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Le Monde Parallèle Dans L’odyssée De Joseph

Le Monde Parallèle Dans L’odyssée De Joseph

La belle odyssée qui menait Joseph d’un péril à l’autre, d’une aventure à l’autre, cache un monde parallèle, un monde plus réel sans doute que celui-ci, visible à l’œil nu. L’odyssée de Joseph est une aventure involontaire, causée par le destin implacable de sa main vigoureuse. Si Joseph n’était pas sorti indemne de son odyssée, son aventure ne serait assurément qu’une fatalité redoutable. En effet, qui est l’homme lucide, équilibré qui, jouissant de l’intégralité de ses facultés mentales, physiques et intellectuelles, s’engage volontiers dans des aventures folles ? Que non ! Cette «odyssée de l’âme aux parages de la folie» (Georges Gusdorf) n’a pas réussi à entamer la force de caractère chez le fils bien-aimé du patriarche Jacob. C’est plutôt lui qui vint à bout de l’aventure et des mésaventures folles. L’odyssée de Joseph est une initiation inévitable à accomplir pour parachever sa formation de futur prophète, de futur réformateur, qui accomplira sans faille, sans faiblesse, sa mission sur terre. La mission d’un prophète se réduit essentiellement à réformer les sociétés corrompues, à redonner l’espérance et l’espoir aux âmes meurtries, assoiffées de vérité et de justice. La mission prophétique est un double fardeau : d’abord transmettre, sans ambages, aux êtres humains entêtés, récalcitrants, les volontés de l’Eternel Absolu, et ensuite séduire ses semblables par un discours adapté et accommodant. La mission d’un prophète n’est nullement un luxe, ce n’est même pas un privilège, c’est une mission divine lourde, remplie de risques : risques de bannissement, d’exclusion, d’excommunication, de liquidation physique et mentale, cela, bien sûr, avant la victoire finale, la victoire des lumières sur les illusions et les ténèbres, celle de l’espoir sur le désespoir. Dès l’instant, elle acquiert le statut de mission ennoblissant. Joseph est devenu «un ange noble», selon la belle expression de ses fans admiratrices, car il a fini l’odyssée en beauté et en apothéose. Nul ne peut se targuer d’être choisi comme missionnaire. Est irrationnelle donc l’attitude de l’homme qui prétend être prophète, alors qu’il ne l’est pas et qu’il sait au fond de lui-même qu’il ne l’est pas.

La belle odyssée qui a pour agent passif le descendant de Abraham est un chemin initiatique tortueux, semé d’embûches et jalonné de drames érigés en repères pour tous ceux qui s’y engagent et veulent emprunter le chemin de retour, si jamais le retour aura lieu. Elle recèle un monde mystérieux, un monde foisonnant, riche et coloré. L’aventure grandiose, Joseph, sain, sauf et indemne, l’a accomplie avec brio, avec ténacité.

L’ennemi le plus farouche, le plus absolu que Joseph ait jamais rencontré dans son voyage initiatique, demeure l’obsession de l’irrationnel, de l’anti-divin, du satanique. C’est évident, le diable (incarné momentanément par la belle Zouleïkha) l’avait vu et avait même exercé sur lui sa fascination irrésistible, mais en vain, il lui est venu à bout. Mais peut-on rencontrer le diable ailleurs que dans le monde invisible ? Que dans l’attrait de la beauté féminine ?

L’étape initiale, le premier pas, le premier jalon de Joseph dans la patrie transcendantale, dans le monde invisible ou parallèle, est l’étape  la plus prodigieuse, la plus fantastique, celle où le miracle primordial s’est produit avec le soleil, la lune, les étoiles, et d’autres corps stellaires qui se prosternent humblement devant lui assis sur son trône de majesté : acte de soumission à un pouvoir magique. Le rêve est sans doute le lieu le plus familier pour nous dans l’univers parallèle.

Dans ce bas monde, dans ce monde visible, tout objet nommé est symbole d’une valeur de l’autre monde invisible, inaccessible sauf aux élus bienheureux. Du rêve initial jusqu’à l’ultime songe pharaonique, Joseph n’a fait que traverser la «forêt des symboles». La beauté angélique de Joseph est l’emblème de la splendeur absolue. La belle Zouleïkha restait toujours symbole de la chasteté en dépit des vicissitudes. Le monde invisible est celui des symboles et des emblèmes.

Le fond du puits est un repère dans l’univers parallèle. L’élu y a fait certainement un bref séjour, mais ce fut une étape cruciale dans son ascension. Ses frères ne savaient pas qu’en le jetant au fond du puits, ils allaient le projeter, sans détour, dans la transcendance divine où l’attendait tout un plan de prédilection. Dans cette logique, il est plus que légitime de se poser la question de savoir qui a accueilli Joseph au fond, étant donné que le puits était d’une profondeur mortelle. Toute descente au fond est périlleuse. Qui a sauvé Joseph ? Pourquoi il ne s’est pas écrasé au terme de sa chute ? Le fond du puits n’est-il pas le seuil d’un monde peuplé d’êtres lumineux ? La lumière ne se laisse pas voir. Les objets se laissent apercevoir par la lumière et grâce à la lumière, ou si l’on veut, la lumière se laisse voir par les objets interposés.

La prison est un autre «cœur des ténèbres», une autre porte d’accès aux hautes sphères du monde des esprits. Les souffrances et les peines y fondent le sens des valeurs. Les victoires, les défaites, en un mot, les épreuves subies par l’âme du sujet dans ce monde phénoménal sont des passerelles pour accéder au bonheur éternel. Les songes de Pharaon ont finalement libéré l’être angélique des aliénations et des contraintes de ce bas monde. Les vaches maigres ingurgitant les vaches grasses, les épis de maïs secs prenant la place des épis verdâtres, sont les symboles de la dialectique sociale. Les pauvres, les démunis chassent les riches et les nantis pour jouir des privilèges. «De ce point de vue, écrit Youssouf Ali, il y a un sens allégorique dans toute expérience, toute histoire et tout enseignement spirituel.» Toute beauté, toute bonté terrestre n’est qu’un reflet, n’est qu’une image de la beauté parfaite, de la bonté suprême, de la réalité absolue. Les émotions se valent, se communiquent et entrent dans un vaste réseau d’interconnexions totales, les unes menant inéluctablement aux autres. L’affection humaine est le chemin qui conduit vers l’affection transcendantale.

Babacar DIOP

Prof d’Arabe à la retraite

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