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De La Paternité Des Droits De L’homme

L’Afrique est-elle le berceau des droits de l’homme ? De prime abord, l’Afrique étant le berceau de l’humanité, il serait logique de répondre par l’affirmative à cette question. Ensuite, la Charte de Kurukan Fuga ou Charte du Mandé a été énoncée en 1222, c’est-à-dire bien avant les principaux textes occidentaux en la matière, à savoir le Bill of Rights américain (1689), la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de la Révolution française (1789), voire antérieurement à la Magna Carta anglaise (1215-1297). Pour en revenir à la Charte du Mandé, ses premiers mots, c’est-à-dire le Préambule, placent la vie humaine au sommet de la table universelle des valeurs : « Toute vie est une vie », déclare-t-elle. Elle ajoute : « Il est vrai qu’une vie apparaît à l’existence avant une autre vie, mais une vie n’est pas plus ‘’ancienne’’, plus respectable qu’une autre vie, de même qu’une vie ne vaut pas mieux qu’une autre vie ». C’est aussi au moyen de cette Charte que l’esclavage a été déclarée « éteinte » (« Chacun dispose désormais de sa personne, chacun est libre de ses actes, dans le respect des […] lois de sa patrie ») et la guerre et les razzias « bannies » « d’une frontière à l’autre du Mandé ». Pour conférer un cachet universel à cette Charte, ses auteurs concluent avec ce message : « Tel est le serment du Mandé à l’adresse des oreilles du monde entier ». Difficile de dire mieux en matière de respect des droits humains…

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Ce texte a été transcrit de l’oralité à l’écrit par un groupe de chercheurs regroupés dans le cadre du Centre d’études linguistiques et historiques par tradition orale (Celtho) à travers un long processus. Ils ont reconstitué, en puisant à la mémoire des griots de l’Ouest africain, les principes qui avaient été publiquement énoncés comme devant fonder l’empire pluriel qu’était devenu le Mandé. Ce projet a donné naissance à l’ouvrage « La Charte de Kurukan Fuga. Aux sources d’une pensée politique en Afrique » publié en 1998. L’autre document souvent invoqué, le « Serment des chasseurs », dans lequel la fraternité des chasseurs du Mandé prenait l’engagement de protéger les sociétés ouest-africaines au nom et dans le respect d’un certain nombre de principes qui s’y trouvent énumérés. Ces deux textes font aujourd’hui l’objet d’un intérêt grandissant pour des penseurs africains (Souleymane Bachir Diagne, Djibril Samb, Djibril Tamsir Niane) ou non africains, qui y voient « la noblesse, l’élévation d’esprit, le haut sentiment » (Djibril Samb) d’une conscience humaine, alors que la littérature coloniale dépeint les Nègres comme des êtres dépourvus de toute humanité et du sens de la loi.

Mais ces textes sont rejetés en bloc par certains penseurs occidentaux, tenant d’un universalisme conçu comme un exceptionnalisme européen, y voyant une « invention de la tradition » par des « afrocentristes » dont la seule finalité serait de produire un document qui puisse être comparé à la Magna Carta et par conséquent justifier l’antériorité des droits de l’homme en Afrique. Les mêmes critiques reprochent d’ailleurs au mouvement postcolonial de n’être rien d’autre qu’un « assaut des particularismes contre l’universel » (européen). A notre avis, poser la question des droits de l’homme en termes d’origine a peu de sens. Comme le fait remarqué Souleymane Bachir Diagne, avec raison, c’est seulement du point de vue des « centrismes », qu’ils soient euro- ou afro-, ou d’ailleurs, que la question de l’origine des droits humains a un sens. Nous nous retrouvons entièrement dans ce propos du philosophe sénégalais lorsqu’il affirme que la seule question qui semble importante à ce propos est son usage « ici et maintenant ». Samuel Moyn (cité par Diagne), dans l’ouvrage qu’il a consacré à l’histoire des droits de l’homme (The Last Utopia. Human Rights in History), invite d’ailleurs à ne pas poursuivre cette question indécidable de leur origine pour simplement s’aviser qu’ils n’ont véritablement pris l’importance qu’on leur reconnaît aujourd’hui dans le discours politique et les relations internationales qu’au début des années 1970, lorsque, après le discrédit des grandes causes portant la promesse de lendemains qui chantent, le « droit de l’hommisme », comme l’on dit, est devenu « la dernière utopie politique ».

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