Depuis quelques jours, le Ministre de l’Economie et ses agents, par des articles et communiqués de presse de toutes formes, tentent de contredire un rapport de la Banque Mondiale qui classe le Sénégal parmi les pays les plus pauvres du globe terrestre. C’est quand même plus que curieux d’entendre dans un pays aussi pauvre comme le Sénégal, le Procureur de la République (PR) dire à la fois : 1- qu’il a retourné un rapport mal écrit par l’Office National de Lutte contre la Fraude et la Corruption (OFNAC) à l’envoyeur après près de cinq années de lecture alors que le rapport pointait de probables malversations au Centre des Œuvres Universitaires de Dakar (COUD) sur respectivement 127 837 533 FCFA et 89 000 000 FCFA ; 2- qu’il s’est fondé sur l’article 11 du Code de procédures pénales pour « rendre publique par un point de presse des éléments objectifs tirés de la procédure » dans un rapport de 2015 et « prévenir la propagation d’information parcellaire ou inexacte », alors qu’il venait de dire qu’il n’y a pas de procédure déclenchée à date (juin 2019) contre le COUD car le rapport sera renvoyé à l’OFNAC qui devra revoir sa copie. Ou bien le PR devra nous dire où commence une procédure judiciaire dans cette affaire pour nous éclairer.
Dans l’affaire du reportage de British Broadcasting Corporation (BBC) sur Petrotim et des contrats et transactions portant sur les ressources pétrolières et gazières du Sénégal, l’exécutif a comme par enchantement propulsé de manière extraordinaire et « en mode fast-track » le système judiciaire au cœur d’un problème de gouvernance des ressources publiques sans que des préalables ne soient réglés; d’où ces mélanges et confusions dans les premiers pas de « dame justice » sur un terrain très glissant. En Afrique, en général, y compris le Sénégal, l’exécutif ne respecte point le pouvoir judiciaire, le tient souvent en otage et l’utilise à dessein pour régler des différends politico-politiciens et autres sales affaires, et/ou pour expier ses problèmes de bonne gouvernance des ressources publiques sous forme de pertes et profits.
Le rôle principal des corps de contrôle de l’Etat (Inspection générale de l’Etat – IGE, OFNAC, Cour des comptes – CC, etc.) c’est en priorité de contribuer au renforcement de la bonne gouvernance des ressources publiques et l’émergence d’un Etat de droit. Les terrains et jeux « politico-politiciens » en Afrique sont en général une marre de crocodiles affamés et un système d’égouts pourris et nauséabonds en dessous des cités où grandissent toutes formes de rats et autres reptiles politiciens mus que par l’intérêt personnel, et qui peuvent émerger à tout moment pour venir déranger et pourrir la vie « calme et paisible » des populations pauvres qui ne savent plus à quels « rats ou crocodiles » se fier. On se tromperait lourdement si on pense qu’en Afrique, dans ce contexte particulier de course effrénée de malfrats vers les ressources publiques vulnérables aux gains faciles, le pouvoir judiciaire à lui tout seul, malgré la bonne volonté des procureurs et juges, peut régler les problèmes de gouvernance des ressources publiques. D’où le rôle très important des médias y compris des médias occidentaux pour que la vérité jaillisse et que la gouvernance des ressources publiques, fussent-elles naturelles, se renforce.
Voir la contribution des médias occidentaux à la manifestation de la vérité et le renforcement de la bonne gouvernance en Afrique comme un « complot rampant » pour déstabiliser les pays pauvres, c’est vraiment avoir une vue très tronquée de ce qu’est aujourd’hui la globalisation, et avoir une courte mémoire en oubliant qu’on s’est engagé sur les Objectifs de développement durable (ODD) des Nations-Unies (NU) notamment l’objectif 16 (Paix, justice et institutions efficaces). La contribution des médias nationaux et internationaux et les alertes des patriotes et autres libres penseurs, ainsi que les rapports des organes de contrôle devront être utilisés d’abord par l’exécutif proactivement (non défensivement) pour éviter et corriger ses erreurs ou fautes de manière itérative et, en relation avec le législatif, pour mettre en place et améliorer de manière continue un système d’apprentissage pour la construction et la mise en œuvre de réformes solides qui permettent de renforcer et de verrouiller la gouvernance des ressources publiques.
