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La Fille Dans L’autocar

La Fille Dans L’autocar

On allait à Bruxelles, Belgique. Un ami, et moi. On partait de Genève, Suisse. Arrivés à l’aéroport, situé dans Le Grand-Saconnex, nous sommes accueillis aux portes par les larmes et la panique d’un couple de personnes âgées, originaires du Bangladesh. Ils nous tendaient leurs passeports en bredouillant des syllabes que nul ne saisissait. Même si l’humanisme devait prendre le pas sur l’égoïsme, nous sommes tout d’abord allés vérifier le statut de notre vol, et il était mentionné « annulé ».

En feuilletant les documents de voyage, on découvrit que ce couple originaire de Mymensingh était en escale, et qu’il était sorti, alors qu’il ne le fallait pas… Un agent de l’aéroport résolut le problème. Nous partîmes, précipitamment, rejoindre le bureau de notre compagnie de voyage. C’était presque la panique. Oui, presque. Il est interdit de faire trop de bruit dans un aéroport. Alors, certains manifestaient leur colère, en silence. Posément. On entendait les : « allez vous faire foutre ! », sur une tonalité gentille. Mon ami me dit qu’il y a qu’en Suisse qu’on est confronté à ce genre de scène. S’ensuit un long et ennuyeux monologue sur la sociologie des Suisses…

Il y a une dame avec les écouteurs pendus sur son torse. Elle est très féminine, très sensuelle, très belle. Elle pose ses mots, avec soin, sur une bonne tonalité. Ses dents sont bien blanches. On pourrait presque se mirer dessus. Ça se voit qu’elle n’est pas une consommatrice de caféine ni de tabac. C’est sûrement du genre à boire du thé. Elle sent tellement bon. On croirait qu’elle vit dans une parfumerie. Aux chevilles, elle a des chaînes en or. Aux pieds, escarpins vernis rouges, talons aiguille super hauts. Petite robe moulante, noire, dos nu. Tout le monde la dévisage des yeux. Les hommes, et même les femmes. Ça se voit qu’elle plaît énormément…

Elle a l’air parfaite. Oui, irréprochable. Sauf qu’elle ne l’est pas. Depuis quelques minutes, la jeune femme tient, d’une voix basse, des propos injurieux et homophobes, sur l’hôte d’accueil, qui se démène tant bien que mal pour nous trouver une solution alternative. Ces mots que certains emploient en souriant et sont prêts à dire lorsqu’ils se font taper sur les doigts par un rappel à la loi : « Ce n’était qu’une blague », « On s’amusait », « Je ne suis pas homophobe, j’ai un ami gay ». Etc.  

Entre-temps, je me suis absenté, pour soulager une envie pressante. Mon ami, complètement tombé sous le charme de la jeune fille, prit son courage à deux mains et alla tenter sa chance. Ça semblait lui réussir puisqu’il était en conversation avec elle lorsqu’on lui a proposé un vol pour Amsterdam, Pays-Bas, pour remédier à notre situation. Il voyait en elle, comme il le disait, le sucre de son « Gari ». Du coup, il ne savait plus où se trouvait Amsterdam. Sa proximité avec Bruxelles, par l’intermédiaire d’un car ou d’un train. Juste à deux heures de route… Il a donc refusé l’offre, à notre nom. À mon retour, il m’annonçait qu’on allait prendre l’autocar, et qu’il avait déjà réservé, que la fille venait avec nous. Je trouvais ça ubuesque. On allait donc faire douze heures de route, avec une vue sur les champs, et les autoroutes…

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Nous avons rejoint un autocar dans lequel il y avait beaucoup de monde. Sur les consignes strictes du conducteur, chacun devait être à sa place. Le système automatique d’assignation des sièges a fait que je sois à côté de la fille et mon ami tout juste derrière nous. Ça se voyait qu’il était un peu déçu et je compatissais, mais c’était comme ça, on ne pouvait rien y faire…

Dans les environs de l’ancienne province de Bresse, devenu célèbre entre autres pour ses volailles, la plus connue étant le « poulet de Bresse », il y a le téléphone de ma voisine qui sonne. C’est tout d’abord un bip. Puis un autre bip. S’ensuit un appel. Elle décroche, il y a quelqu’un à l’autre bout qui lui dit : « connecte-toi sur whatssap » et raccroche. C’était du rapide, vraiment succinct. Elle n’a même pas eu le temps d’émettre une réponse. Quelques minutes plus tard, c’est encore un bip. La scène se répète. Encore et encore. Ça devient gênant. Elle s’énerve, coupe le son de son téléphone, et se parle à elle-même : « je n’ai pas de forfait international ! ». Je propose de faire un partage de ma connexion. La nouvelle la ravit. On s’exécute. Elle se met à parler en lingala (langue officielle des deux Congo) avec son interlocuteur, pendant au moins un quart d’heure…

Une gêne s’est installée. Je ne sais pas trop comment l’expliquer, mais lorsqu’elle a raccroché, c’était comme si elle se sentait redevable. Il y avait comme un besoin de se justifier. Elle dit : « c’est mon fiancé, il ne vit pas ici, il vient d’Afrique, du Congo ». J’encaisse l’information, sans émettre une réponse. Elle continue en disant : « il a un grand hôtel à Kinshasa ». Je compris, à l’instant, qu’il me fallait formuler quelques phrases pour désamorcer ce qui présageait. J’ai donc dit : «  C’est beau Kinshasa »…

