SenePlus, entame cette semaine une série d’éditoriaux sur des questions sociétales dont l’importance ne devrait échapper à personne. Aujourd’hui, le premier jet d’un ensemble consacré au foncier, ou plus exactement à la boulimie foncière et aux prédateurs qui gangrènent le secteur. Par notre éditorialiste Demba Ndiaye, qui a décidé d’aller à la rencontre des acteurs, afin d’agrémenter sa dissection d’un grand corps malade de notre société.
BAMBILOR LA POUDRIÈRE FONCIÈRE
La communauté rurale de Bambilor est devenue une vraie bombe foncière. Cela depuis l’affaire dit du titre foncier Bertin, du nom du colonel français Emile Chevanche Bertin. D’une superficie de 2514 hectares, le TF 1975 R, empiète sur les sept villages que sont Mbèye, Wayembam, Nguendouf, Déni Birame Ndaw, Déni Guédj, Goram 2 et Bambilor. Spoliant du coup les centaines de villageois présents qui exploitaient la zone depuis des siècles ainsi que des particuliers. Qui ont épargné pendant des années pour un repos bien mérité pour leurs vieux jours.
Le moins qu’on puisse dire, c’est que cette affaire connue sous « Bertin TF1975R » est un condensé de drames sociaux qui affectent nos populations rurales ; la zone d’évolution de nouveaux prédateurs politico-administratifs. Dans cette affaire Bertin, plusieurs voix se sont élevées pour dire que le titre en question repose sur du faux. D’où la naissance du collectif « And Sam Sa Moomel » pour la défense des intérêts des populations ainsi que des propriétaires et attributaires de la zone.
Aujourd’hui, outre les terres liées à ce fameux TF1975, le Collectif de défense des populations et autres particuliers spoliés, réclament aussi, leurs terres spoliées par la Coopérative d’habitat militaire (Comico). Dans les responsabilités de ces micmacs fonciers, le Secrétaire général du collectif, Bira Cissé, accuse le régime du président Abdoulaye Wade d’avoir été « le plus grand usurpateur avec des affectations dans la zone, à n’en plus finir au profit de beaucoup de ses proches ».
Curieuse attitude que celle des autorités locales qui jusqu’à ce jour, n’ont levé le petit doigt en faveur de leurs mandants. Ce qui fait dire à certains qu’il y a anguille sous roche. Pour ne pas dire connivences et complicités…
LE BEAU-PÈRE DU PRÉSIDENT INDEXÉ
Décidément, la zone Bambilor-Lac Rose est la zone de prédilection de nombreux prédateurs fonciers. Ainsi, toujours dans la communauté rurale de Bambilor, sur une superficie de 120 hectares, est érigé le projet de construction de 5000 logements sociaux dont la société adjudicataire appartient, selon des témoins, au beau père du président de la République. Convaincus de connivences de tous genres pour les opérations de spoliation à grande échelle, cultivateurs, exploitants de la zone depuis plusieurs décennies, et particuliers qui y ont acheté des terrains pour leurs vieux jours, n’ont cessé de dénoncer sur tous les tons, que le projet en question, « est une grosse arnaque, une nébuleuse, un subterfuge visant à déposséder de pauvres paysans », en décriant cette méthode de « fookhati » (par la force) de la part d’Abdourahmane Seck Homère, président du groupe Seti, qui s’est accaparé de leurs terres.
Comme souvent, face à ce qui ressemble fort au combat improbable entre le droit et la force, maraîchers et agriculteurs, par la voix de leur porte-parole Mbacké Tine, se disent prêts à faire face à « ceux qui veulent leur ôter le pain de la bouche ». Il semblerait qu’après ces mobilisations des spoliés, le chef de l’Etat ait arrêté le projet. Mais, comme chats échaudés craints l’eau froide, ils sont sceptiques quant à l’effectivité de cet arrêt, et se disent convaincus que les responsables du groupe Seti sont sur le point de revenir à la charge.
