On peut être amené à rire de la sortie du député Farba Ngom sur le plateau de l’émission «Face2Face» de la Télévision futurs médias (Tfm), animée par Mme Aïssatou Diop Fall, hier dimanche 16 juin 2019. Tant le député, maire de Agnam et qui se présente comme le griot du président Macky Sall, a été en verve et d’attaque pour traîner dans la boue les opposants Abdoul Mbaye, Ousmane Sonko, Mamadou Lamine Diallo ou Thierno Alassane Sall. Quelques personnes ont eu à s’émouvoir de certains propos de Farba Ngom. Seulement, à y regarder de près, ne pourrait-on pas être indulgent à l’égard du tonitruant Farba Ngom ? En effet, Farba Ngom a utilisé les mêmes armes que les détracteurs du régime qu’il prétend défendre. Aussi, sur ce registre, ne pourrait-on pas passer plus facilement de pareilles incartades à un Farba Ngom qu’à un ancien Premier ministre ou un ministre qui utilise des informations tirées de l’exercice de ses fonctions gouvernementales passées pour en faire des armes politiques peu conventionnelles ? Farba Ngom a eu à porter de graves accusations. D’aucuns diront qu’il n’en apporte point la preuve formelle.
La sortie ou le déballage de Farba Ngom peut avoir certaines faiblesses, car il ne manque pas d’avouer quelque part que le système fonctionnerait ainsi, qu’à chaque opportunité il fallait se servir. Aussi, dans des contextes de guerre politique, tout propos pourrait être rangé à l’étagère des invectives gratuites et malsaines. Farba Ngom a sans doute bien réfléchi sur sa sortie, mais on ne peut pas ne pas relever qu’il ferait désormais peur à toute personne qui l’aurait fréquenté et qui aurait engagé des activités peu avouables. Il n’a pas hésité, dans une émission publique, à balancer des personnes qui se trouvent dans une nouvelle situation de désaccord politique avec lui. Farba Ngom peut bien être «en service commandé», mais il reste que c’est de bonne guerre. Abdoul Mbaye, Thierno Alassane Sall, Ousmane Sonko et Mamadou Lamine Diallo ont aussi eu à porter de graves accusations de corruption contre le Président Macky Sall, le ministre Aly Ngouille Ndiaye et Aliou Sall, sans en apporter la moindre preuve. Par contre, Farba Ngom s’est donné une posture doublement avantageuse. Il défie ses «souffre-douleurs» en leur disant que s’ils s’aventuraient à lui répondre, il irait davantage dans le détail et dans les précisions.
Aussi Farba Ngom, dans de faux airs d’un ignorant et d’un naïf, souligne dans la foulée que Thierno Alassane Sall ou Abdoul Mbaye avaient des postures et positions différentes sur le sujet des concessions pétrolières et gazières accordées à l’homme d’affaires Frank Timis. Farba Ngom a rappelé que Thierno Alassane Sall, alors ministre en charge de l’Energie, s’en prenait, dans des vidéos qu’il a tenues à montrer dans l’émission, à Abdoul Mbaye dont il épouse aujourd’hui le discours accusateur contre le régime de Macky Sall. Thierno Alassane Sall, jadis le grand défenseur de la licéité des concessions accordées à Frank Timis, et qui s’en prenait vertement aux opposants qui cherchaient à y voir des irrégularités, peut-il maintenant revenir, avec aplomb, dénoncer de telles concessions ? Une telle posture pose problème. Comme aussi un Abdoul Mbaye, Premier ministre qui a contresigné les décrets d’approbation des concessions, peut-il se mettre à dénoncer l’illégalité de ce qu’il avait signé, librement et en toute connaissance de cause ?
L’argument selon lequel il avait été induit en erreur ne saurait prospérer, car il serait bien commode, après avoir fini d’exercer des responsabilités gouvernementales, de se dédouaner de mauvais actes en invoquant une tromperie de la part de ses collaborateurs. Est-il aussi besoin de rappeler que les décrets d’approbation avaient été transmis le 5 juin 2012 aux services du Premier ministre Abdoul Mbaye qui avaient toute la latitude de procéder aux vérifications nécessaires et pertinentes, avant le contreseing le 19 juin 2012. Avant de signer, Abdoul Mbaye, d’après ce qu’il en a dit par la suite, aurait suggéré au Président Sall de ne pas signer les approbations des concessions. Soit ! Seulement, tant est qu’il était convaincu de l’irrégularité, pourquoi avait-il apposé sa signature ? Pourquoi attendre plusieurs années après son limogeage du gouvernement pour dire qu’il avait été trompé ? Thierno Alassane Sall pourrait lui aussi dire qu’il défendait avec véhémence les concessions accordées à Frank Timis parce qu’il était trompé lui aussi par on ne sait qui… Le sinistre et cynique Adolf Hitler disait : «Si vous désirez la sympathie des masses, il faut leur dire les choses les plus stupides et les plus crues.»
