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Lettre Ouverte À Khalifa Sall

Lettre Ouverte À Khalifa Sall

Tu me permettras de te tutoyer, malgré l’immense estime que j’ai pour toi. Cela ne saurait en aucune manière être traduit comme un signe de manque de respect, ni comme une très grande familiarité. Je t’ai connu en trois lieux ou endroits différents.

D’abord, tu as été mon professeur. Ce que beaucoup de gens ignorent sans doute dans ton parcours. L’année où tu as été élu député pour la première fois et, le plus jeune député du Sénégal, tu étais mon enseignant. Et d’ailleurs, tu nous avais abandonnés en milieu d’année scolaire, nous laissant sans professeur d’histoire et de géographie pour un long moment d’ailleurs. Bref, c’était pour la bonne cause. Dans ce collège qui avait fini par porter le nom d’un prestigieux et grand dignitaire lébou Ousmane Diop Coumba Pathé, par ailleurs père de feu Mamadou Diop ancien Maire de Dakar. J’en garde encore un souvenir ému pour plusieurs raisons.

Quelques années après, je suis passé à ton bureau à l’Assemblée nationale, tu n’y étais pas et moi, je t’avais laissé une lettre, par laquelle tu répondras bien gentiment en me donnant un rendez-vous. Dieu a voulu que le même jour où la lettre était arrivée chez moi, nous nous sommes croisés comme par hasard devant l’Assemblée nationale. Tu m’as pris par la main, tu m’as encouragé avant de me recommander à des gens avec qui j’ai eu un cheminement exemplaire, riche et enrichissant humainement et intellectuellement.

Cette rencontre m’a amené à militer activement au MES. J’ai alors été amené à te côtoyer plus fréquemment et à apprécier déjà tes convictions fortes, ton sens du combat digne et noble, avec des armes stratégiques, conventionnelles et toujours, à la loyale, ton ouverture d’esprit aussi.

Me viennent à l’esprit des réunions de stratégies, de gestion de crise à la maison du parti et, certaines duraient jusqu’à 3h voire 4h du matin.

Je me souviens des stratégies discutées, élaborées et mises en œuvre pour lutter contre des partis politiques de l’opposition qui alimentaient aussi certaines grèves scolaires.

Pour dire que la crise scolaire n’a jamais été que des revendications estudiantines légitimes pour de meilleures conditions d’études.

J’ai appris par la suite, que ce n’était qu’une vision naïve, partielle et parcellaire de cette malheureuse crise qui dure depuis au moins 50 ans.

Les partis politiques de l’opposition de l’époque, utilisaient malheureusement les élèves et étudiants, l’école en générale, comme un moyen de lutter contre les gouvernements en place.

En face aussi, certains éléments du parti socialiste avaient intérêt, selon le professeur Iba Der Thiam, à ce qu’il y ait une crise scolaire. Il parait qu’un budget était disponible à tout moment pour régler ces conflits. Par conséquent, certains dignitaires pouvaient en profiter pour se sucrer le bec ou se faire bien voir par le vizir.

Ensuite, je t’ai suivi d’assez loin comme Maire de Dakar. Ah non, il y a eu les différentes étapes dans le parti Socialiste d’abord, puis dans le gouvernement. Le PS avait quand même le secret de fabriquer des destins dans un processus de maturation très honorable qui faisait qu’une fois aux responsabilités, la personne était fin prête à les exercer avec une connaissance des procédures et du fonctionnement de l’Etat. Ce qui avait l’avantage de nous épargner de ces destins « fast-track » de parvenus qui du jour au lendemain se retrouvaient à exercer parmi les plus hautes fonctions sans pour autant y être préparés, ni y être attendus d’ailleurs. Je persiste à croire que ces dérives que nous vivons relèvent en grande partie de ces usurpateurs, comploteurs et autres spécialistes des coups tordus…

Toi Khalifa, en accédant à ces charges, tu avais fini de faire tout ce parcours initiatique… Ton attitude et ton comportement l’ont amplement démontré. Tu y es arrivé en homme d’Etat. Sans le savoir, tu faisais peur. Dans ce nouveau Sénégal, figures-toi bien que la politesse, la bonne éducation, le fait d’être bien née, la droiture, l’attachement à des valeurs morales et éthiques ou même le simple fait d’avoir des convictions fortes et de s’y tenir font malheureusement partis des nouveaux délits. Seront-ils officiellement consacrés avec les nouvelles réformes fast track à venir ? «  wait and see », comme disent les Yankees. Ce dont je suis sûr, c’est que tu n’as pas fait exprès.

