;

la privatisation de la visite technique qui doit être confiée à des garages agréés ;

l’interdiction de la lumière blanche et les antibrouillards ;

l’interdiction absolue de garer sur la chaussée, quelle que soit la raison.

Malick FALL

Professeur de

construction mécanique

Ngohé (Arrondissement de Ndoulo – Département de Diourbel)

fallmalik@yahoo.fr

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