À quelques jets de pierres de là, dans le village de Kounoune, des propriétaires et autres attributaires de parcelles courent toujours derrière leurs biens. En effet, du temps de l’ancienne communauté rurale de Sangalkam, des citoyens avaient acheté ou bénéficié d’ordre de recettes après avoir payé tous les frais inhérents au Trésor public. Mais, jusqu’à présent, ils n’ont pas encore vu leurs parcelles. Plus cocasse ou dramatique, c’est selon, le nombre de documents émis est supérieur aux parcelles disponibles.
Le village de Keur Ndiaye Lo connaît aussi un litige foncier l’opposant à l’école inter Etats de médecine et de sciences vétérinaires. Quinze (15) hectares les opposent dans un combat qui semble dépasser ces villageois face à …une multinationale africaine de la Formation. En effet, le collectif de défense des intérêts de Keur Ndiaye Lo veut récupérer coûte que coûte cette superficie, parce que disent-ils, la zone est réservée à la jeune génération pour lui permettre demain, d’avoir un toit chez soi et non d’être obligée d’immigrer dans son propre pays du fait de prédateurs protégés.
Non loin de là, toujours dans la zone de Tivaouane-Peulh-Niague, les populations demandent l’extension de leur village dont l’autorisation leur avait été accordée depuis 2007. Mais, quelle ne fut leur surprise de voir un beau jour, l’installation de l’institut El Mozdaïr sur le site qui devait servir de zone d’extension du périmètre habitable du village. À leur grand dam, 50 hectares ont été absorbés par la nouvelle infrastructure. Le plus grave dans cette affaire, c’est que les documents de bail brandis par les responsables, reposent sur du faux, selon le collectif des attributaires et propriétaires de terres ainsi que les populations. Mieux, les baux auraient été établis entre les deux tours de l’élection présidentielle de 2012. Il fallait le faire !
ARNAQUE À LA FORÊT CLASSÉE DE SÉBIKOTANE.
Il y a comme qui dirait, une sorte de mafia de la terre dans ce pays qui, parmi ses aversions, figure la détestation de l’environnement ; notre espace vital. C’est ainsi, de ceux qui se sont rués sur la forêt classée de Sébikotane avec un lotissement érigé en pleine forêt classée. Pour ceux et celles qui ont été dupés de bonne foi, cela constitue une grosse arnaque. Selon ces derniers, la municipalité ne leur avait jamais signalé que le site est situé dans la forêt et qu’avant un quelconque lotissement, il fallait d’abord procéder à son déclassement. Fautifs par ignorance du fait de spécialistes es-arnaques.
Selon les victimes de ces pratiques illégales et pourtant que tout semble légaliser, lorsque la mairie avait délibéré en 2006 pour faire de la zone une extension, beaucoup de personnes ont afflué vers Sébikotane. Des particuliers comme des coopératives d’habitats avaient déjà payé leur quittance au Trésor public. Mais depuis lors, leur vie s’écoule entre cauchemar et calvaire, entre rage d’avoir été floués et impuissance face à des intouchables de la République. Tout ce beau monde court derrière ses parcelles. Pour apaiser la tension, la nouvelle équipe municipale en place, dirigée par le maire Mbaye Cissé, a introduit des demandes de déclassement d’une partie de la forêt. Mais les choses ne bougent pas. Il faut noter que même si la partie ciblée de la forêt classée était déclassée, elle ne pourrait pas contenir le nombre de demandeurs disposant de documents en bonne et due forme. Mais pourquoi raser un des rares espaces vert de la région pour des logements alors que d’autres sites destinés aux habitations existent ?
YENE, SOS POUR SITE ÉCOLOGIQUE EN DANGER !
Autre lieu, mêmes forfaitures. Yène, le 6 Mai dernier. C’était le branle-bas de combat. En effet, les populations des différents villages de la communauté rurale, avaient organisé une marche de grande envergure pour protester contre le bradage des réserves de la localité. Selon le président du mouvement « Sopi ak Dialaw », Amadou Diagne Ndir, la population risque de voir un jour ses enfants sans toits si ces chapardages de terres continuent.