Et seulement, dans des cas où des détournements et infractions sont établis avec preuves, on devra interpeler la justice pour poursuivre et condamner les « rats et crocodiles » ainsi indexés. Mobiliser systématiquement et automatiquement « dame justice » à chaque fois que quelque chose bouge ou qu’on a de simples soupçons dans des rapports, c’est comme si on était dans une cité dont les réseaux dans le sous-sol sont infestés de rats, et qu’on utilise le marteau pour poursuivre chaque bruit de rat qui s’entend sans prendre des mesures pour boucher définitivement tous les trous par lesquels les rats passent aisément tout le temps. Finalement, soit on essouffle, décrédibilise et rend inefficace « dame justice », ou le marteau se casse ou les rats deviennent plus résilients, soit on cassera des meubles utiles par erreur.
Dans cette affaire reportage BBC sur Petrotim et ses corollaires, deux faits majeurs sont à noter et à vérifier immédiatement et rigoureusement, non pas par « dame justice », mais par des agents de contrôle ou par une commission indépendante (vraiment indépendante) où parlementaires du pouvoir et de l’opposition appuyés par des experts avérés (juridiques, financiers, pétroliers et gaziers, finances publique, journalistes, et gouvernance. etc.) prendraient le leadership comme dans les pays qui se respectent. Dans cette affaire, c’est vraiment l’Assemblée nationale, si elle est là pour le peuple sénégalais qui l’a élue librement et non pour obéir aux ordres de l’exécutif, qui doit « prendre le taureau par les cornes ». Son Président, qui par ailleurs a une « certaine expertise » dans le domaine, devra prendre ses responsabilités et rendre au peuple sénégalais ce que celui-ci lui a donné pendant toutes ces dernières décennies. Ce serait un excellent cadeau au peuple avant qu’il ne tire sa révérence politique. Ainsi, il serait mieux que cette commission soit mise en place par l’Assemblée nationale et ne travaille que durant trois mois au maximum compte tenu de l’urgence du dossier.
Le premier élément important concerne le rapport de l’IGE sur l’attribution à Petrotim des blocs cités et qui serait élaboré et soumis en 2012. Il paraîtrait que le rapport de l’IGE était disponible avant la signature du décret d’attribution et qu’il ne serait pas arrivé à destination. Ce qui sous-entendrait que le rapport a été caché pour pousser les autorités, dans la précipitation, à signer un décret qui lèse le Sénégal. Le deuxième élément important est lié au rapport qui serait présenté en Conseil des ministres que l’ancien Premier ministre a traité de faux. Cela sous-entendrait qu’on aurait présenté une fausse information pour pousser le Gouvernement à signer un contrat toujours dans la précipitation et qui est contre les intérêts du Sénégal.
Dans tous les deux cas, il s’impose immédiatement au Gouvernement, ou forcé par l’Assemblée nationale, à suspendre les décrets et contrats en cause jusqu’à ce qu’une commission indépendante, en relation avec les corps de contrôle de l’Etat, vérifie ces deux éléments allégués et hyper-explosifs aux senteurs de corruption et de haute trahison. Le silence-radio de l’exécutif et du parlement sur ces deux « affaires » ne contribuera qu’à décrédibiliser davantage le Sénégal aux yeux de l’opinion internationale et ouvrir des vannes à l’interne pour des règlements de comptes politiciens.
C’est seulement après vérification par une commission indépendante mise en place ainsi par le pouvoir législatif ou le parlement et la confirmation ou l’établissement que ces faits sont avérés, que l’exécutif devra être poussé à annuler immédiatement les décrets et à dénoncer les contrats auprès d’instances spécialisées, et enfin saisir finalement la justice à travers le Procureur de la République (PR) pour sévir. Tout le reste n’est qu’écran de fumée, politique politicienne et perte de temps pour « dame justice » qui de « grande muette » pourrait passer à « grande bavarde » sur des choses non maitrisées et claires.
