La présence à Dakar du Président égyptien, Abdel Fattah Al-Sissi au même moment où Le Caire polarise l’attention mondiale avec le tirage des poules de la Coupe d’Afrique des nations (CAN) signe le « retour de l’Egypte » sur la scène internationale.
Longtemps confiné en lui-même, le pays voulait vivre différemment. Les troubles résultant de l’instabilité politique –tiens, ça vous dit la Place Tahrir !- ont accentué l’isolement diplomatique, économique de ce géant d’Afrique qui, du fait des crispations identitaires et des radicalités confessionnelles glissait à son corps défendant en un théâtre de la peur.
L’éviction de Moubarak (et ses procès spectaculaires), les généraux et les maréchaux qui se succèdent au pouvoir avaient terni l’image de l’Egypte aggravée par des violences ciblées, portant une grave atteinte à ses atouts touristiques et obligeant les tours opérators à rayer de la carte sa fabuleuse destination touristique très prisée par les professionnels de sensations.
Mais frapper le pays des Pharaons au « portefeuille » c’est le priver d’un levier d’influence avec une tentative inavouée de l’affaiblir et ainsi faciliter l’accès au pouvoir des extrémistes ou, à défaut, installer le chaos. Le pays a souffert de cet imbroglio. Il tente maintenant de renaître en s’organisant d’abord pour remettre de l’ordre dans la situation interne. Ensuite Le Caire, dans la géostratégie internationale, possède des cartes maîtresses et compte pour avoir joué les premiers rôles dans le dénouement de nombreux conflits régionaux.
En remplaçant au pied levé le Cameroun, défaillant pour l’Organisation de la phase finale de la Coupe d’Afrique des Nations, l’Egypte sauve la Confédération Africaine de Football d’un revers de fortune. Et du coup, le Gotha du sport roi salue cette mansuétude des dirigeants égyptiens, nonobstant les questions sécuritaires qui demeurent pendantes. Toutes les équipes nationales qualifiées se mobilisent pour aller au-delà de la figuration. Elles vont découvrir les gigantesques installations sportives, fruit d’une politique structurante aux fins de libérer les énergies.
Ce coefficient de sympathie gagnée à l’échelle continentale prédispose Le Caire à amorcer une stratégie de séduction pour reconquérir la faveur des opinions africaines. Au mois de février dernier à Addis-Abeba, le Président Al-Sissi prend le relais de Paul Kagamé du Rwanda comme Président en exercice de l’Union Africaine à l’issue de son 32ème sommet.
Les deux Chefs d’Etat ont certes eu des divergences notoires qui se sont publiquement exprimées. Notamment sur le projet de taxes sur les importations devant permettre à l’organisation continentale de ne pas se soustraire à ses responsabilités. Des divergences, sans conséquences majeures toutefois. En revanche, dès son premier discours, l’Egyptien, poids lourd en quête d’influence sur l’échiquier africain, même si son ambassadrice à Dakar s’en défend, fixe trois priorités qui en disent long sur son projet et l’empreinte qu’il veut imprimer : développer les infrastructures, accélérer l’entrée en vigueur la zone de libre-échange continentale africaine (ZELC) et des emplois massifs pour les jeunes.
Ces priorités, largement partagées, justifient à postériori la tournée de Al-Sissi qui soigne son image sur l’international alors qu’en interne, il est plutôt considéré comme un « raïs autoritaire ». A 64 ans, il a une obsession : les grands travaux dont le plus pharaonique est la construction d’une nouvelle ville alors que la capitale, Le Caire, étouffe.
Ce chantier, rapproche le Président égyptien de son homologue sénégalais Macky Sall qui a, à son tour, « Son Diamniadio », ville en pleine édification avec l’objectif d’attirer une population estimée à plus de 350 mille habitants censés bénéficier d’avantages comparatifs en termes de commodités par rapport à Dakar qui verrait d’un bon œil l’émergence d’un pôle urbain pour atténuer son inquiétante hypertrophie.
Nul doute que Dakar et Le Caire, en se projetant sur l’avenir, se rapprochent davantage pour mutualiser leur vision d’un futur maîtrisé à l’image de Brasila (Brésil), Naypyidaw (Birmanie) et Noursoultan (Khazakhstan). D’aucuns ont vu dans les ambitions d’Al-Sissi une volonté d’acquérir sa « pyramide à lui ». L’intéressé s’en défend et, pour dissiper les soupçons sur sa préférence du monde arabe au détriment de l’Afrique, Al-Sissi revendique l’héritage de Gamal Abdel Nasser, africain dans l’âme et membre fondateur en 1963 de l’Organisation de l’Unité Africaine (OUA).
Al-Sissi s’engage à prolonger l’œuvre de son illustre prédécesseur en martelant l’impérieuse nécessité pour l’UA de s’autofinancer plutôt que de compter sur d’hypothétiques fonds d’appui afin de faire fonctionner le coûteux siège et les programmes prioritaires d’intégration. Certaines capitales africaines se font l’écho des orientations du raïs égyptien même si pour la crise libyenne, il est réputé soutenir le maréchal Haftar avec le gros risque de compromettre son rôle de médiateur politique en tant que président en exercice dans d’éventuels conflits.
De façon subtile, l’Egypte, en se réintroduisant sur la scène africaine, rappelle qu’elle est éminemment africaine. Qui pourrait en douter ? Pas en tout cas les élites cairotes qui, des universités aux instituts en passant par les institutions ou les organisations d’intégration, ainsi que les médias, sillonnent le continent de part en part pour « semer la bonne parole ».
Tous les arguments sont alignés pour renforcer la perspective de ce retour annoncé. Déjà la « somptueuse tombe » du jeune pharaon Toutankhamon, découverte en 1922 et exposée en ce moment à Paris, stupéfie le monde par le mystère qui l’entoure. Le musée des civilisations africaines de Dakar, autre chantier achevé du Président Macky Sall, pourrait-il prendre prochainement le relais pour abriter la fameuse sépulture ? Ce serait alors un juste retour au bercail, en foulant cette terre si chère à un autre pharaon : Cheikh Anta Diop.