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Tu as su avec beaucoup de diplomatie et de tact, éviter les pièges qui t’étaient tendus. Mais, il semble que tu as commis des crimes, le dernier ou plutôt l’un des derniers, est d’avoir battu une certaine première Ministre à des élections municipales de 2014. Ainsi, tu as mis à nu ses carences tant politiques, stratégiques qu’intellectuelles pour ne citer que celles-là.

Malgré ton expérience, ta longévité politique, ta connaissance de l’Etat et de ses rouages, tu ne pensais certainement pas que ces gens-là pouvaient descendre aussi bas. Eh bien, moi non plus. Même dans nos rêves les plus fous, il nous était interdit de penser que l’on puisse utiliser les moyens de l’Etat, la puissance publique à des fins aussi viles. Et surtout que le Sénégal continue de tourner comme si de rien n’était. J’en reste encore interloqué.

Sans trop rentrer dans les détails qui t’ont amené là où tu te trouves présentement, aucune personne douée d’un minimum de lucidité, ne peut dire en toute honnêteté que c’est ta place. Bien au contraire, n’ont-ils pas entendu l’avertissement de Michel Chartrand « Quand les bandits sont au pouvoir, la place d’un honnête homme est en prison ». Cette assertion, retrouve tout son sens et s’applique pertinemment à ton cas. Khalifa, tu es victime d’une lâcheté ignoble. C’est vrai que la tendance est de glisser discrètement sous le tapis tout ce qui peut être gênant, une grande partie de notre dignité également. Le nivellement par le bas a atteint des sommets dans ce pays. Et d’ailleurs, la première fois que j’ai écris sur toi, une amie respectable, courageuse dans ses idées et constante dans ses positions m’avait interpellé en ces termes « où était Khalifa pendant qu’on emprisonnait Karim Wade ? ». J’avoue que son interpellation, au-delà de m’avoir secoué sérieusement et profondément, a sonné en moi comme un appel à lutter contre l’injustice d’où qu’elle vienne. Si toutefois nous voulons être cohérents avec nous-mêmes et, surtout combattre la justice ou même l’injustice à géométrie variable. Juste pour dire que rester insensible à l’incendie chez le voisin, n’est pas juste que lâcheté, mais ignorer les menaces qui pèsent sur sa propre demeure.

Ton kidnapping prolongé n’est malheureusement qu’une preuve supplémentaire que parler d’Etat de droit en ce qui concerne le Sénégal, est une insulte à notre intelligence … pas que d’ailleurs. Dans cette cascade de viols répétitifs en série et, circonstance aggravante en bande organisée. Les acteurs sont bien identifiés, parmi eux, figurent en bonne place certains membres de la magistrature, qui n’ont sans doute pas entendu Philippe Bilger proclamait « Les médiocres de la magistrature, quand ils se coalisent, ont un pouvoir de nuisance absolu ». Dans leur entreprise macabre, ils ont ainsi cédé, le mot est faible, aux caprices d’un chefaillon quitte à devancer ses sinistres désirs. Ont-ils eu conscience des véritables dégâts, pour ne pas dire des coups de poignard portés dans le dos de cette noble institution judiciaire ? Ont-ils pensé à leurs collègues qui se défoncent au quotidien, au prix de sacrifices énormes afin de garder la face noble de cette justice du quotidien ? Loin de nous l’idée de vouloir jeter l’opprobre sur tout un corps. Je suis intimement convaincu qu’elle recèle de grands serviteurs, des professionnels aguerris, rompus à la tâche, des hommes et femmes éprouvés avec le sens de la justice … Et c’est dommage qu’on ne parle que des trains qui arrivent en retard. Quand bien même pour ce retard-là, son ampleur est d’une magnitude digne des plus grands séismes. Et cela suffit à entamer tout un discrédit sur une corporation malheureusement. Toute proportion bien gardée.

