Le Gouvernement, quel numéro de téléphone ? Le remaniement effectué, dans une discrétion surprenante mais au prix de longs conciliabules, l’équipe présentée à l’opinion dimanche soir révèle que le choix des hommes (et des femmes, bien entendu) a obéit à un délicat dosage pour parvenir à l’équilibre souhaité par le Président de la République.
Qui dit équipe, dit capitaine. Difficile dans le présent attelage d’identifier la figure du chef. Provisoirement tout au moins, Mouhammad Boun Abdallah Dionne voit son bail prolongé. A titre précaire cependant, puisqu’il est chargé de supprimer son poste de Premier Ministre à une prochaine session de l’Assemblée nationale.
Pour singulière que soit cette démarche, elle n’en est pas pour autant inédite. Car en 1984 déjà, un autre Premier ministre a eu à l’initier. Et d’ailleurs, Moustapha Niasse, pour ne pas le nommer, croisant dans les couloirs de l’auguste Maison une figure de proue du Parlement, l’apostrophe sur la particularité de sa mission du jour « défendre le projet de suppression de mon poste devant la Représentation nationale ! » Hilarité et tape à l’épaule entre les deux hommes qui regagnent alors, sérieux, l’Hémicycle. La suite est connue.
Par un hasard dont la politique a le secret, Niasse au perchoir s’apprête à présider une session parlementaire dont le scénario est écrit d’avance. La suppression de la Primature, si elle est actée, ouvre une grosse opportunité de mise sur orbite du secrétaire Général du Gouvernement, Maxime Jean Simon Ndiaye. Il est crédité d’une très grande compétence. Son style d’écriture charme le sommet de l’Etat et son effacement plaît ou du moins convient dans l’univers feutré du pouvoir où les moindres faits et gestes sont scrutés et disséqués à la loupe.
L’intéressé, lui, joue profil bas. Parce qu’il est jeune, il a donc pour lui le temps et, investi de la confiance du Président de la République dont il est un collaborateur attitré depuis des lustres, sa tâche de coordination de l’action gouvernementale va suffisamment l’occuper pour penser à autre chose. Pour l’instant.
Cette répartition savante des rôles démontre toute l’habileté politique du Président Macky Sall qui, pour étouffer « toutes velléités d’émancipation » ou des ambitions alors qu’il vient à peine d’entamer son second mandat, s’est évertué à redessiner la cartographie de l’exécutif en rappelant à ceux qui avaient tendance à l’oublier qu’il est « la clé de voûte des institutions ». Le Premier conseil des Ministres donnera un aperçu du fonctionnement de l’appareil exécutif remodelé.
Toujours est-il que le Chef de l’Etat prend tout le monde de court en jouant le contrepied, convaincu que les transformations qu’il appelle de ses vœux s’expriment à une vaste échelle du pays. Les premières infrastructures implantées dans le pays profond ont ouvert un boulevard d’opportunités à des acteurs jusque–là confinés dans des périmètres très réduits. Le Président Sall reste déterminé à transformer l’essai avec la conviction chevillée au corps que l’équité territoriale va favoriser l’équilibre et mieux, la stabilité du Sénégal. Il avait donné un avant-goût de ses intentions lors de la cérémonie d’investiture, n’hésitant pas à pourfendre ses compatriotes qui se complaisent dans la médiocrité ou s’accommodent d’état de fait rédhibitoire.
Selon lui, Dakar, la capitale, de même que les grandes villes de l’intérieur manquent d’âme et se révèlent quelconques à ses yeux. Son adresse à la nation sonnait donc la mobilisation pour les grandes causes. Car, convaincu que le Sénégal joue son avenir à l’échelle du continent. Devant les présidents Ouattara, Nguesso, Kagamé, Tchisekedi, et Buhari, le président sénégalais voulait prendre à témoin l’auditoire que les enjeux sont autres et débordent nos frontières même si la vigilance s’impose de garantir par tous les moyens la sécurité « à nos frontières ».
Le Rwanda a montré l’exemple après s’être sorti du purgatoire génocidaire. Désormais Kigali affiche des ambitions de leadership affirmé sous le magistère de Kagamé qui séduit au-delà des Mille Collines. Son voisin congolais tente de se réorganiser avec la ferme intention de jouer les premiers rôles dans une Afrique convoitées par les grandes puissances et perçue comme le continent pourvoyeurs de ressources naturelles. Sa vitalité démographique est un autre atout de taille dans la bataille de positionnement et d’attractivité.
La Côte d’Ivoire, le Ghana et le Nigéria se disputent le leadership en Afrique de l’Ouest. Dans tous ces pays, les paramètres de décollage se mettent en place. Mieux, le projet de vaste zone de libre-échange est entré en vigueur après la ratification la semaine dernière de la Convention par la Gambie. Comment mieux pénétrer cette « cour des Grands » si ce n’est par un effort collectif de sursaut, l’attachement de tous à des valeurs d’émancipation et de libération des freins de la croissance et surtout de lutte contre les « inégalités de destins ».
Le Président de la République a plusieurs « cartes en main » pour rendre efficiente son action en s’appuyant sur une administration rénovée et consciente des enjeux et de sa mission. En d’autres termes, le peuple sénégalais se réjouirait de la capacité des gouvernants à appliquer la volonté telle qu’elle s’est exprimée dans les urnes le 24 février dernier. S’il prétend avoir été élu sur son bilan, le président a de bonnes raisons de donner libre cours à son dessein de placer le Sénégal sur l’orbite du succès. La réorganisation du Ministère de l’Economie et de Finances obéit à cette logique de simplification et de proximité fondée sur un assouplissement des règles de procédures. Le pétrole et le gaz préfigurent le mouvement de transformation. Après le bilan, l’avenir. Du réalisme…