Depuis quelques jours, le ciment est devenu une denrée rare au Sénégal. Pour expliquer cette pénurie, on parle de « panne » d’une machine de la Sococim. Toujours est-il que ce dysfonctionnement technique tombe dans un contexte où, il y a quelques semaines, les trois cimentiers de la place avaient voulu augmenter de manière unilatérale le prix du sac de ciment avant que le ministère du Commerce ne s’y oppose. Alors, simple coïncidence ou pénurie provoquée ? Pour un pays qui est en surproduction au point d’exporter dans la sous-région, cette situation suscite bien des interrogations.
D’ailleurs, certaines associations consuméristes, Ascosen notamment, n’ont pas manqué de marquer leur étonnement. « Cette pénurie arrive juste quelques semaines après que l’Etat a opposé son véto contre toute augmentation du prix du ciment. On nous explique que c’est dû à la panne d’une machine à Sococim. Mais, ce qui est surprenant, c’est qu’on nous a toujours fait croire que le Sénégal était en surproduction de ciment », a déclaré son président sur les ondes d’une radio. Sans le dire, Momar Ndao, puisque c’est de lui qu’il s’agit, soupçonne une pénurie provoquée par les cimentiers. Cette suspicion s’explique par le contexte et l’ambiance dans laquelle baigne le secteur du ciment depuis quelques semaines.
Flash-back. Le 13 mars dernier, Sococim a procédé, sans crier gare, à une augmentation de 3.500 FCfa sur le prix de la tonne de ciment. Dans la foulée, ses deux concurrents, Dangoté et Ciments du Sahel, s’y mettent. Une sorte d’entente illicite, certes indirecte, mais qui ne dit pas son nom. Mais, la réaction des autorités ne s’est pas fait attendre. En effet, dès le lendemain, le ministère du Commerce rend public un arrêté qui rappelle que les prix plafond du ciment sont « fixés aux prix antérieurs pratiqués au 1er janvier et que tout prix supérieur à ces prix plafond serait considéré comme « illicite ». Autrement dit, le gouvernement dit niet à toute augmentation du prix du ciment décidée unilatéralement par les trois cimentiers. C’est depuis lors, curieusement, que le marché du ciment est entré dans un cycle d’instabilité. Avec la panne de la machine de la Sococim, la production journalière qui est de 25.000 tonnes, toutes cimenteries confondues, a chuté de 30 à 40 %, indique-t-on du côté de la direction du Commerce. Si tel est le cas, pourquoi ne pas alors surseoir aux exportations afin de satisfaire la demande nationale ? Question de bon sens. Car, faut-il le rappeler, le marché du ciment au Sénégal est en surcapacité. On produit du ciment plus que le marché local en a besoin. C’est peut-être l’un des rares secteurs où le Sénégal peut se targuer d’être autosuffisant. Cette situation s’explique par la présence de trois cimenteries.
En effet, jusqu’au début des années 2000, le Sénégal ne comptait qu’une seule cimenterie en la Sococim. Mais, l’arrivée des Ciments du Sahel puis de Dangoté Cement a redistribué les cartes sur un marché local où l’offre est largement supérieure à la demande. En 2018, la production était estimée à 8 millions de tonnes par an, pour un marché national qui n’en absorbe que 3,5 millions de tonnes. La suroffre est expédiée principalement au Mali. La perte du monopole qu’exerçait Sococim depuis 1948 dans le secteur a donc entraîné la baisse des prix de ce produit, au grand bonheur des consommateurs sénégalais. Face aux velléités de hausse des cimentiers et cette pénurie, ce « bonheur » va-t-il durer ? Les prochains jours nous édifieront.