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Khalifa, je compatis sincèrement à la douleur de ta famille, de tes enfants qui vivent des situations indues, injustes et intenables. Et cela, juste parce que leur père, mari a tenu à rester un homme honorable. Dans son allocution prononcée à l’occasion de la mort de son ancien premier ministre, Pierre Bérégovoy, le président François Mitterrand disait à juste raison ceci : « Toutes les explications du monde ne justifieront pas qu’on ait pu livrer aux chiens l’honneur d’un homme… », en espérant vivement que la fin soit plus heureuse pour toi. Quel signal nous envoyons à ceux-ce qui veulent défendre l’Etat, la république, ses principes sacro-saints, une certaine idée de faire de la politique, de défendre le bien commun, public ?

Le temps est venu pour nous de donner des signaux forts à toutes ces personnes, le patriotisme chevillé au corps, la morale en bandoulière, l’éthique comme carburant pour avancer dans la vie. L’égoïsme a atteint des sommets dans ce pays, la lâcheté aussi. Nous ne devrions pas en être fiers. Hier Karim Wade, aujourd’hui Khalifa Sall, demain Ousmane Sonko ?  Et qui d’autre après demain ?

Je persiste ici encore à penser que la question n’est ni juridique ni judiciaire. Même si au demeurant, la justice a été tristement et scandaleusement utilisée afin de valider un désir insensé. Cruellement, la justice a été instrumentalisée aux seules fins d’entériner une vile aspiration. Si certains magistrats n’ont pas eu le courage de refuser d’exécuter un ordre manifestement illicite et illégal, il ne faut pas après venir crier avec les loups. Et vous voulez qu’on vous respecte ? « Un magistrat n’a pas plus de droit que n’importe quel citoyen. Au contraire, parce qu’il lui appartient de faire respecter la loi, il doit être le dernier à pouvoir y contrevenir. Question d’éthique, pour ceux auxquels il en reste », écrivait Éric de Montgolfier.

Ils se sont donnés tous les droits, quitte à être incohérents devant des avocats, discrédités à jamais au regard de l’opinion publique. Des avocats qui ont fini par déposer les armes, ne plus agir face à une si grosse farce et des citoyens outrés et dégoutés. Le sentiment dominant est le dégout !

Une justice qui arrive à être toujours faible devant le fort et féroce devant le faible. Malgré vos statuts, grades et fonctions, vous avez irrémédiablement perdu notre estime. Vous avez ainsi « … perdu les repères éthiques indispensables à l’exercice des fonctions de magistrat en même temps que tout crédit juridictionnel à l’égard des auxiliaires de justice et des justiciables »

Khalifa, ton incarcération reste une honte pour le pays de feu Kéba M’Baye, mais encore plus pour notre système judiciaire, qui globalement, l’endosse pitoyablement, un véritable marchepieds. Honte à vous ! A force de vouloir persévérer dans cette voie, n’avez-vous pas peur qu’un jour, que j’espère proche, que des ressorts sautent ? Vous serez alors mis en face, non plus du miroir intime de vos petites consciences, mais du vrai juge.

La brutalité, n’est pas toujours une affaire de force, de torture physique, d’exécution sommaire. La brutalité, c’est aussi utiliser des pouvoirs régaliens afin d’exécuter de basses besognes. La brutalité c’est empêcher des enfants d’accéder à leur père, la brutalité c’est d’empêcher une femme d’être aux côtés de son mari, la brutalité c’est d’empêcher, mais surtout de torturer psychologiquement une veille femme qui a passé sa vie à inculquer de bonnes valeurs à son fils, de pouvoir le serrer dans ses bras…. Cultivons cette mentalité de la tolérance qui est le fondement de cette Nation, au lieu de semer cette fâcheuse mentalité de représailles, de méchanceté au risque de tout détruire !

