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Le Mali Ne Doit Pas Devenir Un Fonds De Commerce Pour Les Apprentis Sorciers De La GÉopolitique

Le Mali Ne Doit Pas Devenir Un Fonds De Commerce Pour Les Apprentis Sorciers De La GÉopolitique

Dans un débat sur le Sahel, le 14 mai sur la chaîne française LCI, Alexandre del Valle, qui se présente comme géopolitologue, consultant et essayiste, a jugé que le fond du problème au Mali n’est autre que « les gens du nord non noirs, non africains, ne veulent pas vivre avec leurs anciens esclaves du sud. Et les anciens esclaves du sud veulent se venger des anciens esclavagistes du nord. C’est comme si on oblige deux personnes qui veulent divorcer, se battent régulièrement, à rester mariées. » Auparavant, le 12 mai, le général Jean-Bernard Pinatel avait déclaré que « la situation ne se stabilisera que si Bamako consent à faire évoluer le statut de l’Azawad, car les Touareg et les Peuls refusent toujours de se soumettre aux Noirs du sud ».

On est en droit de s’interroger sur les intérêts que servent ces « experts » des plateaux de télévision, peu soucieux des conséquences potentiellement désastreuses de leurs propos dans une zone comme le centre du Mali. On note d’ailleurs chez eux une certaine obsession à donner des connotations ethniques, raciales, à des événements politiques ou sociaux. En avril, à l’annonce de la démission de l’ancien premier ministre malien, Soumeylou Boubèye Maïga, et dans un contexte de fortes suspicions entre communautés peule et dogon, on pouvait lire des titres de dépêches comme « Mali : le premier ministre démissionne à la suite du massacre de Peuls. » Les jours suivants, c’était l’appartenance ethnique – peule – du nouveau premier ministre qui était en avant pour justifier le choix du président Ibrahim Boubacar Keïta.

Les questions liées aux frontières, aux relations inter et intracommunautaires ainsi que les hiérarchisations en leur sein, sont complexes et n’ont cessé d’évoluer au fil de l’histoire. Comprendre les dynamiques qui animent les rapports sociaux nécessite une profondeur historique et sociologique qui manque à certaines analyses et donc fatalement à la compréhension des moteurs de violence au nord comme au sud du pays.

Des populations très diverses

Ainsi, le prisme racial selon lequel un antagonisme entre populations blanches du nord et noires du sud serait le principal moteur de l’histoire de l’espace sahélo-saharien est daté et incorrect, car largement coupé des définitions de soi locales. Il émane notamment de l’historiographie coloniale, raciste et pseudo scientifique, qui tendait à considérer le nord du Sahara comme plus « civilisé », proche de l’Europe et de l’Occident, en opposition avec un sud considéré plus noir et authentiquement africain.

Par ailleurs, il ne s’agit pas de nier la réalité de systèmes esclavagistes au Mali. Ceux-ci ont existé sur l’ensemble du territoire, pas seulement au nord. Au sud du pays, des Noirs ont asservi d’autres Noirs. Au nord, des Noirs, majoritaires, ont asservi des Noirs. Ainsi, il n’est pas vrai de décrire un état de fait où les Noirs seraient tous descendants d’esclaves, où seuls les Arabo-Berbères vivraient au nord du pays, où les Noirs du nord seraient tous des descendants d’esclaves des Arabo-Berbères. De plus, les notions de race, de couleur de peau, et d’autoperception dans ces sociétés ne peuvent être calquées sur des modèles coloniaux racistes. Le Mali, à l’instar d’autres pays du Sahel, est une zone de contact entre des populations très diverses.

Les différences ou les similitudes communautaires ne se situent pas nécessairement dans la couleur de peau. Ainsi, il est faux de regrouper Peuls et Touareg ou Arabes et Touareg, là où l’on pourrait regrouper dans certains contextes Songhaï et Touareg, Peuls et Dogon, selon le critère d’identification commune retenu (langue, filiation, culture, religion, etc.).

Complexité des griefs et des revendications

Par ailleurs, comment peut-on attribuer comme seule logique aux mouvements indépendantistes et rébellions une aversion des uns envers les autres sur la base de relations d’esclavage ? Une analyse sérieuse des discours de rébellion à travers les âges démontre la complexité des griefs et des revendications.

Les rivalités entre communautés au Mali ne doivent pas devenir un fonds de commerce pour les apprentis sorciers de la géopolitique. Leurs interprétations sont dangereuses et contre-productives. A entretenir l’amalgame et la stigmatisation, elles finiront par imposer le récit selon lequel une communauté serait moins considérée que d’autres. C’est de là que naissent des récits artificiels nourrissant de manière toxique des antagonismes fondamentaux entre des peuples.

L’analyse des faits ne doit être ni émotionnelle, ni exagérée, ni opportuniste. Les propos de MM. Del Valle et Pinatel reflètent une tendance vers une forme d’essentialisme dans l’analyse et l’interprétation des enjeux de notre monde. Si la seule préoccupation de ces « spécialistes » est de plaquer sur la situation malienne une grille de lecture qui satisfait leurs fantasmes sur le « choc des civilisations », ils sont alors des rhéteurs incendiaires qui compliquent la tâche de Sahéliens qui œuvrent sans relâche à bâtir des sociétés meilleures. Si leur préoccupation était au contraire de comprendre cette crise, qu’ils commencent par lire et se renseigner avant de parader sur les plateaux de télévision. Les enjeux sont importants.

Sega Diarrah, politologue ; Bokar Sangaré, journaliste et chercheur ; Madina Thiam, historienne ; Aboubacar Ibrahim, journaliste ; Mohamed Maïga, ingénieur social et consultant sur les questions territoriales ; Alhoudourou Maïga, journaliste et analyste sur les questions de sécurité au Sahel ; Boubacar Salif Traoré, consultant, directeur d’Afriglob ; Yvan Guichaoua, chercheur ; Fatouma Harber, militante ; Dougoukolo Alpha Oumar Ba-Konaré, psychologue ; Ismaïla Samba Traoré, écrivain et éditeur ; Fatoumata Keïta, écrivaine ; Mahamadou Cissé, politologue ; Benbere, plate-forme de blogueurs maliens.







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