On se mit donc à parler de la République démocratique du Congo. Des bons plans de la capitale, qui est d’ailleurs la première ville francophone au monde. De l’élection prochaine à la tête de la francophonie, de la rumba, et on s’insurgeait sur la question des droits humains…

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Et là, elle m’annonce qu’elle n’est pas vraiment congolaise. Elle est en fait d’origine camerounaise. En République démocratique du Congo, elle y est allée en aventure et a rencontré l’homme de sa vie, celui qui l’attend maintenant à Bruxelles. Elle dit : « même si c’est un homme marié, je l’aime quand même. C’est grâce à lui que je suis en Suisse, il a tout financé. Je lui dois tout ».  

Je trouve qu’il y a un peu trop de confidence d’un coup. Sûrement a-t-elle besoin, pour se sentir bien, de parler de ces choses-là, avec un inconnu, un peu comme ce qu’on voit à la télévision ? Je ne sais pas. Je cogite. C’était quand même un peu trop intime. Mon cerveau se remplissait, d’un coup, de questions. Je me demandais : « mais pourquoi une si belle et jeune femme choisit d’être la maîtresse d’un homme marié ? » Ensuite, je trouvais que mes interrogations étaient déplacées, et je me disais en sourdine : « Qui suis-je pour juger la vie des gens ?! »…

Elle continuait, entre autres, en disant : « Les vacances de Pâques étaient, pour nous, enfants de paysans, la période où l’on rejoignait nos familles pour participer au semis. Cette saison était très importante. Tout le monde l’avait intégré. C’était grâce à la récolte et à la vente de ces aliments qu’on pouvait rêver d’être scolarisés. Pour nous autres, l’intelligence n’était pas gratuite. On allait à l’école comme en mission. Il fallait être assidu. On n’avait pas les moyens d’échouer… j’ai eu mon master… »

Ces quelques mots me mirent les larmes aux yeux… Tout naturellement, on se mit à parler du despote de Yaoundé. C’est là où ça se gâte. Elle me fait comprendre qu’elle n’aime pas ce terme. Pourtant, elle employait le même phrasé, il y a quelques heures, sur le président congolais. Elle l’appelait dictateur et l’accusait de crime contre l’humanité, et tout. Mais là, il ne fallait surtout pas que je touche au grand bandit de Mvomékaa.

Elle parlait de lui avec les termes que l’on réserve très souvent aux divinités, alors qu’il n’y a même pas de route qui mène dans son village ni d’eau potable. Quel est donc ce dieu qui ne t’invite jamais à sa table alors que tu crèves de faim et continues à danser à son nom ? Si au moins elle venait de la bourgeoisie camerounaise, comme moi, j’aurais compris qu’elle bataille pour conserver les avoirs familiaux. Mais non. Elle vient d’une famille très pauvre… Comment une personne, vivant en suisse, dans un pays de démocratie, qui a fui la galère au Cameroun, peut penser de cette manière ? Je ne comprenais plus rien…

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On ne se connaît pas, mais il est clair, pour elle, qu’il me faut mieux choisir mon lexique. Que ce n’est pas respectueux ! Je lui demande si le despote est respectueux. Je lui parle de la situation au nord-ouest du Cameroun. Elle me dit qu’il faudrait plutôt valoriser le pays. Ne parler que des choses positives. Aider, en quelque sorte, le « président », pour qu’il fasse mieux. Elle continue en disant que si le pays va mal, ce n’est pas la faute de ce monsieur, mais plutôt des ministres qui sont incompétents. Je m’insurge : « Il est à la tête de l’État depuis plus de trente-cinq ans, mais ce n’est pas sa faute ? Dans quel monde vivons-nous ? »

On s’engueule copieusement. Je la traite de terroriste, et elle me traite d’idiot, et de drogué. On indispose tout le monde. Ça chauffe de partout. Le chauffeur menace de nous débarquer, et d’appeler la police. Ça nous calme un peu. Chacun froisse la figure, et évite le regard de l’autre. Je change de place avec mon ami. C’était la formule magique pour faire baisser la température. Mais ça se voyait que nous étions toujours tendus… 

Nous arrivons sous la pluie à la gare du Nord, à Bruxelles. Et là, dans le tram, en partance pour notre lieu d’hébergement, mon ami me dit, certainement pour me réconforter un peu : « au fait, la fille dans l’autocar, tu sais, elle fait de la musique. Au Cameroun, on va tous devenir chanteurs, il y a que ça qui paye maintenant… »

Nota bene :

Dans un pays d’environ vingt-quatre millions d’habitants, seuls six millions et des poussières se sont inscrits sur les listes électorales pour la présidentielle de deux mille dix-huit. Il y a eu trois millions et demi, à peu près, de votants. Le despote se dit élu avec plus de deux millions cinq cents. Et ça ne gêne personne. Il ne faut surtout pas que l’on se questionne sur la légitimité, et même la légalité de ce genre de scrutin ? Pourtant, nous savons tous que les animistes, de manière massive, ne votent pas, mais malgré cela, le despote décide de leur vie, sans avoir eu le mandat !







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