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Jamra, Complice D’un Homme Marié ?

Il y’a deux façons d’analyser la plainte déposée par la tristement fameuse ONG Jamra contre le phénomène Maîtresse d’un Homme Marié. On peut tout d’abord y voir une fermeture d’esprit, une ignorance et une hypocrisie qui sont l’apanage habituel des groupes extrémistes. On peut, en effet, croire que ce groupe d’illuminés « qui se veulent cavaliers sur les sentiers d’une foi à protéger de tout vice », sont sincèrement choqués par les propos entendus dans la série sensation du moment, ils ne seraient pas les seuls. Les mots utilisés par Marième Dial dans une conversation avec sa colocataire ou par Birame Diagne dans un rare échange de séduction avec sa femme, sont inhabituels,  voire inédits, dans le paysage audiovisuel Sénégalais et donc sur la place publique locale.  On peut donc croire que le mécontentement de Jamra est inhérent à toute société dotée d’une branche traditionnelle réfractaire à l’innovation. Oui mais seulement voilà, il n’y a pas que la place publique dans la culture Sénégalaise, et il n’y a pas que des mots choquants dans MDHM. Permettez-moi donc d’explorer une autre possibilité : le maintien du statut quo comme projet de société, d’un couvercle sur la marmite qui bout, d’un voile sur le visage réel de ce qu’est le Sénégal. Si Jamra s’oppose à cette série qui place hommes et femmes dans des rôles que la représentation traditionnelle ne leur propose jamais, c’est peut-être qu’elle est consciente que la farce est bientôt finie, et inquiète que le Sénégal qui lui a procuré tant de confort pendant si longtemps puisse évoluer, sous le leadership de Kalista Sy, Marième Dial et Djalika. 

Pour comprendre cette éventualité, il faut insister sur l’ampleur de ce que cette série est en train de réaliser. Ce n’est pas uniquement que MDHM révèle le caractère fourbe, enfantin et déséquilibré de messieurs qui, barbes bien taillées et bazins flamboyants, apparaissent généralement comme des incarnations de la respectabilité au Sénégal.  Ce n’est pas qu’elle humanise des femmes qui demandent le divorce, fréquentent des hommes mariés ou sont désagréables au travail. Ce n’est pas qu’elle dévoile le rôle parfois étouffant, bête et méchant de la plus grande institution Sénégalo-Africaine : la famille. C’est qu’elle fait le tout avec une profondeur, une conviction, et une pertinence qui mettent à nu un corps complexe d’interconnexions de ces divers facteurs. C’est qu’elle équipe les téléspectateurs à faire ce que les obscurantistes religieux ne veulent pas qu’ils fassent : comprendre ce qui se passe et se prendre en charge. Je redis ça, elle encourage les téléspectatrices à faire ce que les obscurantistes religieux ne veulent pas qu’elles fassent : comprendre ce qui se passe et se prendre en charge. 

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Que peut penser la femme dans un mariage abusif et violent qui voit Djalika prendre son destin entre ses mains ? Qu’elle peut et doit partir. Que peut penser la maîtresse d’un homme marié qui observe le caractère et la ruse avec lesquels Marième Dial balade Cheikh Diagne ? Qu’elle ne doit pas se laisser dominer psychologiquement par un homme aussi minable. Par dessein, les épisodes insistent beaucoup sur les enfants : une petite, négligée par son père et qui assiste impuissante et silencieuse à sa dépravation et à sa violence : une autre, Noura, frappée par sa nounou à l’insu de ses parents ; une troisième, violée par son père et qui, incroyablement, en porte la responsabilité toute sa vie ; une quatrième, moquée par ses pairs, exclue de groupes sociaux, qui s’accroche autant que possible au peu de gens qui l’aiment et rend la vie impossible à ceux qui ne l’aiment pas.  La série explique comment ces enfances difficiles, marquées par des violences psychologiques subtiles ou évidentes,  fortes ou marginales, conditionnent les femmes à des prisons psychologiques qu’elles s’imposent à elles-mêmes, à des dilemmes existentialistes et, finalement, à un abandon de leurs ambitions et de leur bonheur, pour elles et, pire, pour leur descendance. 

