Les révélations de la BBC sur l’implication manifeste d’Aliou Sall, frère du président de la République, dans une opération de spéculation sur le pétrole et le gaz découverts au Sénégal ne sont pas nouvelles. Elles viennent juste corroborer ce qui a été dénoncé depuis au moins deux ans par des Sénégalais, l’ancien président Abdoulaye Wade en tête suivi en cela par une presse locale dont les articles n’ont pas été considérés par nos autorités avec le sérieux qui sied. Avec eux, d’éminents membres de la société civile et quelques responsables avertis de l’opposition s’étaient insurgés contre ce qui apparaissait déjà comme un acte de corruption ou, à tout le moins, une opération d’une telle nébulosité qu’il fallait au moins se poser des questions. Par prudence.
Hélas, il n’y a pas eu de réaction officielle du gouvernement dans cette affaire à l’époque où elle a été évoquée par Wade. Lorsque certains responsables de la société civile et quelques activistes — comme Ousmane Sonko l’était alors — se sont inquiétés de ces faits troublants après avoir procédé à leurs propres investigations, on les a considérés comme des gogos qui veulent juste jeter du sable dans le couscous fatickois. Certes, il y a eu les propos tenus récemment par Macky Sall et son alors Premier ministre Mahammad Boun Abdallah Dionne qui, agacés par les insinuations des uns et des autres, menaçaient de poursuites judiciaires tous ceux qui s’aventureraient à évoquer cette question pétrolière, et la galaxie présidentielle en avait déduit que l’affaire était close. Erreur !
Car, d’aussi graves accusations de corruption et de conflits d’intérêts ne peu- vent prospérer qu’au Sénégal et tant qu’elles ne portent pas préjudice aux intérêts de certains pays très influents dans le concert des nations. Importants contributeurs dans les économies pauvres de nombre de pays comme le nôtre et principaux bailleurs des institutions internationales comme l’ONU, le FMI et la Banque Mondiale, les Etats-unis, l’Angleterre ou même la France se croient investis du droit de juger des affaires de corruption et de concussion survenus hors de leur territoire dès lors que les intérêts économiques de leurs pays ou celles de leurs entre- prises sont en jeu.
Aujourd’hui que la presse européenne se mêle de l’affaire Pétro-Tim, c’est le branle-bas de combat dans la galaxie apériste. Les ministres, les députés et tous les responsables du parti présidentiel sont montés sur leurs grands chevaux et en première ligne pour venir au secours d’Aliou Sall, rattrapé par une affaire qui n’a pas encore fini de révéler tous ses secrets. Et pourtant, ils savent tous, ces sauveteurs de service, que le frère du président Macky Sall est mouillé jusqu’au cou, quasiment imbibé de pétrole.
Car, et il n’y a aucun doute, Aliou Sall et Frank Timis se sont acoquinés pour se remplir les poches au détriment du Sénégal et des Sénégalais. Les deux hommes n’ont pas élevé les cochons ensemble et leur association pour spéculer sur le pétrole et le gaz du Sénégal n’est pas le fruit d’atomes crochus. Il s’agit bel et bien d’une association de malfaiteurs car tous les deux savaient, lorsqu’ils nouaient secrètement une relation d’affaires, que le but de cette opération n’était autre que de s’enrichir mutuellement en magouillant sur les ressources naturelles du Sénégal.
Mais Aliou Sall s’est planté profondément en croyant derechef que son plan foireux – et foiré — d’enrichissement sans cause sur le dos des Sénégalais ne serait pas éventé. Il s’est trompé d’autant plus qu’en tant que journaliste de formation, rien ne l’avait préparé à gagner des milliards, lui qui est issu d’une famille modeste. Il sait parfaitement que s’il n’était pas le frère du président de la République, jamais il n’aurait été approché par Frank Timis et jamais ce dernier ne lui aurait demandé de créer Pétro Tim Sénégal. Il savait que Frank Timis ne pourrait jamais exploiter le pétrole de Kayar et Saint-Louis mais qu’il pourrait cependant gagner un gros pactole en revendant le contrat pétrolier à des majors comme British Petroleum, ce qui a été fait.
Mais l’affaire n’est pas aussi simple car il y a des frustrés. C’est le cas de la société australienne Cairn Energy qui, la première, avait entamé des négociations avec le Sénégal sur le bloc Kayar et la société irlandaise Tullow Oil qui avait jeté son dévolu sur le bloc Saint-Louis. Furieux d’avoir été écartés de la course par un troisième larron inconnu du monde pétrolier, ils ont déposé des plaintes auprès de juridictions compétentes en la matière. Des plaintes qui connaîtront naturellement des suites sous forme de… poursuites contre ceux qui sont à l’origine de leur mise à l’écart de manière irrégulière.
Et Aliou Sall, qui ne bénéficie d’aucune immunité particulière, n’échappera pas à la justice internationale tout autant que son acolyte Frank Timis. Quant au grand frère, président de la République de son état et maître de toutes les signatures, il finira bien son deuxième mandat et ne bénéficiera plus de la protection ni de l’immunité que lui confère encore son statut de chef d’Etat. Pour tout dire, c’est le début de la fin pour tous les protagonistes de cette affaire aux relents de corruption à l’odeur de pétrole. Dans tous les films, c’est à la fin que les bandits tombent.