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Après, c’est facile de venir plastronner, déclamer à qui veut l’entendre, que force restera à la loi. Non mais allô quoi… Quelle est la portée d’une loi injuste, manifestement illicite, illégale en plus d’être cynique ?

Encore qu’ici, ce n’est même pas la loi qui est en cause, mais son application, vicieuse et tendancieuse… et ridicule pour ne pas dire plus.

Avant le droit ou des juristes tordus, nous avons besoin de citoyens honnêtes, équilibrés avec le sens humain des normes sociales civilisées.

« Les fonctions régaliennes exigent que ceux qui les exercent soient respectés. L’évolution de la société a sensiblement modifié le respect qu’on leur porte désormais. Il était acquis et voici qu’il faut maintenant que ceux qui y prétendent fassent la preuve qu’ils les méritent. On est respecté que si on est respectable ».

J’entends souvent parler de réformes de la justice avec une insistance sur le fait de sortir le président du Conseil Supérieur de la Magistrature. Mais comment donner une aussi grande liberté à des gens qui ont montré leur appétence à la soumission ? Assurément, rien de ce qui nous a était donné de constater n’est rassurant pour militer en faveur de cette option.

Et pourtant Khalifa, mon intime conviction me dit que tu as eu l’occasion de transiger, d’accepter un deal qui aurait rassuré tous ceux pour qui ton existence constituait dans leur sinistre et cynique calcul, une menace. Tu n’es pas du genre à sacrifier, ni tes convictions ni tes camarades encore moins ton amour pour l’Etat, pour la république. Accepter un deal politique qui t’aurait épargné de subir cette foudre rancunière. C’était aussi une façon de plonger dans ce qu’il y a de plus trash dans la politique, mais comme tu es noble, tu es digne, tu es fier, cette fierté qu’on ne retrouve plus facilement dans ce monde de brutes, de cynisme et de trahison… Tu es resté socialiste dans toute sa splendeur, toute la noblesse qui véhicule avec elle les idéaux humanistes … Une transaction qui t’aurait permis de faire d’une pierre deux coups : envoyer tes ennemis à l’interne à une retraite définitive, voire à la mort politique, et rester en liberté auprès de tes familles biologique et politique. Cette dernière aurait subi par la même occasion une OPA. Et d’ailleurs la seule fois où je t’en ai véritablement voulu, c’était quand tu avais décliné l’offre d’Aissata. En effet, vous aviez eu l’occasion de reprendre le PS à la régulière. L’histoire politique du Sénégal aurait pris une autre tournure. Mais enfin … Avoir des principes a aussi un prix, y compris celui de subir une humiliation historique dans sa bassesse et son mode exécutoire.

Je déteste entendre certains de nos compatriotes y compris des analystes politiques chevronnés, dire que tous les hommes politiques sont pareils. Cela a le don de me hérisser les poils. Nous devons récuser ce qui est au mieux une paresse intellectuelle, un manque de courage et au pire, une lâcheté. Non, ils ne sont pas tous pareils, la preuve tu ne cesses de nous l’administrer du fond de ta cellule, qui à l’évidence n’est pas ta place. J’ose espérer que tu la gardes bien au chaud pour les véritables et légitimes ayants droit.

Pour terminer Khalifa, juste un petit rappel qui je n’en doute pas, aura son pesant d’or. Nelson Mandela parait-il, n’a jamais perdu sa dignité, il a toujours été ce dirigeant, ce leader, qui luttait du fond de sa cellule avec ses amis. Si la prison est un passage obligé, qu’il en soit ainsi ! Louons alors d’ores et déjà tes persécuteurs.

Ps : Je saisis cette occasion pour rendre hommage à nos amis disparus, Mohamed Seck (Hezbollah) et Jacques Tissera. Deux amis aux destins exceptionnels. Paix à leurs âmes.







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