Il a le regard perçant de l’honnête homme. Ibrahima Kane, puisque c’est de lui qu’il s’agit, le nouveau Directeur Général de Air Sénégal remplace donc Philippe Bohn à la tête de cette compagnie aux allures d’Arlésienne.
Fils de bonne famille, formé à bonne école, brillant dans ses études supérieures, M. Kane sort ainsi de l’ombre et apparaît comme le point d’équilibre entre les excentricités du DG sortant et les atermoiements d’un pouvoir en panne de vision sur l’aérien, secteur stratégique par excellence.
Personne ne sait d‘où provient M. Bohn, propulsé contre toute attente aux commandes d’Air Sénégal. L’homme, plutôt que de se consacrer à sa tâche, immense, préférait écumer les rédactions et les plateaux de télévision et, sur un ton toujours polémique, décochait des flèches à l’adresse de ceux qui critiquaient sa gouvernance ou ses options. Et pire, il lui arrivait très souvent de se servir de sa proximité avec le Chef de l’Etat comme d’une béquille pour « marcher en titubant » ou alors pour se protéger des fauves.
N’était-il pas d’ailleurs en rupture de ban avec le métier au moment où les pouvoirs publics portaient leur choix sur lui ? D’aucuns disent qu’il s’était reconverti dans l’agrobusiness. Selon des sources concordantes, M. Bohn, qui se prenait pour « un agent d’influence », est resté douze ans hors du circuit aérien. Cette erreur de casting a rejailli sur la stratégie très peu lisible de la Compagnie.
L’acquisition laborieuse d’aéronefs s’est révélée inopérante, notamment le premier avion dont le fuselage présentait des failles que la Direction minorait à l’achat. Mais le plus surprenant n’est point le retard inadmissible –de plus de dix heures- des vols en partance de Dakar mais plutôt des passagers livrés à eux-mêmes et dont l’exaspération a eu un effet retentissant.
Est-il besoin de rappeler que toutes les grandes compagnies qui desservent l’Afrique perçoivent le Sénégal comme un marché stratégique avec des fréquences en hausse compte tenu de l’importance du trafic de point à point. Or, la création d’Air Sénégal devait asseoir les ambitions d’émergence de notre pays à travers le PSE pour en faire un hub au service de son expansion.
L’achèvement des travaux de construction de l’aéroport Blaise Diagne de Diass devrait à son tour se traduire par l’ouverture de plus de liaisons, le lancement de nouvelles lignes de desserte et l’accroissement des fréquences de vols à destination des grandes métropoles du Golfe, des villes indiennes ou chinoises. Mais M. Bohn se contentait simplement de desservir Roissy Charles de Gaulle. Ce qui suffisait à son bonheur. Mal lui en a pris.
Son successeur, M. Ibrahima Kane, sait désormais ce qui l’attend. Venant du monde feutré de la finance, il lui faudra désormais s’adapter à l’univers du transport aérien et au tumulte qu’il charrie. Lui, parle peu contrairement à son prédécesseur. Les recettes de son succès dans la banque ne sont sûrement pas applicables dans le transport aérien. En revanche, sa démarche et sa méthode seront scrutées.
Considéré comme un stratège de haut vol du management, il devra, en bonne logique, s’imprégner de la situation de la société et de l’écosystème. Au moment où il arrive, le secteur aérien fait face à de profonds bouleversements : tarifs attractifs, offres séduisantes, concurrence entre low cost et long courrier, essor des compagnies hybrides (à coût d’exploitation amoindris). Il lui revient de donner à la compagnie des couleurs et surtout du caractère pour résorber les déficits, conquérir des parts de marchés et tisser des alliances stratégiques tout en instaurant un climat de confiance avec les personnels (navigant et au sol). Il est donc attendu de Ibrahima Kane, une démonstration d’autorité pour rassurer les marchés, les partenaires, l’Etat et les passagers en proie au doute permanent.
Ne serait-ce qu’en prenant le segment diaspora, le marché européen s’avère porteur pour le low cost avec des déplacements de plus en plus fréquents des Africains et un continent perçu comme l’épicentre du mouvement des flottes aériennes dans un futur proche. L’Association internationale des transports aériens (IATA) confirme que cette croissance du trafic aérien, passant, de 2016 à 2035 de 3,8 milliards à 7,2 milliards de passagers avec une moyenne de 3,7 % de croissance. L’IATA estime que l’Asie en sera le vivier avec la Chine comme premier marché aérien du monde suivie des Etats-Unis, l’Inde et l’Indonésie sont en embuscade avec respectivement 422 millions pour New Delhi et 242 millions de passagers pour Djakarta. Or, ajoute le régulateur, l’Europe verra sa croissance décliner sur la même période considérée.
Cette photographie de l’échiquier aérien renseigne sur les enjeux du futur avec la perspective d’exploitation des hydrocarbures (gaz et pétrole) au large de nos côtes. Le lancement d’Air Sénégal s’inscrit dans la suite logique de l’expansion économique en adéquation avec les différentes infrastructures dédiées visant à favoriser la connectivité, les échanges commerciaux, les loisirs voire les affaires.
Ces prérequis feraient de Diamniadio, excroissance de Dakar désengorgée, une plaque tournante à l’échelle régionale. A son ouverture l’AIBD compte accueillir trois millions de passagers, et 10 millions à terme. Nul doute que Ibrahima Kane cerne ces réalités et les dynamiques économiques de l’Afrique. Déjà, le Maroc et l’Egypte projettent d’édifier à moyen termes de nouvelles plateformes aéroportuaires. En Afrique Orientale, Addis-Abeba se fixe comme objectifs de devenir un hub global accompagnant Ethiopian Airlines qui dessert plus d’une centaine de destinations dans le monde.
Une étude du cabinet de consultants Forwardkeys révèle que les aéroports africains qui affichent la croissance la plus rapide de leur offre -en nombre de sièges- sont Nairobi (Kenya), Kilimandjaro (Tanzanie) et Kigali (Rwanda), soit une hausse de capacités de 11,2 % , un chiffre deux fois supérieur à la moyenne du continent qui se situe à 5,6 % en 2016. En piste….