Au demeurant, serait-il acceptable que d’anciens ministres ou Premiers ministres mènent le combat politique en utilisant des informations obtenues grâce aux positions qu’ils détenaient dans l’appareil gouvernemental ou administratif ? Une telle attitude est condamnable, car les exigences d’éthique l’empêcheraient à d’autres. Dans quelle situation se trouverait-on si «tout le monde disait ce qu’il savait», pour reprendre le mot de l’actuel ministre des Energies, Mouhamadou Makhtar Cissé, dans un entretien accordé la semaine dernière au journal Le Soleil. Qui ne se rappelle pas la guerre féroce que se livraient Djibo Leyti Kâ et Ousmane Tanor Dieng pour le contrôle du pouvoir durant les dernières années du régime de Abdou Diouf ? Pourtant, jamais des secrets d’Etat n’avaient été livrés au public pour affaiblir l’adversaire.
En France, on sait le degré d’adversité entre François Hollande et Nicolas Sarkozy, mais jamais on n’a entendu les équipes du Président Hollande sortir dans les médias les turpitudes des gouvernements de son prédécesseur Nicolas Sarkozy. Il en était par exemple de même de l’attitude des équipes de Jacques Chirac vis-à-vis de la gestion de François Mitterrand. Avec toute la frénésie de ses «tweets», jamais un Donald Trump n’a eu à livrer des turpitudes commises par l’équipe de son prédécesseur à la Maison Blanche, Barak Obama. Le général d’Armée Philippe de Villiers aborde dans ses Lettres à un jeune engagé le devoir de réserve et la nécessité de l’exemplarité, surtout pour des gens ayant occupé de grandes positions. Il soutient : «On n’a jamais rien trouvé de plus efficace que l’exemplarité comme fondement d’un commandement réussi. L’exemple commande. Il parlera toujours plus fort que la voix. Il s’agit moins pour le chef de ‘’faire un exemple’’». Les lignes du général de Villiers pourraient faire du bien à nos acteurs politiques.
Vu donc sous ce registre, Farba Ngom qui n’a pas été à des positions gouvernementales ou administratives bénéficie bien plus de circonstances atténuantes que Abdoul Mbaye ou Thierno Alassane Sall ou Ousmane Sonko. Au sujet de Ousmane Sonko, Farba Ngom, courtier foncier et immobilier de son état, s’est montré plus précis, quand il a révélé comment Ousmane Sonko utilisait sa position au niveau du Syndicat des impôts et domaines pour obtenir des terrains qu’il faisait revendre. Le Quotidien avait fini de dire la même chose concernant d’autres terrains obtenus dans les mêmes circonstances par Ousmane Sonko. Comme quoi…
Quand vont-ils s’interdire d’interdire les marches de l’opposition ?
Quelle est l’idée d’interdire des rassemblements de l’opposition pour protester contre des concessions pétrolières et gazières accordées à l’homme d’affaires Franck Timis ? Les services du ministre de l’Intérieur, Aly Ngouille Ndiaye, ont donné un plus grand retentissement aux manifestations organisées vendredi dernier dans certaines localités du Sénégal. Les décisions d’interdiction des marches ont provoqué des situations d’affrontements entre forces de sécurité et des manifestants. On peut considérer que si les médias s’étaient assez intéressés à ces événements, c’est surtout du fait des tumultes provoqués. En effet, presque personne n’a parlé de la marche tenue à Saint-Louis pour les mêmes objectifs, et qui avait été autorisée par les autorités administratives. Tout s’était bien passé et les observateurs ont pu mesurer la faiblesse de la mobilisation. En revanche, à Dakar ou Ziguinchor où les marches avaient été interdites, les radios et télés et autres supports médiatiques ont fait leurs choux gras des échauffourées. Le gouvernement de Macky Sall ne semble pas apprendre de ses erreurs, car chaque fois, c’est la répression qui donne du succès aux marches de l’opposition. Comment peut-on toujours prétendre ne pas disposer de forces pour sécuriser une marche et toujours trouver assez de troupes pour la disperser, pour réprimer les marcheurs ?
Chaque fois, des leaders sont arrêtés, gardés à vue pendant plusieurs heures, avant d’être relâchés sans aucune autre forme de procès. Une telle façon de faire est attentatoire aux libertés publiques. Il s’y ajoute que les interdictions des marches contre les concessions accordées à Frank Timis, faites par les services d’un ministre de l’Intérieur nommé Aly Ngouille Ndiaye, ne peuvent pas manquer de gêner. L’actuel ministre de l’Intérieur est dans le viseur de ceux qui fustigent les contrats signés avec Timis corporation, du fait qu’il en était le maître d’œuvre du temps où il était en charge du ministère des Energies. Quelque part, en faisant interdire les marches, le ministre de l’Intérieur agirait pour ses propres intérêts.
On devra aussi retenir que les interdictions répétées des marches de l’opposition donnent l’impression d’une certaine phobie du pouvoir et présente le Sénégal sous une image peu reluisante. En outre, les déchaînements de violence de la part des forces de sécurité peuvent donner lieu à des bavures graves. On tremble encore devant cette image, figée par les caméras des télévisions et des photographes, d’un policier qui a dégainé son arme en direction du convoi de Ousmane Sonko. Quelles seraient les conséquences si ce policier en était arrivé à ouvrir le feu ? On ose espérer qu’une enquête administrative serait ouverte sur cette situation pour situer les responsabilités, car ce serait jouer avec le feu que de donner l’impression aux policiers qu’ils pourraient dégainer impunément contre des manifestants pacifiques qui ne les menaceraient guère.