Pape Alioune Fall,
Du fond de ma tombe, je t’écris cette lettre que tu recevras du fond de ta cellule. Pape, mon frère ! Oui, mon frère, car je t’ai toujours considéré comme tel. Tu sais, depuis que tu as commencé à fréquenter notre maison, mon père nous avait tous demandé de te considérer comme un membre de la famille. Il nous disait tout le temps que c’est ton propre père qui t’avait confié à lui et qu’il devait, lui même, mériter cette confiance avec notre aide. Chez nous, il n’y avait aucune jalousie quand on te voyait avec papa toujours dans sa voiture. Il t’amenait partout où il allait et te présentait comme son propre fils. Des fois, il te parlait de choses que nous mêmes ignorions et l’on se disait que c’est bien normal car tu es « son fils aîné », ce garçon que notre maman n’a pas eu. A la maison, on ne mangeait pas sans toi et maman, même hors du pays, appelait pour demander si on s’occupait bien de toi. Tout le monde te couvait et
on avait fini d’oublier que tu étais « Fall » et nous autres « Camara ». Après mes études, je pouvais bien venir travailler à côté de mon papa mais non, je t’ai bien laissé cette place pour aller aider maman dans son commerce.
Maman, cette brave dame qui, en m’appelant à côté d’elle, a voulu parachever mon éducation et me préparer aux dures réalités de la vie de femme. Pape Alioune ! Je me rappelle des moments où tu passais ton temps à me donner
des conseils et à magnifier le fait que je sois voilée et arc-boutée aux principes de l’Islam. Tu me confortais dans mon choix et accentuais ma confiance en toi. J’étais devenue bien aveugle et c’est cette cécité qui m’a poussée à t’ouvrir la
porte de chez nous quand tu m’as dit au téléphone que tu étais là. Ton « je suis là. Ouvres moi » n’a duré que 7 secondes. Je ne pouvais pas savoir en ce moment que j’ouvrais la porte à l’ange de la mort. Tu t’étais tellement bien installé au cœur de la famille que je ne pouvais douter de rien. Maudit soit l’instant où j’ai tourné la clef de la porte !
Cependant, je comprends que c’était cela mon destin. Je ne pouvais y échapper. Dieu avait bien décidé avant ma naissance que mes jours allaient s’arrêter à ma 23e année dans ces circonstances. Comment as-tu pu, Pape ? Comment ? Comment as-tu pu te jeter sur ta « petite sœur » que j’ai toujours été ? Tu sais bien que tu étais plus fort que moi physiquement mais j’espère que tu as pu sentir toute cette force que Dieu m’a insufflé à cet instant pour t’empêcher me violer et me souiller le restant de ma vie. Quand une fille dit NON c’est NON ! Quant est-ce que vous allez comprendre cela ? Tu pensais qu’en m’étranglant avec mon foulard, j’allais céder. C’était mal me connaître. J’ai lutté avec toutes mes forces afin que toutes les femmes soient fières de moi. J’ai hurlé ! Je t’ai griffé ! J’ai senti la vie me quitter mais au fond de moi je remerciais Dieu car mes parents pourront continuer à lever la tête de fierté
même si ce sera dans la douleur. J’ai préféré la mort plutôt que le déshonneur. Pape, tu fais partie de ces hommes qui pensent que dès que se réveille leur instinct animal doivent à tout prix chercher à le satisfaire quitte à violer même
de petites filles. Dans les daaras, les salles de classes, le secret de la chambre de l’enseignant, du professeur, du petit fonctionnaire… les filles vivent le martyre sans pour autant oser en parler. Des fois c’est même au sein de la famille que des oncles, des cousins, des vacanciers, des saisonniers…se donnent à cœur joie comme s’ils avaient à leur disposition des jouets. Dafa dooy seuk ! Il faut que les femmes apprennent à briser le silence pour faire reculer les
monstres de ton genre. Wakh mo djote ! Des fois, même pour trouver du travail, il nous faut se donner à un sadique
recruteur. Pour cinq minutes de plaisir vous êtes prêts à tout ! Aujourd’hui, Pape, je suis là à t’attendre et vu ce qui t’attend ici, je te souhaite de vivre longtemps. Je me surprends même à prier pour toi afin que Dieu te pardonne tellement le châtiment qui t’est réservé ici est insoutenable. A toi et à tous les pervers qui ne cessent de faire du mal aux femmes, on peut sur terre vous condamner à 10 ans, 20 ans ou même à perpétuité mais sachez que ce n’est
rien comparé à ce qui vous attend ici. Aux meurtriers de Fama Niane, Coumba Yade…priez vous aussi pour ne pas
mourir de sitôt car vous êtes aussi bien attendus. La fournaise ici n’a rien à voir avec tout ce que vous pouvez imaginer. Pape ! J’ai présentement un sentiment de pitié pour toi. Tu viens de gâcher ta vie éphémère sur terre et celle infinie dans l’au delà. Mes pensées vont à ta famille et surtout à ton père qui t’avait confié au mien. Comment va t’il pouvoir regarder mon père dans les yeux maintenant ? Ta mère n’en dort plus la nuit. Sais-tu cela ? Elle se pose mille questions et il lui arrive même de regretter de t’avoir porté neuf long mois dans ses propres entrailles. « Yala na leen djigg » car comme on dit chez nous « yeen gaathié yi khedioul ci gor ».
A bientôt mon « frère » Pape car « adina yagoul ». On se verra sous peu.
Bonne méditation au fond de ta cellule et souhaite moi tout le meilleur que Dieu nous a promis dans son Paradis.
Ta « sœur » Bineta.
Souleymane Ly
julesly10@yahoo.fr
776516505
Share on: WhatsAppL’article Ultime lettre de Bineta Camara à son bourreau .