Qu’est-ce qu’on a tiré de l’affaire de la gestion de la caisse d’avance de la Mairie de Dakar ? Sur un rapport de l’IGE qui pointait une mauvaise pratique de gestion, l’exécutif a immédiatement propulsé « dame justice » au-devant de la scène. Malgré la bonne volonté de la justice et une procédure complète, l’impression qu’on a au final, est que cette affaire a plus servi des règlements de comptes politiciens que le renforcement de la gestion des ressources publiques. Les recommandations de l’IGE ont-elles été appliquées et généralisées à toutes les institutions pour éviter de pratiques similaires dans le futur ? L’Assemblée nationale a-t-elle exploité le rapport pour proposer des lois qui permettent de mieux protéger nos ressources ? Non. On a réglé des problèmes politiciens et le rapport est jeté dans un tiroir.
Qu’est-ce qu’on a tiré de l’affaire de délits d’enrichissements illicites agitées en 2012 et qui ont été poursuivies par la Cour de répression de l’enrichissement illicite (CREI) ? Rien que de la politique politicienne et du gaspillage d’argent à travers des enquêtes qui n’auront servi à rien. Et l’image du pays est écornée par des commissions de droits de l’homme aux Nations-unies. Toutes ces affaires dans lesquelles « dame justice » s’est donnée à fond et a été malmenée dans tous les sens, aux dernières nouvelles, vont aboutir sur une table de « dialogue national politicien » à la sénégalaise (paacoo) sur le dos d’une population qui ne sait plus à quels « rats et crocodiles » se fier dans cette jungle de pauvreté extrême et de chômage ahurissant des jeunes, où les seules tactiques de résilience se résument souvent à l’extrémisme violent, l’immigration clandestine, l’enrôlement des jeunes vulnérables dans des milices politiciens, et l’insécurité grandissante dans les banlieues surpeuplées. Tous les ingrédients d’une explosion sociale terreau et germe de violences hideuses sont en cours de formation dans notre pays.
Comment voudrait-on dans ce contexte que des affairistes malintentionnés ne viennent pas profiter de notre nonchalance et passivité par rapport à la mauvaise gestion des ressources publiques, en complicité flagrante avec des rats et politiciens avérés, et ainsi monter des arrangements pourris pour nous dans le long terme ? Si l’exécutif est vulnérable et faible ou sous coupole de forces sans scrupules tapies dans l’ombre, si l’Assemblée nationale n’a pas les tripes pour jouer pleinement son rôle malgré la confiance totale du peuple et les cris de la société civile, la justice, fusse-t-elle de bonne foi et avec des magistrats compétents, des enquêteurs expérimentés, et les médias fussent-ils très dynamiques et professionnels, rien ne changera sous nos cieux. Et nous continueront à rythmer nos ébats politiciens, à attiser les tensions sociales avec de l’information venant de l’extérieur pour finalement dire que ce sont des « déstabilisateurs » qui arrivent pour prendre nos ressources ou pour soutenir l’opposition. Renforçant ainsi notre capacite à nous victimiser et à accuser l’Occident face à nos incompétences et nos faiblesses.
Cette affaire est une véritable opportunité, non une menace, pour tester nos institutions et notre capacite à travers de reformes fortes et des actions exemplaires, à prendre plus de contrôle sur nos richesses et faire émerger une meilleure pratique de gestion des ressources publiques. Ce n’est pas dans la politique politicienne ou dans les invectives de part et d’autre qu’on tirera profit de cette affaire pour relever nos têtes et faire reculer la pauvreté dans notre pays et garantir l’émergence économique seules garanties de d’une paix sociale durable. Ce n’est certainement pas en essayant de démentir des rapports de la Banque mondiale ou en diabolisant des médias très respectés, ou encore en utilisant la justice et la police comme épouvantes pour faire peur aux alerteurs patriotes et médias libres qu’on y parviendra.
Dr. Abdourahmane Ba
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