Une profonde analyse des difficultés socio-psychologiques de jeunes femmes imparfaite, parfois agaçantes, mais fondamentalement courageuses et inspirantes.  Les hommes dans tout ça ? Victimes d’eux-mêmes. Cheikh et Birame Diagne, deux frères, vivent deux extrêmes d’un seul et même problème : l’incapacité à se dire non, dans une société dressée à leur dire oui. Ils donnent libre cours à leurs passions, l’un dans les tunnels, l’autre en pleine lumière. Ils mettent leurs enfants en danger par leur négligence et leurs absences. A eux, on ne dit pas qu’ « un mariage c’est dur », on ne s’étonne pas qu’ils veuillent divorcer parce que leur conjointe les trompe. 

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Le confort dans lequel ils se trouvent est matérialisé par leur « père », un personnage charismatique et sombre qui marie, trompe, frappe, manipule, domine et dirige. Le patriarche, visage grave, tenue et démarché précises, dont le pouvoir n’a d’égal que la détresse des femmes qui le subissent. C’est ce patriarche, juge et partie, qui décide de ce qu’est la culture Sénégalaise, qui dicte valeurs et comportements, qui se plaint et sévit quand elles ne sont pas rigoureusement observées…en public, son lieu de prédilection. En privé, il se réserve le droit à lui, mais pas à son harem, autant d’écarts que son imagination lui permet. Le patriarche aime quand les choses sont calmes et les apparences maintenues, peu importe ce qu’elles cachent. C’est ce patriarche, dénoncé par la Maîtresse d’un Homme Marié, que cherche à protéger Jamra. 

La complicité entre le père d’une famille en souffrance et l’Imam d’une communauté en perdition est ancienne. Deux pouvoirs, le parental et le religieux, les plus importants de notre société, sont depuis trop longtemps utilisés pour aider les vices plutôt que pour les rectifier, pour culpabiliser les délateurs plutôt que pour les aider. Si il vous semble trop farfelu que des Imams puissent s’en prendre à une série pour son fond plutôt que pour sa forme, pensez à tous les sujets sur lesquels ils auraient pu faire du bruit, et sur lesquels ils sont curieusement silencieux. Se sont-ils déjà élevés contre le phénomène des Talibés, qui sévit au Sénégal depuis des décennies et est observé par plus d’individus que la série Maitresse d’un Homme Marié ne le sera jamais. Ont-ils dit que des enfants exploités à des vues économiques, maltraités, parfois violés au nom de ce qui devrait être leur sacerdoce, la religion, mendient tous les jours dans les rues de Dakar au vu et au su de tous ? Ont-ils porté plainte contre des dirigeant dont les patrimoines augmentent de façon suspecte (pour dire les choses ainsi) depuis qu’ils sont dans le gouvernement ? 

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Non. Les seules causes qui ont provoqué leur ire sont les suivantes : 

-les francs-maçons, un groupe privé aux pratiques secrètes dont nul, autant que Jamra, n’aura fait la publicité. 

-Rihanna, une star de la chanson, contre-modèle de la femme soumise et qui a honte, en déplacement au Sénégal non pas pour sa musique, mais au nom de l’éducation (un domaine qui, comme discuté plus tôt, n’arrange pas les vraiment les affaires de ce groupe). 

-Les homosexuels : un groupe déjà condamné, par la loi, à maintenir cachée son appartenance sexuelle et qui ne l’a jamais manifesté sur la place publique. 

-Maîtresse d’un Homme Marié : Une des rares productions audiovisuelles Sénégalaises à ne pas abrutir ceux qui la regardent, et à jouer pleinement son rôle de leader culturel, en abordant à bras le corps certains de nos plus grands problèmes de société et en proposant de vraies solutions. 

Rihanna, les homosexuels, une série, les francs-maçons, les vrais problèmes culturels et moraux du Sénégal, selon Jamra, et non la corruption, l’injustice, le viol ou l’adultère.  Les abois de Djalika, sa mauvaise éducation, ses caprices, les vrais atteintes aux valeurs du ménage selon le patriarche, et non la dépravation morale de son mari. En portant plainte contre MDHM, Jamra n’a fait qu’écrire un de ses épisodes. De loin, on pourrait croire à l’ennui et aux limites intellectuelles d’individus dont la seule valeur sociale réside dans ce genre de futilités. De près, apparaît clairement une diversion. Et comme Cheikh et Birame nous l’ont adroitement rappelé dans le salon de Lalla, personne n’a plus besoin d’une diversion qu’un homme marié cherchant à  voir sa maîtresse. 

PS : Lalla sait ce qui se passe, la question est de savoir si elle osera un jour en parler.







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