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Il Est Temps Pour Un Musée D’histoire Coloniale En France

Il Est Temps Pour Un Musée D’histoire Coloniale En France

En 2019, n’a pas été commémoré le 125e anniversaire de la création du ministère des Colonies, créé le 20 mars 1894. Une date que tout le monde a oubliée, que personne n’a voulu évoquer. Une date qui n’est pas dans nos manuels scolaires. Une date qui ne correspond à plus rien dans le présent.

Nous sommes, en revanche, à la veille de commémorer le 60e anniversaire des décolonisations en Afrique subsaharienne et à Madagascar (1960). Et Africa2020 va pendant six mois, l’année prochaine, rendre hommage en tant que saison aux 54 pays africains, à leur dynamisme, à leur création, à leur culture. Deux dates qui enserrent une histoire majeure pour notre pays : le passé colonial. Une histoire qui peine néanmoins à entrer au musée. Incroyable exception française !

L’exemple du remarquable travail de mémoire engagé depuis 2001 et la loi Taubira au sujet de l’esclavage peut à cet égard servir d’exemple. Désormais, la question de l’esclavage, de la traite et des abolitions fait partie de «notre histoire», comme vient de le rappeler Emmanuel Macron lors de la cérémonie du 10 mai au Luxembourg. Il faut engager un processus similaire au sujet de l’histoire coloniale.

Partout, désormais, on ne parle que de décolonisation des imaginaires, de repentance ou de nostalgie coloniale qui regardent ce passé avec le bras armé de la rancœur, le mouvement décolonial interpelle le présent. Il est sans doute plus que temps de regarder ce temps colonial en face pour sortir de ces héritages qui ne font que prolonger les vieilles querelles identitaires qui trouvent leurs origines à l’aube du XVIe siècle et ont traversé plusieurs siècles d’histoires violentes et traumatiques. Il est temps de faire entrer dans nos mémoires collectives ces cinq siècles d’histoire coloniale. Il est aussi temps d’imaginer un musée pour transmettre cette histoire, dans un pays qui compte plus de 10 000 musées de toute taille et de toute nature, mais qui n’a toujours pas un lieu de savoir et de connaissance sur la colonisation. On peut tout dire pour expliquer pourquoi ce pays n’a toujours pas un tel lieu, mais le blocage est avant tout politique.

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Les 6 et 7 mai, au musée d’Orsay et à l’occasion de l’exposition «le Modèle noir», un colloque a été organisé par la future Fondation pour la mémoire de l’esclavage présidée par Jean-Marc Ayrault. Celui-ci a été une occasion exceptionnelle de rassembler tous ceux qui œuvrent dans le monde, au cœur de leurs institutions muséales respectives, pour mieux faire connaître ce passé colonial et l’histoire de l’esclavage. Partout, les musées bougent, se réforment, s’ouvrent à ces questions coloniales et postcoloniales. Et tout va bien… Mais un pays reste réticent à ce passé : la France. Toutes ces institutions ont prouvé qu’elles rencontraient leurs publics, faisaient œuvre de savoirs et bâtissaient des mémoires en partage. Tout va bien donc ! Sauf en France… Sans doute parce que le passé colonial y est encore tabou et que, très clairement, on attend un geste «présidentiel» sur ce sujet pour aller de l’avant. Un geste à l’image de la déclaration de campagne de Macron en 2017, où il avait qualifié la colonisation de «crime contre l’humanité».

Maintenant que le travail de mémoire sur l’esclavage est en mouvement, il est temps d’engager un travail similaire sur la colonisation. Un tel projet pourrait parfaitement être initié en 2020 – au moment de la saison Africa2020 et du 60e anniversaire des indépendances de plusieurs Etats africains – et pourrait être inauguré dans le quinquennat suivant. Pour que cette dynamique entre en mouvement, il faut une volonté politique – à l’image de la décision de Macron de rendre des biens pillés et volés lors de la période coloniale en Afrique -, mais il faut aussi une institution capable de coordonner une préfiguration. Et l’institution qui pourrait initier la réflexion sur un tel lieu, pourrait être la future Fondation pour la mémoire de l’esclavage. Son président, Jean-Marc Ayrault, a dans le passé fait preuve d’une réelle clairvoyance politique sur ces questions. En juillet 2013, alors chef du gouvernement, il s’était engagé à rendre le crâne du chef coutumier Ataï à la Nouvelle-Calédonie, ce qu’il a fait, en 2014, en personne. Il a sans aucun doute une certaine sensibilité à ces questions.

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Tout au long des deux quinquennats qui ont précédé celui de Macron, la communautarisation des mémoires a décuplé, les conflits identitaires ont explosé, et la question coloniale (avec son pendant décolonial) est aujourd’hui instrumentalisée par des activistes de toutes sortes. Il y eut le temps de la repentance, celui de l’identité nationale et du discours de Dakar. Une décennie de perdue. Au cours de cette période de nostalgie et d’immobilisme, les repentants se sont opposés aux décoloniaux, les nostalgiques aux indigénistes, les «petits Blancs» aux racisés et Eric Zemmour à Houria Bouteldja… Triste bilan. Une décennie perdue et, pendant ce temps-là, les autres musées aux quatre coins du monde engageaient un travail en profondeur sur ce passé. En France, toujours rien.

Un tel musée serait donc un acte fort. Pour en faire un lieu qui fédère les savoirs, les mémoires, les patrimoines, les silences, les récits et les douleurs aussi. Qui fédèrent, sans tronçonner les histoires ou écraser les mémoires. Nous devons avoir l’ambition que les Etats-Unis ont eue avec le National Museum of African American History and Culture en faisant entrer l’histoire des Africains-Américains et des esclaves dans le récit de l’Amérique… lequel a été inauguré par Barack Obama avant la fin de son second mandat. Nous avons toutes les collections qu’il faut, tous les spécialistes nécessaires, des années d’expositions temporaires devant nous, et des millions de scolaires (et d’enseignants) qui n’attendent que d’y être invités pour faire histoire et autant de visiteurs qui ont démontré, depuis dix ans, que les expositions sur ces thèmes faisaient succès («The Color Line», «l’Invention du sauvage», «le Modèle noir», «Kréyol Factory»…).

Si on ne fait rien, nous fabriquerons encore et toujours du repli, du communautarisme, de la violence, de la nostalgie sur lesquels surfent le RN, les populismes et les radicaux qui, en fin de compte, affaiblissent la République. Le vivre ensemble n’est pas qu’un concept vide de sens, il implique des droits et des devoirs, et le premier d’entre eux est de regarder (ensemble) ce passé.

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Pascal Blanchard historien, chercheur au LCP CNRS. Il a co-dirigé l’ouvrage : 
Sexe, Race & Colonies, La Découverte, 2018







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