Le Sénégal, pour la quasi-première fois, depuis le premier gouvernement de Mamadou Dia en septembre 1960 où nous avions un ministre du Plan, du Développement et de la Coopération technique (Amadou Karim Gaye) et un ministre des Finances (André Peytavin) se lance dans d’importantes réformes au nom du « Mieux Etat » qui nous vaut aujourd’hui la scission entre l’économie et la finance. C’est une quasi-première ! Donc, en séparant strictement Economie et Finances, le Sénégal s’inspire et reproduit un schéma utilisé en France entre 1993 et 1995 par Bercy et se calait alors sur le modèle actuel allemand, vu comme une référence.
Alors il est fort utile d’approuver cette scission du ministère de l’économie et des finances car comme le souligne la Banque Mondiale, l’expérience a permis de noter que la charge de travail dans le ministère de l’Économie, des Finances et du Plan était assez lourde. Donc le fait de penser d’abord à l’économie dans le sens de la croissance, à la participation du secteur privé, à la planification, au développement et puis aux finances, c’est-à-dire au budget, participe plus à renforcer l’équilibre.
De plus avec l’arrivé du gaz et du pétrole, sources de revenus supplémentaires ou extra budgétaires, le cumul ministre de l’Economie-ministre des Finances n’est pas souhaitable dans l’actuelle marche du pays et compte tenu des enjeux internationaux.
Même s’il est vrai que dans l’histoire récente, le gouvernement du Sénégal a toujours compté un ministère de l’Economie et des Finances, flanqué d’un ministère délégué du Budget, aujourd’hui, cette séparation inédite avec d’un côté un ministère des finances et du budget et de l’autre côté un ministère de l’économie, du plan et de la coopération soulève un certain nombre de questions.
Qui se rendra aux négociations sur les questions relatives au financement du PSE ? Comment le tandem fonctionnera-t-il ? Comment se fera la séparation stricte des pouvoir et des services ? Qui défendra les positions du pays à l’étranger ?
Ce serait ubuesque de penser que les esprits initiés s’accordent sur les mécanismes exacts par lesquels le département en charge des « finances et du budget » influence les variables dites « réelles » de l’économie qui seront sous la charge du département de « l’économie, du plan et de la coopération ». Loin sans faux, qu’éviter la dualité entre finance et économie pourrait être une belle prouesse au service du développement économique comme, le montre à suffisance, le modèle allemand dans la répartition des tâches.
C’est pourquoi, apprécier cet éclatement revient à tirer les enseignements sur la forme et sur le fond.
Concernant la forme, il est admis qu’en tenant une bonne gestion des rapports hiérarchiques avec à la clé l’opérationnalité d’une seule chaine de décision permettrait d’avoir une clairvoyance sur les recettes et les dépenses qui nous éviterait d’éventuelles tensions de trésoreries qu’on a connu auparavant et sur lesquelles nous avions alerté à l’époque. Si on arrive à contenir les tensions et les querelles de personnes entre les deux ministères, nous gagnerions en plus de visibilité dans les actions également à rendre plus huilées les chaines de décisions en réponse à l’annonce du « Fast-Tract » des politiques du président.
Dans le fond, au regard de la cadence qu’il faudra imprimer aux 27 projets du PSE, il est fort appréciable que cette séparation soit une belle initiative et est pertinente. Seulement, les feuilles de routes et les lettres de missions respectives doivent être véritablement claires pour ne laisser nul doute à aucun conflit de compétence et de délimitation de compétence.
Le grand enseignement auquel j’ai abouti en réfléchissant sur cette séparation est qu’il est maintenant clair que la politique économique véritablement pensée à partir d’une simulation ou d’une planification bénéficiant du soutien de l’instrument de la coopération sera réelle contrairement à ce qu’on a vécu jusqu’ici où l’on a pu noter dans le passé cette hégémonie de la finance (réduite à collecter les recettes et à les dépenser) sur l’économie (dont les grands agrégats sont resté orphelins).
A partir de maintenant l’on peut espérer dans cet optique que le département des « finances et du budget » sera à même d’influencer les comportements d’épargne des sénégalais, leurs décisions d’investissement et donc finalement la dynamique de la croissance économique du pays.
C’est pourquoi je suis heureux de croire avec Bagehot, Schumpeter et Levine (2005) qu’un fort département des « finances et du budget » jouera pleinement ses fonctions primordiales qui sont susceptibles de catalyser la croissance de long terme qui nous faisait défaut jusqu’ici.
J’attends de ce nouveau ministère des « finances et du budget » cette politique d’allocation des capitaux vers leur usage le plus efficace, une accélération de la productivité, de l’accumulation du capital, une réduction du risque d’illiquidité (avec un respect à date échue de la commande publique) et une accélération de la croissance et finalement de la croissance sur un très long terme.
Alors faudrait-il que le département des « finances et du budget » comprenne que toutes leurs actions ne seraient pas simplement dérivées de l’activité économique (où il s’agit de laisser croire tout bonnement qu’il faut se limiter à collecter et à gérer les recettes publiques), mais agirait aussi en retour comme l’un de ses moteurs.
En fait, le Sénégal, déjà avec une dette publique atteignant un niveau élevé ne peut se permettre une détérioration des finances publiques dans la mesure où la faiblesse de l’activité déprimera les recettes fiscales alors que déjà l’absence d’instrument monétaire et de change pour accompagner cette scission constitue une difficulté.
Toute la complexité dans cette réforme réside à faire de telle sorte que l’Economie et les Finances fassent bon ménage dans cette nouvelle organisation pour la stabilité de l’activité économique qui épargnerait l’État à recourir à la relance budgétaire.
Avec ce nouveau département de « l’économie, du plan et de la coopération, c’est le moyen maintenant de définir une politique économique claire et planifiée car le Sénégal est à la croisée des chemins avec les ressources pétrolières et gazières attendues en 2022 afin d’éviter les fuites de capitaux (flux financiers illicites) par le renforcement de la coopération internationale à travers l’échange de données et de renseignements
Sommes toutes, rendre efficace cette dichotomie nécessite d’importants efforts qui seront attendus sur la définition précise des feuilles de route respectives, du contour des missions et services et des résultats attendus. Attendons de voir si, ce « commandement éclaté » qui plus peut être cohérent vu le profil et la structure de notre économie, conduirait à l’optimum voulu par le « Fast-Tract » présidentiel.
Dr Thierno THIOUNE
Maître de Conférences Titulaire
Directeur des Etudes du CREFDES
UCAD-FASEG-CREA-LARED
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