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RÉhabiliter La PensÉe Du Pharaon Du Savoir

Le 9 avril 2018, le magazine sud-africain « Chimurenga », spécialisé dans la culture, l’art et la politique, publiait, sur autorisation de l’auteur, une contribution du Professeur Souleymane Bachir Diagne parue il y a vingt ans lors d’une exposition consacrée au laboratoire carbone 14 du Professeur Cheikh Anta Diop. Ladite interview fut au centre d’une polémique intellectuelle entre Bachir et Boubacar Boris Diop. Ce dernier, dans une interview parue le 8 juin 2019 dans le très respecté site SenePlus, a accusé Souleymane Bachir Diagne de dénigrer, l’ironie en bandoulière, le Pr Cheikh Anta Diop tout en se gardant de toute hostilité manifeste. Il fit grief au philosophe de dénier à l’auteur de nations nègres et culture, la paternité du laboratoire de Carbone 14 conçu par Théodore Monod et concrètement mis en place par Vincent Monteil. Et last but not least, l’auteur du « temps de Tamango » flétrît le professeur à l’université Columbia de tourner en dérision la mention « honorable » – disqualifiante – ayant sanctionné la thèse du Pr Diop en Sorbonne, sans dire un seul un mot sur le contexte idéologique et politique qui a présidé à cette soutenance très particulière. Ce que réfuta le philosophe qui, dans sa réponse datée du 10 septembre dernier, précisa qu’« alors qu’on avait empêché à Cheikh Anta d’accéder à l’université en utilisant tous les moyens en commençant par la mention qui avait sanctionné sa thèse, et alors qu’on l’avait exilé dans ce laboratoire, il avait transformé ce bannissement en triomphe et fait de son laboratoire de l’or ».

Souleymane Bachir Diop avait conclu en accusant le journaliste-écrivain d’« étrange manipulation alchimique qui ne cherche plus l’or mais à faire boue de tout ». Ainsi, pour le philosophe, l’écrivain a transformé son hommage en calomnie. Ce duel de penseurs brillants et divergents a toutefois eu le mérite de réveiller le Landerneau intellectuel national plongé dans une profonde léthargie. un Landerneau qui semble avoir tourné le dos aux joutes contradictoires fécondes qui vitalisent le débat intellectuel. Souleymane Bachir Diop et Boubacar Boris Diop s’écharpent en toute chaleur au sein de cette communauté qui les rassemble et les arme l’un contre l’autre : celle des intellectuels.

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Hady Ba, philosophe, formateur à la Fastef interféra dans ce débat d’esprits pétillants et écorcha vivement Boubacar Boris Diop. Amadou Lamine Sall, le poète disciple de Senghor, équilibriste, adopta une position équidistante et reconnut la pétulance intellectuelle des protagonistes même s’il admet que les deux labourent dans le même champ avec des semences différentes.

Un tel débat n’avait pas laissé indifférents les internautes qui, finalement, avaient fait de cet échange intellectuel contradictoire une joute scripturaire où chacun supportait son champion. Finalement, les réactions subjectives qui s’ensuivirent frelatèrent la chaleur des échanges entre ces deux éminents penseurs.

Dans ces réactions, il ne s’agissait pas de disséquer la pensée de chacun de ces brillants compatriotes pour mieux la critiquer, la critique étant la pierre de touche de toute pensée, mais seulement de manifester sa partialité à l’égard de son preux chevalier. d’ailleurs si cette polémique féconde entre Boris et Bachir dans l’arène intellectuelle n’a pas connu la forte germination qu’on attendait des autres intellectuels qui s’en délectaient à cœur joie, c’est parce que chacun voulait se montrer à tu et toi avec Boris ou Bachir. et chacun, du haut de sa travée, applaudissait quand son champion donnait un coup à l’adversaire. Ces différentes postures subjectives s’attardant sur l’épiphénomène trahissent toute la difficulté des jeunes intellectuels à appréhender la pensée profonde du Pr Cheikh Anta Diop. Ce 7 février, l’on célébrait le 34e anniversaire de la disparition du Pharaon du savoir à l’université de Dakar qui porte son nom.

Le fait que la salle Aminata Diaw Cissé de l’Ucad 2, qui abritait la conférence donnée par Boubacar Boris Diop, était pleine à craquer montre que les étudiants de ce temple du savoir, dont la majeure partie ignore encore les dates de naissance et de mort de Cad commencent à s’approprier les thèses du Pr Cheikh Anta Diop. Un égyptologue dont le combat vise à affirmer la valeur et la place de l’homme noir dans l’histoire de l’humanité. une place que des thèses discriminatoires voire racistes lui ont niée. si les Léopold Sédar Senghor, Léon-Gontran damas, aimé Césaire, David Diop, Alioune Diop et autres hommes de culture noirs ont choisi la littérature ou l’art pour affirmer l’identité culturelle noire, Cad, lui, aura choisi le terrain de la science pour systématiser ce combat d’envergure.

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Dans Antériorité des civilisations nègres, il démontre la prééminence et la prédominance de ces dernières sur la civilisation gréco-romaine blanche sur laquelle l’occident a fondé son complexe de supériorité sur le reste du monde. Et le colloque du Caire organisé du 28 janvier au 3 février 1974 sous l’égide de l’Unesco, qui vint parachever le débat sur l’africanité de l’Egypte, marque le triomphe définitif des thèses du grand savant Cheikh Anta Diop sur l’Égypte antique, l’antériorité négro africaine de la civilisation égyptienne et sa prédominance historique. Ainsi le mensonge historique selon lequel « L’Egypte fut habitée à l’origine par des Hamites de race blanche » développé par le manuel d’histoire antique de Pierre Hallynck et de Maurice Brunet et qui était enseigné dans les programmes officiels de 1942 et 1943 des classes de sixième des séries classique et moderne fut définitivement battue en brèche par la thèse du Pharaon du savoir.

Bien évidemment, une telle posture irréfragable lui a valu le rejet de sa thèse De l’antiquité Nègre Egyptienne aux problèmes culturels de l’Afrique Noire d’Aujourd’hui, en 1951 à Paris. Un rejet qui n’avait aucun fondement scientifique mais puait les miasmes du racisme et du complexe de supériorité. de son vivant, pendant longtemps, Cheikh Anta Diop s’était vu refuser la possibilité d’enseigner dans son propre pays à cause de la mention « honorable » de sa thèse obtenue finalement en 1960.

Le Sénégal, sous Léopold Sédar Senghor, a beaucoup perdu dans la mise à l’écart du Pharaon du savoir comme il en a été avec l’emprisonnement arbitraire du président Mamadou Dia. il appartient donc à la génération actuelle de ressusciter l’illustre égyptologue mais aussi le grand visionnaire et l’homme politique distingué en lui donnant la place qu’il mérite dans le cénacle des grands intellectuels du monde. Pour ce faire, il convient d’enseigner ses œuvres dans les écoles et dans les universités afin de faire fructifier sa pensée. Par conséquent, il ne faut pas s’arrêter à ces cérémonies mémorielles solennelles à la limite folklorique qui souvent exhument pour mieux ensevelir. Encore une fois, il faut réhabiliter ces grands hommes qui font l’histoire de ce pays en s’appropriant leurs thèses.

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