Aujourd’hui, pour mesurer les dangers qui guettent la zone, il faut voir comment et à quel rythme, les terres se raréfient. Exemple de cette destruction « fast track », les agressions contre le marigot de Yène -Todd, qui est morcelé, dépecé, avec la viabilisation de 1500 parcelles. Selon d’autres sources, à ce scandale, il faut ajouter d’autres comme ce qui se passe à Ndoukhoura et sur la colline. Sans compter les particuliers qui se disent spoliés. Pour les populations et leur porte-parole, Amadou Diagne Ndir, il urge d’arrêter le massacre qui se passe à Yene. Mais, il faut aussi exiger l’audit du foncier dans la localité. Comme dans toutes les autres localités du pays où sévissent des prédateurs fonciers privés ou appartenant à l’administration.
Parce que pour l’opinion (et c’est souvent vrai), les auteurs de ces boulimies foncières sont les fonctionnaires affectés dans ces départements comme agents de l’Etat. Comme dans le département de Rufisque. En tout cas, c’est l’avis d’Ousmane François Guèye président de la Convention des cadres et lébous de souche. Selon lui, « pour la plupart d’entre eux, tous ceux qui sont affectés ici, repartent riches comme Crésus. Et Dieu et nous autres mortels, savons très bien que leurs salaires ne permettent pas ces aisances sociales subites ».
Le quinquennat « Fast track » devrait s’attaquer en premier lieu à cette maladie infectieuse qu’est la boulimie foncière. Le président qui veut aller vite et faire du bien, en faisant du bikini à ses populations pendant son mandat. Et surtout, il faudrait que les populations se souviennent de lui comme celui qui s’est attaqué vigoureusement, courageusement au fléau.
Pour cela, en toute humilité, il devrait dépoussiérer les conclusions du rapport sur la réforme foncière. Qu’a-t-il à perdre sinon la détestable image d’un « wax waxet » qui a entaché grandement la crédibilité de sa parole ? Plus important encore, il y aura au-delà des promesses électorales dont on dit qu’elles n’engagent que ceux qui y croient, les simplets d’esprit comme nous, pour tracer les sillons d’une agriculture pérenne dans nos Niayes et autres campagnes, mais aussi, pour préserver le peu qui nous reste encore de notre environnement en dégradation « Fast Track ».
Pour cela, l’Acte 3 de la décentralisation devrait être revue avant les élections locales. Parce que souvent, les prédateurs s’appuient sur des conseillers municipaux, ruraux, en disette et à la recherche de ressources pour leurs communes, pour s’adonner à des pratiques illicites et socialement criminelles. Il n’y a pas urgence sociale, plus urgente et plus sociale que d’engager enfin la révolution foncière qui rendrait leurs terres et leurs dignités aux millions de populations en voie d’appauvrissement à un rythme « Fast Track ». Ou la cadence accélérée de son ex-Premier ministre.
Et il y a sans doute une occasion unique de prendre le problème à bras le corps que de l’inclure dans les termes de référence du dialogue auquel vous avez appelé et qui semble-t-il devrait démarrer ce jeudi. Nom de Dieu, on ne vit pas que de politique, d’élections, de carte électorale, de parrainage et autres sources et moyens de vivre des politiciens. Que je respecte quand ils arrêtent de contempler leur nombril et se souviennent du sens de leur combat ; la satisfaction des besoins des populations. Ou bien la politique a changé de sens et d’objectifs ?
Remerciements aux organes comme Thiès info, aux organes de presse partenaires de SenePlus et d’autres qui ont constitué la trame des sources de . Merci surtout à Fanta Cissokho qui n’a pas ménagé ses efforts pour les recherches documentaires.
Semaine prochaine : La révolution foncière est elle possible au Sénégal ? A quel prix ?